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20 avril 2024

Le 7 octobre et la vengeance des nantis


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28 septembre 201

Celui qui lit un peu plus loin que la rhétorique populiste « la nécessité de l’austérité », aperçoit la réalité sans apprêt : la revanche d’une élite dépossédée de ses biens après la deuxième guerre mondiale.

“L’austérité n’est rien d’autre qu’une guerre des classes.” Noam Chomsky (1)

Le tax shift en bref

L’an passé, les espérances étaient encore grandes. Avec la première salve d’économies, le gouvernement s’était adressé exclusivement au travailleur ordinaire : allongement du temps de travail, saut d’index et une série d’autres mesures qui avaient soigneusement épargné les puissants. Mais, ne nous alarmons pas, le fameux tax shift (glissement fiscal) allait rééquilibrer tout ça et cette fois, s’adresser au capital.

Légende barre du haut de g. à dr. : Situation famille/Augmentation des frais/Saut d’index/Augmentation du pouvoir d’achat projetée > Vous perdez v Barre latérale de haut en bas : Isolés 0 enfants/Isolés 2 enfants/2 actifs 0 enfants/2 actifs 2 enfants /Chômeur isolé

Mais le résultat devait s’avérer tout autre. Comme dans les scénarios précédents, l’homme de la rue paie les frais de la noce. Et la facture est salée. Les familles s’y collent pour près de 1.000 euro par an (2). Les pensionnés et les malades sont concernés également. (Voir Annexe.) Les salaires les plus bas, 5 à 25% du total, verront, dans le meilleur des cas, avec le « bénéfice » attendu vers 2018, leurs revenus augmenter de quelque 40 euro net par mois. (3) Bien moins que ce qu’ils perdront par le biais des autres mesures. Et les riches alors ? Il y a la taxe sur la spéculation boursière, la taxe Caïman sur l’argent noir à l’étranger et la lutte contre la petite fraude fiscale. Au total, il en irait, selon le gouvernement, de 800 millions d’euro. Évaluations très optimistes, les prévisions généralement admises étant que ces mesures rapporteront beaucoup moins. L’un dans l’autre, des cacahuettes.

Un bide fiscal

En bref, le travailleur ordinaire, le chômeur, le pensionné et le malade paient la noce (4). Ils cracheront 83% au bassinet de ce « glissement fiscal ». Les 17% qui restent, si l’on atteint ce pourcentage, viendra des nantis (5). À l’inverse, le tax shift sert, au doigt et à l’œil, les intérêts de cette classe supérieure. Avec la diminution des charges patronales à la sécurité sociale, les chefs d’entreprises encaisseront pas moins de deux milliards d’euro, ceux-ci venant s’ajouter aux nombreux milliards engrangés lors des réformes fiscales précédentes. Ce gouvernement n’est pas en vain surnommé « le gouvernement des riches » (6). Pas de surprise donc, si les organisations patronales se déclarent satisfaites de ce taxe shift.

Pour Marc Leemans, l’homme de la CSC, les choses sont claires : « Les vainqueurs de ce bide fiscal sont les employeurs et les nantis. Avec un shift sorti du portefeuille du citoyen ordinaire, Michel I oublie, pour la Xe fois, de solliciter celui des nantis. Les travailleurs se voient servir, une fois de plus, la soupe réchauffée des diminutions de charges, sans aucune garantie en termes de création d’emplois. » (7) Rudy De Leeuw, président de la FGTB, est sur la même longueur d’ondes : “Ce gouvernement ne s’épargne aucun effort pour se profiler comme un « gouvernement social », « le gouvernement de tous ». Dans la pratique, il prouve le contraire. Une fois de plus, il fait payer les plus faibles de notre société, les bas revenus. Subtilement mais surement, les nantis sont épargnés.” (8)

Comment ça, pas d’argent ?

Que l’on fasse aujourd’hui des économies, sur le dos des malades, des chômeurs ou des pensionnés, voilà qui est incompréhensible et absolument scandaleux. La Belgique est l’un des pays les plus riches au monde. Le revenu moyen d’un ménage avec deux enfants est de presque 8.000 euro par mois (9). Il n’y a pas la moindre raison de toucher au confort de vie de la population. Notre pays est suffisamment riche que pour assurer chaque habitant d’un revenu (de remplacement).

Continuellement, le leitmotiv « il n’y a pas d’argent » est asséné, probablement le plus gros mensonge de l’histoire de l’après-guerre. Dans le monde entier, les grosses entreprises sont assises sur une montagne de 7.000 milliards de dollars dont elles ne savent que faire. C’est, pour l’exprimer ainsi, un excédent de capital. Pour la Belgique, cet « excédent » se monte à des dizaines de milliards d’euro (10). Il n’est donc absolument pas question de manque d’argent. D’une part on a un excédent de capital du chef des grandes entreprises, tandis que l’on a, d’autre part, un manque d’argent du côté du budget de l’Etat. Le comble étant que le même Etat exfiltre ses moyens vers ces entreprises qui ne savent déjà que faire de leurs capitaux, puis vont les récupérer chez le travailleur lambda et auprès des plus faibles de notre société. L’effet Matthieu (11) a pris des proportions surréalistes.

