Hollande aux abois.
François Hollande sait que les français ne supporteront plus une scène devenue trop familière dans la cour des Invalides s’il advenait quelle se reproduise devant le catafalque d’un seul soldat tombé en opération militaire au Moyen-Orient, une région où leur sécurité et celle du territoire français n’est pas concernée directement ou même indirectement comme il est admis qu’elle le soit en Afrique subsaharienne.
Abdessalem Larif
8/10/2015
François Hollande sait que les français ne supporteront plus une scène devenue trop familière dans la cour des Invalides s’il advenait quelle se reproduise devant le catafalque d’un seul soldat tombé en opération militaire au Moyen-Orient, une région où leur sécurité et celle du territoire français n’est pas concernée directement ou même indirectement comme il est admis qu’elle le soit en Afrique subsaharienne.
Pour dissiper les réserves que cette observation pourrait susciter de prime abord, il faut préciser qu’elle prend en compte la présence militaire permanente de la France dans ladite région. Celle-ci dispose en effet à Dhafra, sur le territoire des Emirats Arabes Unis, d’une base aérienne et navale ainsi que d’un camp d’infanterie, enclavés dans une base américaine importante dont ils constituent en quelque sorte de minuscules appendices.
Convenue entre G.W.Bush et Sarkozy surnommé alors « l’américain » cette implantation militaire française (IMF), mise en œuvre en Janvier 2008, ne s’articulait en rien à l’engagement platonique de défendre la souveraineté des EAU pris par la France en Janvier 1995, dans la foulée de l’après guerre du Golfe. La protection des Etats Unis y pourvoyait amplement, d’où son inutilité totale sauf au profit de ces derniers comme force de provocation pré-positionnée, autant dire comme pare-choc diplomatique, ce que les actions militaires de la dite coalition anti-daesh confirment présentement.
C’est à cela que le rôle de la France est réduit en Iraq puis en Syrie où les Valls et autres Cazeneuve s’évertuent vainement à convaincre leurs concitoyens d’y avoir localisé, surtout dans la deuxième, le foyer du danger qui les menace et d’y devoir mener la guerre contre le terrorisme en omettant parfois, chose curieuse, de préciser lequel.
Si en Afrique la sécurité de la France, intégrée et historiquement assimilée avec celle de ses anciennes colonies dans le principe dit de sécurité collective, est conjuguée à des intérêts économiques essentiels pour justifier une protection militaire selon un système de bases avancées, il en va tout autrement de ses intérêts au « Levant » dont le souvenir est enfoui dans les replis de l’histoire.
Ces intérêts ne sont pas négligeables, peu s’en faut, mais n’étant pas sous-tendus par des liens autres que culturels au Liban, ils ne procèdent d’aucune préférence permettant de les situer dans une zone d’influence et sont de nature strictement commerciale, régie par les règles de la concurrence. Du reste, les choses devant être ramenées à leurs justes proportions, il est significatif de constater qu’en termes d’investissement et de placement, le seul Qatar a en France plus d’intérêts que celle-ci n’en a dans toute la région.
La balance commerciale pour 2014, une année faste à l’exportation vers ce pays dont elle est le onzième fournisseur avec les ventes d’avions civils et militaires, fait apparaître un chiffre de 2,1 Mds d’euros en hausse de 31% par rapport à 2013 à et une forte baisse à l’importation. Comparativement avec l’année 2010, les ventes d’avions militaires à l’Arabie Saoudite avaient atteint exceptionnellement 40% des exportations de la France vers ce pays pour un total de 3,92 Mds d’euros alors que les EAU demeurent le principal débouché commercial de ses industries aéronautiques au Moyen-Orient. Comme partout dans le monde, si le choix de s’équiper chez Airbus et Dassault s’et imposé aux états du Golfe ce ne pouvait être que par la rentabilité et les performances techniques de leurs produits sans besoin d’un cousinage martial aventureux mettant en péril des vies françaises.
