Elections régionales : Les médias subventionnés et les élites «choquées» affichent leur mobilisation de classe contre les classes populaires

Par Guillaume Borel | 07.12.2015

Alors qu’au lendemain du premier tour des élections régionales, le Front National de Marine Le Pen est officiellement devenu le premier parti de France en totalisant 28 % des suffrages exprimés devant Les Républicains, 27 %,  et le Parti socialiste, 23,5 %, la presse subventionnée est scandalisée et tient à le faire savoir à ces lecteurs.

Dans Libération, Laurent Joffrin donne le ton en dégainant un éditorial intitulé « Ennemi », flanqué d’un article dont le titre sensationnel occupe la moitié supérieure de la page : « FN premier péril de France » :

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Le quotidien ne fournit cependant aucune explication au succès du Parti de Mme Le Pen, il est vrai qu’il aurait fallu pour cela que la rédaction se donne la peine de produire une analyse de la politique menée par la majorité au pouvoir, dont le scrutin de dimanche constitue un rejet sans appel. Cette démarche journalistique semble aujourd’hui impossible au sein du journal Libération tant la défaite du parti socialiste et de ses idées est également celle de la rédaction de Libération qui défend, depuis le traité de Maastricht, l’idéologie euro-libérale des classes dominantes. C’est précisément sur ces questions que le Front National s’inscrit en opposition contre l’ensemble de l’espace politique et médiatique subventionné en se prononçant pour une sortie de l’espace Schengen et pour une renégociation des traités européens dans le sens d’un retour à la souveraineté nationale. Le parti est également favorable à un abandon de l’euro, dont l’adoption s’est accompagnée de la mise en place de mécanismes d’austérité budgétaire contraignants, comme le pacte budgétaire européen (TSCG).

La rédaction de Libération, se trouve donc dans l’incapacité de penser l’impensé des élites au pouvoir, à savoir qu’une couche de plus en plus importante de la population puisse rejeter le système idéologique dominant, présenté par l’ensemble de la classe politique et des médias de masse subventionnés comme le seul « raisonnable ». L’ascension du parti Frontiste réveille l’éternel cauchemar des classes dominantes que constitue l’émergence d’une force de contestation populaire en mesure de remettre en cause ses intérêts.

Ce n’est ainsi pas un hasard si, la semaine précédant les élections régionales, le représentant du patronat français Pierre Gattaz avait mis en garde contre « le programme économique » du Front National en le qualifiant notamment « d’irresponsable » et en le comparant au programme commun de la gauche de 1981. Ainsi lorsqu’il affirme : « Extrême droite, extrême gauche, c’est la même chose: Mélenchon-Le Pen, même combat. » M Gattaz ne donne pas autre chose à entendre que les intérêts et les oppositions de classe de la classe dominante face au danger que représente toute force politique représentant les classes populaires, qu’elle soit issue de l’extrême gauche ou de l’extrême droite de l’échiquier politique.

Les élites considèrent en effet traditionnellement le peuple et ses représentants comme une masse manipulée guidée par ses seules intérêts et ses passions, incapable d’agir de manière rationnelle dans l’optique d’un « bien commun » dont elles se considèrent comme les seules dépositaires et représentants légitimes.

Le quotidien Libération exprime parfaitement ce préjugé de classe lorsqu’il conclu son dossier sur le premier tour des élections régionales : « Répétition générale pour une France malade » :

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C’est ainsi tout le système médiatique subventionné par le pouvoir politique – et qui partage les mêmes intérêts de classe – qui se trouve « choqué » par l’irruption de « l’irrationalité » et de la « folie » populaire, qui ne peuvent qu’être le fait de la « maladie » comme le souligne Libération, et non la traduction politique de l’opposition des intérêts de classe.

La campagne précédent les élections avait déjà montré les signes de la divergence de classe opposant le parti frontiste à la presse, à travers la polémique ayant opposé Marine Le Pen et le journal régional La Voix du Nord qui s’était engagé dans la campagne politique en titrant : « Pourquoi une victoire du FN nous inquiète. »

La présidente du Front National avait réagi en dénonçant un « tract du Parti Socialiste » et le système des aides à la presse qui constitue une forme de mise sous tutelle des médias vis à vis du pouvoir politique. La Voix du Nord a ainsi touché plus de 2,4 millions d’euros de subventions en 2013 pour un total d’aides à la presse de plus de 430 millions d’euros.

Le « choc » ressenti par la presse française face à la montée du Front National tient donc tout autant de la divergence idéologique de classe qui la sépare des classes moyennes et populaires, qui constituent le socle de l’électorat frontiste, que de ses intérêts spécifiques liés notamment au système d’aides publiques.

Le programme du Front National prévoit ainsi l’interdiction pour un groupe privé bénéficiaire de contrats publics d’être propriétaire d’un groupe de presse, disposition qui concernerait particulièrement le journal Le Figaro, propriété du groupe Dassault. Plus généralement, le système d’aides à la presse serait revu et « les subventions seront plus liées qu’aujourd’hui aux recettes propres, les structures subventionnées devront prouver qu’elles touchent un public important. »

De quoi en effet susciter l’inquiétude de nombreux titres de presse qui sont les principaux bénéficiaires du système d’aides actuelles malgré la baisse significative de leur lectorat, comme c’est le cas par exemple du journal Libération et du Nouvel Observateur qui ont touché en 2013 9,8 et 8,2 millions d’euros de subventions pour seulement 32 et 26 millions d’exemplaires diffusés. A titre de comparaison, le journal Le Parisien a touché pour la même année un peu moins de 4 millions d’aides soit deux fois moins, pour une diffusion supérieure à 88 millions d’exemplaires, soit trois fois plus que le Nouvel Observateur…

C’est donc selon la logique de leurs intérêts corporatistes – aussi bien que ceux de leurs propriétaires et de la classe dominante à laquelle ils appartiennent et dont ils partagent et diffusent l’idéologie – qu’une grande partie de la presse a titré au lendemain du premier tour des élections régionales sur le « choc » ressenti, traduisant en cela ses intérêts et sa mobilisation de classe.

Le journal L’Humanité et Le Figaro ont partagé ce jour-là le même titre, affichant ainsi, au-delà des clivages qui structurent le champ politique considéré comme légitime, la même appartenance de classe et le corporatisme de la presse française …

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Par Guillaume Borel | 07.12.2015

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