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20 avril 2024

V – Le tempérament des peuples et l’esprit de leur langue


Décodage anthropologique de l’histoire contemporaine

Esquisse d’une anthropologie de la servitude idéalisée

V – Le tempérament des peuples et l’esprit de leur langue

Manuel de Diéguez

Manuel de Diéguez

Vendredi 25 septembre 2015

1 – L’héritage de la Grèce antique
2 – L’Europe orpheline d’Athènes
3 – Un peuple absent de l’arène des guerriers
4 – Le guerrier allemand
5 – Psychanalyse anthropologique de l’Allemagne de Schaüble

1 – L’héritage de la Grèce antique

Nos copies littérales des mots et des tournures du latin de Cicéron nous renvoient à l’interprétation du tempérament des peuples debout ou décadents et de l’esprit des nations libres ou asservies. Peut-être la vassalisation intense de la politique étrangère de l’Europe contemporaine élèvera-t-elle une fois de plus l’exemple de la Grèce antique au rang de paradigme de l’enracinement de l’histoire respirante dans les langues vivantes ou naufragées. Puisque l’on ne saurait contraindre un Etat valide, mais solitaire porter à lui seul le faix d’un parler exclusivement local sans le faire retourner au tribalisme langagier des origines, sortons résolument de nos idiomes comme de nos bicoques et disons-nous vaillamment qu’on n’apprend à penser droit qu’à se mettre à l’écoute et à l’école d’une lucidité blasonnée par le bon sens politique.

Il y a quelques années, nous avons abandonné nos folklores pour parer Athènes du titre de capitale culturelle et rationnelle de l’Europe tout entière et il nous est revenu en mémoire que la Grèce nous a enseigné la tragédie, la géométrie, les mathématiques, la physique, la statuaire, la peinture, la philologie, la grammaire. Puis Byzance nous a appris la lettre d’amour, les parfums, le crédit bancaire, les ponts géants et les machines de siège titanesques. Notre continent de tard venus repose sur une civilisation de l’alliance des prouesses de l’intelligence avec les exploits de la technique. Mais Athènes n’était qu’un gros village de dix mille habitants; et ces villageois-là ont mis à jamais les savoirs à l’épreuve d’un bon sens universel.

Qu’est-ce que le génie politique, sinon l’expression d’un immense bon sens? Qu’est-ce qui manque aux petits chefs d’Etat de l’Europe des vassaux de l’Alliance atlantique, du traité de Lisbonne et du futur accord de libre échange entre le tigre et le mouton, sinon le flambeau colossal du bon sens? Que de tête-à-queue de la sottise! Le bon sens politique enseigne que la souveraineté est le blason de l’honneur des peuples, le bon sens politique enseigne que la souveraineté est l’écusson de la dignité des peuples, le bon sens politique enseigne que la souveraineté est la bannière de la fierté sommitale des peuples, le bon sens politique enseigne que le désastre actuel est un coûteux abaissement et que la grandeur est plus économe de nos sous que la servitude, le bon sens politique enseigne à tout l’univers que la lâcheté et la vassalité vident nos escarcelles, le bon sens politique fait dire à Socrate que le singulier résiste au pilon des mots abstraits.

2 – L’Europe orpheline d’Athènes

Hélas, l’Allemagne privée de ses armoiries n’est pas seulement celle des petits docteurs en rituels bureaucratiques: cette nation francisée à la va-comme- je-te-pousse depuis le XVIIIe siècle a quitté le timon de sa langue pour porter l’Europe du bon sens au rang d’un second « pont de la rivière Kwaï », celui d’une démocratie du travail vissée sur ses établis et qui a perdu la tête au point de tracer le chemin vers l’abîme des Etats placés sous écrou par l’OTAN et par le traité de Lisbonne. La bureaucratie atlantiste est devenue une usine des catastrophes; et cet oracle de l’abstrait se veut en guerre avec le bon sens politique, cette Pythie nous appelle à substituer le temple des ronds-de-cuir à l’âme et au souffle de l’histoire des nations. Qu’en est-il du joug paré du sceptre de la Liberté?