Mais quel usage Hollande fait-il de ses prérogatives dans les domaines des affaires étrangères et de la défense à lui réservés par les articles 14 et 15 de la constitution de 1958 ? Une fois réglée la question algérienne et à l’exception de ce qu’il en a été regrettablement sous N. Sarkozy et, avant lui F. Mitterrand, on peut affirmer que la politique française de défense a été menée avec autant de préparation que de retenue. Il ne faut pas oublier à cet égard la vive opposition rencontrée auprès de l’opinion publique et de la classe politique la plus attachée à l’indépendance du pays par la participation de son armée, sous couvert d’ONU mais surtout par un effet de meute derrière les USA, à la guerre contre l’Irak ni d’ailleurs que cela s’est fait sans les bénéfices escomptés et dans une singulière fraternité d’armes avec la Syrie de Hafedh El Assad.
Le tableau serait incomplet sans une brève allusion à la conduite de Mitterrand en matière de défense qui a révélé une certaine agilité d’esprit, insoupçonnée jusqu’à son implication dans l’affaire Greenpeace, qui pouvait passer pour péché mignon mais qui, en l’occurrence et avec mort d’homme, aurait pu lui faire prendre le chemin d’un cabinet de juge d’instruction aussitôt refranchi le portail de l’Elysée sur le départ.
Mieux maîtrisé, le programme des six tirs d’essais nucléaires autorisés en 1995 par son successeur J. Chirac nouvellement élu ont certes soulevé des vagues de protestations à l’étranger notamment celles de Greenpeace et des USA mais ont abouti à l’élaboration d’une modélisation mathématique les rendant inutiles à l’avenir et préservant ainsi le legs Gaullien d’une force autonome de dissuasion nucléaire. A l’évocation du Général de Gaulle, il n’est pas insensé de soutenir qu’en dehors des arguments de pure stratégie avancés pour en disposer par le général P.M. Gallois, la possession de l’arme atomique, dans la haute vision du premier, ne servait pas seulement à éviter la guerre nucléaire mais aussi à rendre impossible un partage consensuel du monde en deux zones de domination entre les Etats Unis et l’URSS dans le but compréhensible d’en éviter le déclenchement par erreur ou accident.
Ceci étant, quelles significations trouver à la rupture totale par les deux derniers présidents français d’une politique étrangère hissée dans la continuité et la cohérence au niveau d’une tradition si ce n’est que Sakozy a eu son Irak en Libye et que Hollande veut sa Libye en Syrie ? Faussement partis en guerre contre deux dictateurs encore fréquentés la veille, Ils ont, l’un et l’autre, entraîné leur nation dans l’une des plus grandes catastrophes morales de son histoire.
Ecartons de notre esprit l’idée ou la théorie d’un complot ourdi par les USA et Israël visant à modifier la carte du monde arabe avec la complicité de la Turquie et de quelques dynasties du cru même s’il a réellement existé car ce qui compte dans l’analyse de la situation au Moyen-Orient et en Afrique du Nord c’est de s’attacher d’avantage au déroulement des évènements sur les scènes politiques et militaires où les parties citées ne sont pas seules à décider et à agir, qu’à la finalité connue ou supposée du complot et des lignes assignées à sa réalisation. Il serait d’ailleurs absurde et contreproductif pour les puissances de l’autre bord de chercher à infléchir leurs actions à des présomptions en ce sens qu’une stratégie accréditant la théorie du complot laisserait inévitablement l’initiative à ses auteurs en rendant prévisibles les actions destinées à le contrer selon une logique linéaire où, par inversion de la règle, les mêmes effets proviennent des mêmes causes.
Un complot suppose toujours une concertation et une distribution des rôles avant sa mise en application or, pour revenir à celui trop vite prêté à la France dans cette affaire, il ne faut pas oublier la grossière bévue de sa ministre des affaires étrangères, M. Alliot-Marie, au premier acte du « printemps arabe » qui s’est déroulé en Tunisie et qui dénote une réelle impréparation à l’événement. Il apparaît donc clairement que dans les trois guerres évoquées la France a pris le train en marche à l’instigation des USA et cela, même en Libye où la prépondérance de son action dans les opérations militaires de l’OTAN fait souvent oublier l’appui logistique déterminant assuré par ces derniers à son aviation à un moment où les capacités de projection de ses forces armées étaient encore lacunaires. En somme Obama a laissé jouer Sarkozy, un amateur de lauriers à bon marché. La suite est connue, à qui profite t-elle ? Certainement pas à la France.