Un seul chiffre suffit à éclairer l’injustice de tout ce système de taxe shift. Il s’agit d’un montant de 3,7 milliards d’euro. Comparons cela aux 4,8 milliards d’euro que les actionnaires de Inbev ont à eux seuls encaissés l’année dernière (12). Comment ça, pas d’argent ?

La vengeance des riches

Afin de comprendre ce qui nous arrive aujourd’hui et les enjeux dont il s’agit, il nous faut zoomer sur l’aspect historique. Le partage des richesses est la question socioéconomique centrale pour toute société. À l’époque de Daens (célèbre prêtre catholique flamand défenseur de la cause ouvrière), il y a un peu plus de cent ans, le fossé entre riches et pauvres était écœurant. Le combat social long et acharné mené par le mouvement ouvrier naissant devait permettre alors une amélioration progressive de l’extrême inégalité dans le partage des richesses. Ceci allait atteindre un point culminant après la deuxième guerre mondiale. Le fascisme était vaincu, la droite (extrême) sérieusement discréditée et le mouvement ouvrier était plus fort que jamais. La peur du communisme dicta aux élites de l’époque moultes concessions. Philippe Mouraux, politicien PS et ministre d’Etat l’exprime clairement : « Pourquoi assiste-t’on, dans la période qui suit la guerre, à un progrès social si important ? Parce que le communisme terrifiait la bourgeoisie ». (13) C’est dans ces conditions là que l’Etat-Providence est né et a été développé.

Mais ceci n’était pas du goût de la classe dominante qui voyait ses parts de richesses sensiblement diminuer.

Légendes graphique : Au-dessus : Part de revenus des 10% les plus riches d’Europe. Gauche : Construction de l’état providence. Droite : Offensive néo-libérale. (14)

Ils méditaient leur revanche. Les riches de la planète comprenaient que c’était l’esprit-même des gens qu’il s’agissait de s’approprier. Ils allaient investir des dizaines de millions de dollars dans le plus à droite des laboratoires d’idées qui avait pour tâche d’élaborer une idéologie convaincante comme alternative à l’Etat-Providence.

Exactement de la même manière que les savants les plus éminents s’étaient réunis dans les années quarante pour développer la bombe atomique, les têtes pensantes les plus éminentes étaient priées de mettre au point une sorte d’arme nucléaire idéologique. (15)

L’idéologie serait rebaptisée plus tard en néolibéralisme. Il s’agissait d’une politique socioéconomique caractérisée par une diminution de l’impôt sur le capital, une économie en matière de dépenses sociales, une diminution des dépenses de l’Etat, des privatisations, une dérégulation et des échanges commerciaux libres.

Il est essentiel de noter ici que, d’après les fondateurs du néolibéralisme, la condition sine qua non pour que leur mode de gouvernance fonctionne, était la neutralisation du chien de garde de l’Etat-Providence : les syndicats. C’est ainsi que cette idéologie socioéconomique s’arma d’une composante antidémocratique.

Le petit coup de pouce de la crise

Idéologie puissante mais, dans les années qui suivaient la guerre, les rapports de forces étaient défavorables à son enracinement. Ceci devait changer, lors de la lourde crise économique de 1973. Le chômage important provoqua un sérieux affaiblissement des syndicats. Les idées néolibérales, marginales après la deuxième guerre mondiale, furent lancées avec force et, cette fois, avec succès, la chute du mur de Berlin en 1989 boostant encore cette offensive idéologique. Tout doucement, les idées hautement asociales du néolibéralisme prenaient et se faisaient leur place dans l’opinion publique tandis que le mouvement ouvrier se tenait de plus en plus sur la défensive.

C’est dans ce contexte que qu’il faut placer le taxe shift et le démembrement de l’Etat-Providence. Il faut le voir dans le cadre d’une offensive lancée dans tous les pays développés. Il s’agit d’une tentative des élites, il est vrai, bien camouflée, pour reconquérir leur « royaume perdu ». Les populistes de droite se révèlent d’ailleurs de plus en plus comme des maîtres de cet art du camouflage. Ils la jouent rusée en s’appuyant sur les incertitudes et les angoisses de la population et détournent l’attention sur d’autres questions : les menaces terroristes (que l’on fait mousser), une crise de l’émigration (auto-organisée), … (16) Leur offensive antisociale, en tous points conforme aux théories néolibérales, se double d’attaques sur les syndicats et d’une mise hors jeu du milieu de terrain social.

