Lettre ouverte au nouvel Ambassadeur des USA en Tunisie
27 octobre 2015
Abdelaziz Belkhodja:
Publié par Candide le 27 octobre 2015 dans Actualités, Tunisie, USA
Lettre ouverte de Abdelaziz Belkhodja au nouvel Ambassadeur des USA en Tunisie
À l’aimable attention de Son Excellence M. Daniel H. Rubinstein, nouvel ambassadeur des Etats Unis d’Amérique auprès de la République Tunisienne.
Lettre ouverte de Abdelaziz Belkhodja au nouvel Ambassadeur des USA en Tunisie
À l’aimable attention de Son Excellence M. Daniel H. Rubinstein, nouvel ambassadeur des États Unis d’Amérique auprès de la République Tunisienne.
Excellence, nous, citoyens de Tunisie, avons le plaisir de vous présenter dans cette lettre, l’autre versant du discours tenu par nos officiels qui n’ont tenu aucune de leurs promesses électorales et qui, de ce fait, ne nous représentent plus que très peu.
Ici, Excellence, vous découvrirez que les citoyens de ce pays ont bien d’autres choses à vous exprimer, à vous et au peuple américain, que les simples formules diplomatiques d’usage marquant « l’amitié entre nos deux peuples » et « nos intérêts communs ».
Nous vous souhaitons d’abord la bienvenue dans ce pays qui, après deux mille ans d’occupation, 250 ans de monarchie et60 ans de République, a arraché avec vigueur et doigté sa liberté. Mais en quelques phrases, permettez-moi de vous présenter l’âme de ce pays où est née, il y a 40 000 ans, du côté d’El Guettar, près de Gafsa, la foi. Ce pays dont l’histoire écrite a commencé, en contrebas de votre résidence, sur la plage d’Hamilcar où a débarqué l’intelligente et belle Elyssa qui a fondé, au 9e siècle avant J.C., la grande Carthage. Le système de gouvernement qu’elle a institué, excluant toute tyrannie, allait, quelques siècles plus tard, aboutir à la République. « L’une des meilleures du monde » commente Aristote dans son traité sur les Constitutions ; « très probablement la première république de l’histoire », ajoutent certains de nos fiables historiens. Ensuite, Excellence, si Carthage est devenue la plus prestigieuse république du monde et si son histoire a brillé de mille feux, c’est parce qu’elle avait pour principe de s’enrichir, TOUT EN ENRICHISSANT LES AUTRES, n’est-ce pas. Carthage, là où elle s’installait, le faisait avec l’assentiment des peuples et elle apportait avec elle son savoir agricole, industriel, culturel et même institutionnel, pour aider les communautés à s’ériger en Etats modernes, pour élever les peuples à un niveau supérieur de civilisation. Cette politique a entraîné Carthage à répandre, sur tout le monde méditerranéen, le modèle fédéral, et c’est en défendant ce modèle, basé sur la liberté des peuples, qu’elle a été confrontée à Rome qui, elle, défendait un autre modèle, basé sur l’impérialisme.
Carthage a fini par perdre. Non parce qu’elle était moins intelligente ou moins puissante. Loin de là. Elle a perdu parce que ses dirigeants, corrompus, ont oublié l’intérêt supérieur de leur nation.
C’est ainsi que Carthage et son fabuleux modèle défenseur des peuples, ont disparu et que le monde est tombé, durant deux millénaires – et ce n’est pas fini – sous la coupe de l’impérialisme destructeur des peuples et des identités.
Mais venons-en maintenant à ce qui nous importe : votre mission diplomatique en Tunisie.
Excellence, nous avons vécu dans ce pays un événement exceptionnel qui a enflammé le monde arabe dans un mouvement libérateur des peuples soumis, depuis toujours sinon depuis des siècles, à des pouvoirs dictatoriaux.
Ce mouvement, éminemment progressiste et libéral, a été récupéré par une obscure nébuleuse pour le dompter à coup de milliards de pétrodollars et l’adapter à d’autres objectifs géostratégiques. N’entrons pas dans des détails que vous maîtrisez autant que nous.
Nous Tunisiens, dans notre idéalisme révolutionnaire de janvier 2011, pensions naïvement que l’Amérique allait soutenir la Tunisie et aussi l’Egypte, – fers de lance de « l’Hiver arabe » – pour initier enfin dans ce monde arabe un nouvel ordre basé sur les principes que nous venions de faire triompher au prix du sang, principes que l’Amérique déclare défendre, et qui sont inscrits aux premières lignes de votre Constitution.
Mais quelle a été notre déception quand votre gouvernement a fait exactement le contraire. Quand il a préféré conforter dans leur brutalité les monarchies du Golfe en lançant avec eux une contre-révolution, et en finançant, dans les pays qui venaient d’être libérés, pour prendre le pouvoir, la confrérie des Frères Musulmans, que l’Amérique soutien depuis des années, croyant, au mieux, qu’ils sont aptes à opérer une transition démocratique, au pire, à la servir.