Dans tout ce gâchis F. Hollande n’est pas en reste. Au moment où l’occasion s’était présentée à lui de faire parler la poudre en Afrique, une question faisait son chemin dans les coulisses du pouvoir puis au grand jour sur les médias de savoir si le moment n’était pas venu pour lui de s’en aller et ce, en atteignant un tel degré d’insistance qu’il s’est trouvé poussé à marteler devant les français qu’il ne le ferait pas. Un président désespéré. Tout autre que lui l’aurait été à moins devant les piteux résultats d’une politique économique et sociale dont il avait fait miroiter les promesses au cours de sa campagne électorale avec un aplomb remarqué et sur les seuls résultats de laquelle il déclarait vouloir être jugé. Des comptes publics qui ne s’améliorent pas avec une dette de 1925 Mds d’euros à la clôture de l’exercice 2013, un chômage qui s’accroît de 700.000 nouveaux inscrits pour dépasser le chiffre de 3.000.000 soit 10,3 % de la population active et une fiscalité étouffante touchant surtout les revenus modestes, voila dans quelle situation la France se trouvait alors. C’est dire combien la crise du Mali, mettant automatiquement la solidarité franco–africaine en mouvement, a été providentielle pour faire baisser les critiques et capter le soutien des partis de l’opposition à l’opération Serval comme il est de règle toutes les fois où des soldats français sont engagés dans un environnement hostile. Ce fut pour Hollande d’un soulagement sensible puisque lui faisant même récupérer une dizaine de points dans les sondages de popularité et si l’on considère le rétablissement obtenu les armes à la main de la souveraineté intégrale de l’état malien sur son territoire. En même temps, cela rendait intéressante pour un second mandat toute perspective similaire dans le futur, pourquoi pas au Moyen-Orient ?
Le terrain économique abandonné à E. Macron, un libéral jalousé par la droite, Hollande se consacre au sein d’une coalition montée de toutes pièces par les USA à une guerre contre le terrorisme qui si elle avait été réellement guerre aurait en quelques semaines effacé toute trace de l’état islamique en gestation dit Daesh et où chaque pays joue son jeu ou feint d’ignorer celui des autres notamment en faisant le vide devant sa progression ou en lui fournissant l’armement dont il avait besoin. Une rétrospective fouilleuse des frappes aériennes effectuées par la France en Irak n’y ferait état que de quelques rares tirs au but, pour des résultats médiocres et selon une routine assez curieuse. Effectivement, Si l’on se donnait la peine de confronter ce constat à d’autres faits avérés on comprendrait que Hollande se soit trouvé, sur injonction d’Obama, en position de stand by sur un théâtre d’opérations plus étranger aux préoccupations des français que la Syrie où l’alibi des griefs contre le régime de H. El Assad, en l’absence d’actions du même genre sur son territoire, risquait à la longue de perdre tout crédit. Dès le début, l’intérêt de Hollande était porté sur la Syrie quoiqu’il ait dit et répété qu’il n’y toucherait pas, prétendant attaquer les bases arrière du terrorisme en Irak. A supposer que cette position n’eût point été exigée de lui par son homologue américain en attendant d’y voir clair, on comprendrait mal de quels scrupules il se serait débarrassé aussi abruptement en ordonnant fin septembre le bombardement aérien d’une position daesh en Syrie si, plus vraisemblablement, il n’avait retrouvé une certaine liberté d’action par la volonté du premier.
Tout cela montre bien que la politique étrangère de la France a perdu ses repères propres et combien elle s’est délité de la voie tracée par le fondateur de la cinquième république, encore qu’au profit d’un leadership américain trivial.
Cependant, avec le nette impression laissée au cours du mois d’août par les trop longues tergiversations antérieures que quelque chose de décisif allait se produire, pour solde de toutes confrontations géostratégiques en syrie, les manœuvres diplomatiques dont l’intensité a culminé devant la 70ème session de l’Assemblée Générale des Nations Unies et des préparatifs militaires divers allaient dévoiler les limites de ce leadership, annonciatrices de déclin.
F. Hollande, le sujet de la présente, n’est pas perdu de vue dans cette affaire où, pour cerner ses déconvenues, il faudrait s’attarder quelque peu sur sa brusque et non moins ferme prise en mains qui vient de se produire par la Russie. Il importe aussi de signaler que la diplomatie russe s’est montrée considérablement plus alerte que celle de l’ancienne URSS à l’efficacité de laquelle H. Kissinger avait apporté le témoignage d’un connaisseur mais dont il imputait la lourdeur à la mentalité russe, cette dernière observation étant manifestement de trop.