Rome n’est plus dans Rome, dit Corneille. Ne cherchez plus Athènes dans les rues d’Athènes. Les civilisations et les roses ne vivent que l’espace d’un matin. En 2011, la Grèce a livré à Israël une Flottille de la Liberté en route pour l’enfer de Gaza et qui s’était réfugiée dans le port du Pirée. Les hellénistes du monde entier sont en deuil: le Parthénon n’est plus que le sépulcre blanchi du génie grec.

Comment l’Europe tentera-t-elle de redonner vie à ce monument funéraire de la Liberté du monde? Il nous faut conquérir une autre problématique du bon sens que celle des faux joyaux dont se pare l’administration du Vieux Monde. Une nation germanique dont la bijouterie expose sous vitrine – et trois quarts de siècle après la paix de 1945 – deux cents bases militaires étrangères sur son territoire n’est plus à l’échelle du monde ascensionnel que nous attendons, mais seulement à l’écoute d’une démocratie du désespoir. Jetez hors de votre devanture cette orfèvrerie de démissionnaires et alors vous serez en droit de parler de démocratie et de République à l’Europe asservie d’aujourd’hui. Les devins d’Athènes sont de retour – chassons-les de l’Agora.

Sitôt qu’un Etat dominant et armé jusqu’aux dents parvient à réduire le pouvoir exécutif d’un autre Etat au rang de serviteur de sa propre et féroce expansion, les organes de l’Etat vassalisé tombent dans l’inconstitutionnalité pure et simple, tellement le bon sens nous enseigne qu’une République amputée de sa souveraineté perd son statut d’acteur en chair et en os sur la scène internationale, c’est-à-dire son titre de « sujet de droit » dans l’arène des combats. Depuis vingt-cinq siècles, le bon sens est l’âme de la philosophie occidentale, et cela précisément parce que la logique est l’âme de la politique. Sachez, MM. Mariani, Myard, Pozzo di Borgo, votre courage ne folâtrera pas longtemps dans le thym et la rosée – c’est de la reconquête de la souveraineté de l’Occident qu’il s’agit. Vous ne serez que des fantômes de passage sur un théâtre d’ombres si vous ne vous élevez au rang de protagonistes d’un nouveau miracle grec, celui de la civilisation qui a fait changer pour toujours de tête et de courage à l’humanité.

C’est à ce titre que la noyade de la langue allemande dans un bric à brac d’importation est un témoin pathétique de la vassalisation titubante d’une Germanie de confection: on ne saurait regarder les descendants d’Arioviste droit dans les yeux sans que se grave sur nos rétines l’effigie du Titan américain qui dresse sa haute stature dans le dos des Etats asservis du Vieux Monde. Mais si vous vous souvenez que le bon sens est la clé du génie politique, c’est à la Grèce de la pensée que vous redonnerez sa place dans l’enceinte du Parthénon.

3 – Un peuple absent de l’arène des guerriers

Mais comment un peuple qui aura anéa l’alliance de son âme avec la voix des forêts de ses ancêtres, comment un peuple qui aura ruiné le pacte que son destin avait conclu avec la langue des Germains, comment un peuple qui aura anéanti l’entente que sa mémoire avait conclue avec le souffle de son génie, comment un peuple rendu silencieux à l’école de trois-quarts de siècles de servitude sous le joug de l’OTAN tiendrait-il à la Russie de Tolstoï et de Dostoïevski un autre discours que celui de l’identité émaciée dont il a entaché son honneur? L’élan nationaliste des Germains aura culminé quelques instants sous la bannière de la démocratie bicéphale de Bismarck et de son Kaiser en fin de course: ne semblait-elle pas sur le point de fonder un patriotisme légitimé par une appropriation nationaliste des idéaux de 1789?