Je ne reviendrais pas là dessus, vous avez très bien vu leur incapacité à gérer un Etat ni à assurer une quelconque étape politique puisque c’est la Société Civile tunisienne qui s’est chargée d’assurer la transition démocratique alors que les Frères musulmans se sont enlisés dans le mensonge, la corruption, la compromission et le terrorisme, sinon dans la pure trahison, ce qui a d’ailleurs poussé les nationalistes égyptiens à repousser l’horizon démocratique pour sauver leur nation en proie à la secte .
L’attaque de votre ambassade, le 14 septembre 2012, et dont vous connaissez parfaitement les tenants et les aboutissants, aurait dû finir par convaincre votre gouvernement de la nocivité de cette secte, mais le fait est que vous aviez besoin de leurs basses œuvres.
Le message que nous tenons à vous transmettre, Excellence, c’est que nous ne sommes profondément déçus de votre politique inamicale envers nous.
Nous sommes déçus du fait que le gouvernement américain a continué, malgré leur forfaiture, à soutenir les Frères Musulmans pour profiter de leur unique qualité, celle de recruteurs de terroristes, et remplir ainsi les rangs des légions d’assassins (8000 rien que pour la Tunisie !) que vous lancez contre les Etats qui refusent de se soumettre à votre ordre. Vous avez recours à ces assassins parce que vous savez que personne, en Amérique, n’est prêt à se battre pour des guerres aussi sales. Mais ce n’est pas tout, Excellence, car en fin de compte, votre compromission avec cette secte, à quoi vous aura-t-elle servi? L’essentiel de vos objectifs stratégiques se sont retournés contre vous et aujourd’hui le résultat est là : la Russie est revenue au premier plan de la géopolitique mondiale et l’axe chiite est encore plus fort qu’il ne l’était avant vos interventions en Irak. A quoi ça vous a servi d’ignorer le mouvement démocratique et de vous coltiner les Frères musulmans et de continuer à protéger les pétromonarchies moyenâgeuses ? A détruire définitivement l’image des USA? A montrer que votre action au Moyen Orient n’était qu’une mascarade, à prouver que les forces russes sont 1000 fois plus efficaces que les vôtres? A faire en sorte que les gens, aujourd’hui, prient sincèrement pour la réussite de la Russie? Quel piètre bilan!
Bref, Excellence, aujourd’hui le monde entier sait que vous financez, armez, formez et soignez les pires assassins que l’histoire de l’humanité n’ait jamais connu. Des gens qui en arrivent à détruire des œuvres archéologiques sept fois millénaires ! Ce qui veut dire qu’en 7 millénaires, jamais l’Humanité n’a vu de tels sauvages. Et ce sont vos alliés! Vos alliés contre nos Etats! Des Etats construits patiemment et avec sacrifices, qui éduquent leurs peuples, et tiennent à les élever à un plus haut degré de civilisation. Des Etats, certes avec des défauts. Mais franchement, Excellence, que sont ces défauts devant ceux de vos amis wahhabites?
Ce que nous voulons enfin vous dire, Excellence, c’est que désormais le monde a changé et que tous, nous espérons sincèrement que l’Amérique comprendra qu’elle ne peut pas continuer à affecter toute sa puissance à la défense de faux intérêts, que ce soit ceux de ces monarchies d’un autre temps, ou ceux de l’Apartheid israélien qui empoisonne la vie de la planète.
L’Amérique est aujourd’hui devant un choix : soit elle s’enfonce à nouveau dans une guerre froide qui ne va servir qu’à poursuivre le pourrissement de l’humanité par une nouvelle course aux armement aussi absurde qu’inutile et indécente, soit elle décide d’avoir des rapports de dignité avec les autres et de renouer ainsi avec ses principes fondateurs et travailler sérieusement et sans hypocrisie ni partialité pour les libertés, la démocratie et la prospérité. Un peu comme le faisait Carthage, à sa grande époque.
Nous, Tunisiens, y avons cru, et continuons à y croire parce qu’il y a 3000 ans une belle et intelligente princesse, fuyant la tyrannie, est venue semer à Carthage, là bas, en bas de votre Résidence, le gout de la liberté et de la civilisation. C’est la raison pour laquelle, Excellence, il n’y a pas moins de 39 villes dénommées Carthage aux USA, et il y a même une ville qui porte le nom d’Hannibal. D’ailleurs Hamlin, le véritable initiateur de la libération des esclaves et bras droit du grand Abraham Lincoln, ne portait-il pas le nom de notre héros carthaginois ? Vous venez de fouler une terre précieuse, excellence, une terre capable des plus grands miracles. Tentez de vous en inspirer.
Respectueusement
Abdelaziz Belkhodja
Citoyen tunisien
Tunis 27 octobre 2015
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