Ne vous y trompez pas, la boulimie du capitalisme est loin d’être calmée. Le graphique montre que les élites n’ont récupéré qu’une partie de leur royaume. Il dépendra des rapports de forces, c’est-à-dire de vous et moi, et de la mesure dans laquelle ils pourront encore affaiblir les syndicats, de voir s’ils pourront ou non reprendre pour leur compte plus de richesses et de bien-être.

7 octobre

Le cours actuel et basé sur le droit du plus fort. Le pouvoir est dur, sans cœur et inacceptable. Un autre pouvoir doit être mis en place d’urgence et cela est possible. Ensemble avec « Le cœur, pas la rigueur », une initiative citoyenne soutenue par plus de 1.200 associations, les syndicats plaident pour un vivre ensemble chaud, solidaire et attentionné. (17)

Voilà pourquoi ils organisent le mercredi 7 octobre 2015 à Bruxelles, une grande manifestation pour le rétablissement du pouvoir d’achat, un impôt juste sur le patrimoine et les revenus du capital, une lutte sérieuse contre la fraude fiscale à la place de l’amnistie pour les fraudeurs, des investissements dans le secteur du bien-être, de la santé, de la culture et des services au public, la création d’emploi comme condition à l’octroi de subsides aux entreprises, un renforcement de la sécurité sociale, la pension à 65 ans avec une sortie avancée pour les métiers les plus lourds et une pension légale plus élevée, un dialogue social sérieux.

Ci-dessus, nous avons esquissé l’importance d’une telle manifestation. L’enjeu est importante. Au plus faible sera notre réplique à l’offensive antisociale, au plus fort ils frapperont au tour suivant. Plus que jamais, le mot d’ordre est : tous sur le pont !

Annexe : La Facture

D’après le quotidien financier De Tidd, la facture d’électricité augmentera, pour une famille moyenne, de 283 euro (18). Pour ceux qui roulent avec un véhicule diesel (60% des Belges), l’augmentation annuelle pourrait être de 100 euro. La valeur du caddy pourrait, sur base annuelle, devenir plus chère de 500 euro. Il y aura, finalement également des impôts supplémentaires sur l’épargne et le petit capital. Le saut d’index, qui coûtera à chacun 2%. Les malades de longue durée devront être remis au travail ou verront leur indemnité diminuée. L’indemnité maladie sera, de toutes manières, diminuée de 240 à 540 euro par an. Les pensions seront touchées plus avant, particulièrement celles des fonctionnaires. Les enseignants seront les plus touchés. Il y va de 30% de leur pension, sauf si ils travaillent cinq années de plus, auquel cas il ne s’agira plus que d’un « petit » 20% … (19)

Notes
1. http://www.alternet.org/economy/noa….

2. Le calcul de la perte de pouvoir d’achat pour différentes configurations (tableau) du SETCA/BBTK : http://www.bbtk.org/nieuws/Pages/Re….

3. Il s’agit des travailleurs qui gagnent entre 2.000 et 2.400 euro brut. http://pvda.be/sites/default/files/…

4. http://pvda.be/sites/default/files/….

5. http://pvda.be/sites/default/files/….

6. http://www.dewereldmorgen.be/artike….

7. http://www.demorgen.be/opinie/de-gr….

8. http://deredactie.be/cm/vrtnieuws/o….

9. Le calcul pour une famille moyenne part de l’hypothèse que le revenu disponible de la famille représente 66% du pnb. Dans certains pays cela est plus élevé, dans d’autres moins. Les chiffres tiennent compte des différences de prix entre pays pour les mêmes produits ou services et expriment le pouvoir d’achat réel. Pnb de la Belgique :http://ec.europa.eu/eurostat/statis…. La médiane est beaucoup plus bas que la moyenne, précisément parce que les riches 10% s’approprient une part scandaleusement importante des revenus.

10. http://www.telegraph.co.uk/finance/…. Si les entreprises belges se retrouvent avec un excédent plus ou moins comparable, alors il doit correspondre à un petit 100 milliards d’euro.

11. L’effet Matthieu : Ceux qui possèdent déjà beaucoup reçoivent plus et à ceux qui possèdent peu, on enlève ce qu’ils gagnent. Ceci est basé sur la déclaration de Jésus : “Car on donnera à celui qui a, et il sera dans l’abondance, mais à celui qui n’a pas on ôtera même ce qu’il a”. (Mt 25,29)

12. http://www.ab-inbev.com/content/dam….

12. Knack 17 oktober 2007, p. 48.

13. Piketty T., Capital in the Twenty-First Century, Londen 2014, p. 324.

14. http://www.globalexchange.org/resou….

15. http://www.michelcollon.info/Les-re….

16. http://www.dewereldmorgen.be/artike….

17.http://netto.tijd.be/energie/Elektr…. 18.http://www.hln.be/hln/nl/943/Consum…. 19.http://www.hln.be/hln/nl/943/Consum…

20. http://www.demorgen.be/binnenland/l…. http://www.coc.be/files/newsitems/…..


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