Déjouant tous les calculs, Poutine a réussi trois coups de maître : confisquer aux USA la conduite de la coalition antiterroriste, marquer à l’avantage des forces armées de son pays un ascendant conventionnel irréversible entre puissances nucléaires dans une crise donnée, fournir une base légale acceptée officiellement ou tacitement au maintien de B. El Assad à la tête de la Syrie et de son armée, donc avec le statut réel d’un allié. E. Luttwak, père de la stratégie paradoxale doit applaudir.
Ainsi, en récidive du précédent ukrainien où l’on peut voir indifféremment un avantage ou un handicap psychologique, l’homme, à travers ses prises de positions déclarées accompagnées parfois de marques d’hésitation laissant entrevoir un possible fléchissement de son soutien au président syrien, a réussi à entretenir surtout auprès des américains la quasi certitude que ce soutien lui était dicté exclusivement par un traité d’amitié et de coopération militaire liant leurs deux pays. Evidemment, la faiblesse d’un tel argument avait ceci de rassurant qu’il laissait ouverte la porte d’un marchandage sur le sort d’ Assad. Eux-mêmes feignaient la même focalisation sur ce dernier pour des motifs plus larges mais tout aussi fallacieux et ce qui permet de l’affirmer, c’est le prix à payer qu’ils se sont montrés empressés de payer pour y arriver autrement, tout simplement en jouant le jeu d’une aide en formation et en armes à des groupes d’opposition dite modérée qu’ils savaient bien incapables de se mesurer à l’armée syrienne et, à défaut, voués à être balayés par des troupes daesh. En vérité, comme je l’ai soutenu dans un statut publié sur fb 17/9/ 2015 sous le titre « Le chemin bloqué de Damas », pour la Fédération de Russie l’éradication de l’activisme islamique armé est une nécessité vitale qui n’a pas été évaluée correctement par les occidentaux.
Poutine avait d’autres raisons de le leur faire oublier momentanément avant d’étaler son jeu devant les Nations Unies et de se prévaloir de la légitime défense avec une fermeté dissuasive que tout le monde comprend. Celle à retenir principalement tient au grand risque qui aurait été encouru, en exprimant des craintes sur le fond, de donner un signal de faiblesse à la rébellion islamiste dormante dans les républiques du Caucase, voire en Russie, en le faisant trop tôt, c’est à dire avant de mettre en place un dispositif militaire adéquat et d’apporter de l’extérieur une démonstration de sa volonté d’en découdre.
A cet égard, on voit mal comment le prétendu état islamique pourrait continuer à exister sous le déchainement de la machine de guerre russe qui ira grandissant et a vocation à s’étendra à l’Irak.
En tout état de cause, il est acquis qu’un magistral coup d’arrêt vient d’être donné au jeu ambigu des USA qui ne pourront désormais que suivre la voie ainsi tracée pour mener une guerre sans merci au terrorisme islamique ou laisser faire. Ce n’est pas un vœu pieux car, dans la recherche d’un équilibre avantageux pour les intérêts de son pays au Moyen-Orient, Obama que tout accuse d’avoir tenu daesh fer au feu, est plus que jamais sommé de réviser sa stratégie de sécurité nationale (NSS. 2015) et cela pour deux raisons, la première est qu’elle ne donne pas des choix clairs à sa politique étrangère mais l’enferre dans l’hésitation et coûte cher en vies humaines et en destructions, la deuxième est que le pétrole arabe ne risque pas de s’évaporer.
Quant aux monarchies de Saoudie et du Quatar que Poutine a désignées du même coup à la vindicte américaine, elles n’en avaient pas besoin depuis déjà quelque temps. La Turquie, elle qui a tout misé sur ledit état islamique, se retrouve dans un indescriptible pétrin.
Je me relis et m’aperçois que j’ai perdu Hollande en chemin, un chemin en lacets, il est vrai mais qu’il me sera pardonné, je l’espère, d’avoir suivi sans carte.
On le retrouvera éconduit et perdant dans une équipée hasardeuse avec un Obama qui n’en mène pas plus large.
Abdessalem LARIF.8/10/2015.