Mais cette dichotomie n’aura pas fait longtemps illusion. L’Europe des tables tournantes crie à tue-tête: « esprit, es-tu là? » L’âme tronquée de l’Allemagne d’aujourd’hui se perdra-t-elle sans retour dans un servage administratif et dans une obéissance respectueuse des petits galonnés des bureaux, ou bien cette domesticité courtelinesque explosera-t-elle subitement dans une guerre ouverte entre les ronds de cuir de l’atlantisme et les survivants en loques de Platée, de Salamine et de la bataille des Thermopyles?

Malheureusement, les Germains ont été commandés de tous temps par de puissants hobereaux de la guerre. Pour comprendre l’aristocratie militaire allemande, une brève parenthèse se révèle nécessaire – le temps d’esquisser une spectrographie anthropologique de cette nation, tellement l’Allemagne actuelle nous renvoie aux analyses indélébiles de Tacite. Car Siegfried n’a pas connu le quichottisme galant du XVIe siècle, qui associait l’héroïsme guerrier des chrétiens au ciel de l’amour courtois. Souvenez-vous : une madone de cour se présentait aux chevaliers des tournois sous les traits d’une Dulcinée intouchable. De plus, cette icône des sabres et des cierges se voulait l’enjeu, la récompense et le gage de la sainteté des croisés perpétuels de leur foi. Rien de tel en Germanie. Cette nation armée et casquée, mais étrangère à la coquetterie, est également demeurée à l’écart de l’alliance, plus tardive, de l’honneur militaire embourgeoisé avec le patriotisme républicain qu’illustrera Servitude et Grandeur militaires d’Alfred de Vigny.

4 – Le guerrier allemand

Qu’est-ce donc que le guerrier allemand? Dans La Grande illusion Jean Renoir a compris, avec tout son génie de cinéaste visionnaire, que les Germains christianisés se font une idée apostolique et monacale des vertus du soldat. Au XVIe siècle, la conversion de l’Allemagne au patriotisme luthérien – mais il deviendra de plus en plus calviniste en Prusse – a seulement permis aux descendants d’Arioviste de militariser le combat des couvents contre le péché originel.

On sait comment le laxisme religieux des Romains a passé au grand large de cette difficulté : vous allez à confesse et, hop, vous êtes innocenté et blanchi à si peu de frais que, dès le lendemain, vous retomberez sans le moindre scrupule dans le péché – le prochain rinçage confessionnel vous attend au coin de la rue, prenez tout de suite rendez-vous avec le tribunal des acquittements de guichet. Le militarisme allemand, lui, a horreur des facilités de la piété, parce qu’il la juge incompatible avec la sévérité vertueuse de la discipline des armées. Chaque année, le théâtre de Bayreuth rappelle au monde entier que l’Opéra doit mettre en scène des guerriers de leur propre noblesse – c’est pourquoi la Chancelière et le chef de l’Etat assistent régulièrement à ce cérémonial patriotique, religieux, militaire et musical confondus. Aucun autre Etat ne célèbre dévotement l’alliance de l’âme allemande avec Siegfied le victorieux.

Dans La Grande illusion, j’y reviens, un général bien sanglé dans la sainteté de l’honneur monacal des armes germaniques se suicidera, parce que l’un de ses prisonniers de guerre censé respectueux de l’honneur des glaives s’est évadé en violation de la haute sacralité de son serment militaire. Comment un gentilhomme souillerait-il le gage suprême de l’alliance que la vie spirituelle conclut avec les sabres triomphants ou vaincus? Cette désertion infamante ruine encore de nos jours la piété la plus profonde des aristocrates allemands – mais elle déshonorait encore la noblesse française sous Louis XIV, tandis que, depuis 1940, la France républicaine et laïque y voit l’exploit patriotique et glorieusement hors la loi d’un héros de la Résistance. La renommée militaire s’est ralliée aux guets-apens des francs-tireurs. L’honneur n’est plus une hostie de la monarchie, mais un gage de civisme accordé aux pièges des émeutiers.

5 – Psychanalyse anthropologique de l’Allemagne de Schaüble

Le Général de Gaulle, pourtant évadé de guerre et dûment glorifié au titre d’insurgé, n’a pas troqué sa Madone chevaleresque pour un diplôme de patriote républicain et rebelle quand il écrit : « Toute ma vie, je me suis fait une certaine idée de la France. (… ) Ce qu’il y a en moi d’affectif imagine naturellement la France, telle la princesse des contes ou la madone aux fresques des murs, comme vouée à une destinée éminente et exceptionnelle. J’ai d’instinct l’impression que la Providence l’a créée pour des succès achevés ou des malheurs exemplaires. S’il advient que la médiocrité marque, pourtant, ses faits et gestes, j’en éprouve la sensation d’une absurde anomalie, imputable aux fautes des Français, non au génie de la patrie. (…) Bref, à mon sens, la France ne peut être la France sans grandeur. » Charles de Gaulle, Mémoires de guerre, tome 1, Plon, 1954, p.1

Au plus secret de l’esprit et du cœur des vrais Germains, observez l’alliance gaullienne du sacré avec l’héroïsme et l’honneur militaires. Schaüble est un infirme devenu un héros national désarmé. Pourquoi cela, sinon parce que ce malheureux cloué dans son fauteuil roulant depuis un quart de siècle à la suite de l’attentat d’un malade mental sur sa personne, est perçu par les Germains comme un blessé de guerre et un paradigme sacrificiel du combattant allemand. Que dit-il, en secret, au peuple grec d’aujourd’hui? « Vous aviez porté le tragique de la condition humaine au théâtre. Pourquoi êtes-vous tombés dans une insouciance, un gaspillage et une gabegie indignes des grands blessés de guerre? » Pour une Allemagne en lambeaux, Schaüble est le symbole d’un Général de Gaulle en fauteuil roulant, mais dont personne ne fera fléchir l’échine.

De Gaulle écrit: « Le côté positif de mon esprit me convainc que la France n’est réellement elle-même qu’au premier rang: que seules de vastes entreprises sont susceptibles de compenser les ferments de dispersion que son peuple porte en lui-même; que notre pays tel qu’il est parmi les autres tels qu’ils sont, doit, sous peine de danger mortel, viser haut et se tenir droit. »

Schaüble l’infirme et le vaillant se fait écouter pour avoir subitement débarqué dans l’inconscient guerrier de la nation allemande d’hier, d’aujourd’hui et de demain; il rappelle à ses compatriotes vaincus sur le champ de bataille du monde que les peuples oublieux de leur identité originelle l’enfouissent seulement au plus secret d’eux-mêmes et qu’elle resurgit brusquement sous les traits d’un vieillard inflexible.

Voici les abaissements dont la vassalité de l’Europe présente le spectacle: aucun Etat abaissé du Vieux Monde ne prend lui-même les décisions qu’il affecte ensuite d’afficher sur la scène du monde. Comment se cacher à lui-même qu’il étale seulement celles que son maître lui a fait prendre bêtement? Puis avec quelle effronterie ce matamore proclame siennes les décisions qu’un autre a prises à sa place! Tout esclave croit cacher sa honte à soustraire ses chaînes aux regards du monde entier. Enfin, le serf se donne des airs de liberté à obéir aivec entrain aux contraintes qu’il subit.

L’Europe fait le matamore à l’école de sa propre infamie. Depuis près d’un an, les valets feignent d’avoir ferré le poisson russe au bout de leur ligne mais de mois en mois ils viennent quémander les ordres. Le serviteur orchestre le ballet de sa propre lâcheté.

Le 25 septembre 2015

 

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Source : Manuel de Diéguez
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