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13 décembre 2024

Les enfants : premières victimes des bombardements


Les enfants : premières victimes des bombardements

En parallèle à la sortie de notre rapport, une table ronde est organisée ce mercredi 16 décembre avec la chercheuse responsable des enquêtes au Yemen, le photographe Guillaume Binet et Laurent Boneffoy, chargé de recherches au CNRS. Entrée libre à la Tentation à Bruxelles

Les forces de la coalition conduite par l’Arabie saoudite se sont livrées à plusieurs frappes aériennes qui ont visé des établissements scolaires toujours utilisés, en violation du droit international humanitaire, et ont ainsi entravé l’accès à l’éducation de milliers d’enfants du Yémen, écrit Amnesty International dans une synthèse rendue publique vendredi 11 décembre. Les forces de la coalition sont armées par des États, dont les États-Unis et le Royaume-Uni.

Dans ce document intitulé ‘Our kids are bombed’ : Schools under attack in Yemen, Amnesty International enquête sur cinq frappes aériennes contre des écoles qui se sont déroulées entre les mois d’août et d’octobre 2015. D’après les recherches menées par l’organisation au Yémen, celles-ci ont fait cinq morts et au moins 14 blessés, dont quatre enfants, dans la population civile. Les élèves ne se trouvaient pas dans les établissements lors des attaques, mais celles-ci ont gravement endommagé ou détruit les locaux, ce qui va avoir des conséquences durables pour les élèves.

« La coalition dirigée par l’Arabie Saoudite a lancé plusieurs frappes aériennes illégales contre des établissements utilisés à des fins pédagogiques – et non militaires –, ce qui constitue une violation flagrante des lois de la guerre, a déclaré Lama Fakih, conseillère pour les situations de crise à Amnesty International, qui vient de rentrer du Yémen.

Au Yémen, plus de 1000 établissements scolaires sont hors d’usage : 862 sont au moins partiellement détruits et 421 servent d’abris aux personnes déplacées par le conflit.

« Les écoles sont des lieux de vie très importants pour la population civile, elles sont supposées être des espaces sûrs pour les enfants. Les jeunes élèves du Yémen sont contraints de faire les frais de ces attaques. Déjà durement touchés par le conflit, ils voient leur éducation bouleversée, ce qui pourrait constituer un handicap qui les suivra toute leur vie. »

Certains établissements scolaires ont été bombardés à plusieurs reprises, ce qui porte à croire qu’ils ont été délibérément pris pour cibles.

« Attaquer délibérément des écoles qui ne sont pas des objectifs militaires et s’en prendre directement à des civils qui ne participent pas aux hostilités sont des crimes de guerre », a déclaré Lama Fakih.

Les dégâts ont gravement perturbé la scolarité des plus de 6 500 enfants inscrits dans les écoles des gouvernorats de Hajjah, d’Al Hudaydah et de Sanaa. Il s’agissait parfois des seuls établissements scolaires de la région. Rien ne donnait à penser que l’un des cinq établissements bombardés aurait pu être utilisé à des fins militaires.

En octobre 2015, l’école Science et foi du village de Magreesh (district de Bani Hushaysh, gouvernorat de Sanaa), a été bombardée à quatre reprises en quelques semaines. La troisième frappe a tué trois civils et fait plus de 10 blessés. Mille deux cents enfants étaient scolarisés dans cette école, la seule du village.

Dans le secteur de Hadhran (district de Bani Hushaysh), l’école Kheir a également été la cible de plusieurs frappes aériennes, qui ont gravement endommagé les locaux les rendant inutilisables. Lors de ces attaques, deux habitations civiles et une mosquée ont également été touchées : dans l’une de ces habitations, deux enfants ont été tués et leur mère a été blessée tandis qu’un homme est mort et un autre a été blessé alors qu’ils priaient dans la mosquée.

Amnesty International demande qu’une enquête indépendante et impartiale soit ouverte sur les cinq attaques présentées dans sa synthèse, et que les auteurs présumés de ces attaques soient tenus de répondre de leurs actes. L’organisation engage également la coalition à accorder des réparations pleines et entières aux victimes de ces attaques illégales et à leurs familles.

« Les attaques illégales présumées, dont la liste ne cesse de s’allonger, ne font l’objet d’aucune enquête de la part de la coalition saoudienne ni des États qui lui fournissent un soutien, notamment des armes. Cette situation dénote une impassibilité inquiétante à l’égard des conséquences dévastatrices de cette guerre sur les civils au Yémen, a déclaré Lama Fakih.

« Quelle que soit l’issue des négociations de paix qui doivent se tenir la semaine du 14 décembre, il est essentiel que des enquêtes indépendantes soient menées sur ces attaques et d’autres frappes aériennes illégales, et que les responsables présumés aient à rendre des comptes. »

C’est tout le système éducatif yéménite qui pâtit du conflit. D’après l’UNICEF, au moins 34 % des enfants ne vont plus à l’école depuis les premières frappes aériennes, en mars 2015. D’après les chiffres communiqués à Amnesty International par le ministère de l’Éducation, installé à Sanaa, plus de 1 000 établissements scolaires ne fonctionnent plus : 254 ont été entièrement détruits, 608 l’ont été partiellement, et 421 servent d’abri aux personnes déplacées dans le pays par le conflit.

Ces frappes aériennes ont également terrifié la population civile et ont été traumatisantes sur le plan psychologique pour les élèves.

« Nous vivons dans la peur. Aujourd’hui, j’ai vu un avion, j’étais terrifiée », a déclaré une enfant de 12 ans scolarisée à l’école d’Al Asma, dans le village de Mansouriya (Al Hudaydah), détruite en août par un bombardement de la coalition.

La directrice d’un autre établissement de la ville de Hodeida, le campus Al Shaymeh réservé aux filles où sont inscrites quelque 3 200 étudiantes, a fait part de son émotion après que l’établissement eut été bombardé à deux reprises en l’espace de quelques jours, en août 2015. Aucune étudiante ne se trouvait sur le campus, mais un homme et une femme ont été tués.

« Pour moi, toute humanité avait disparu. Attaquer, sans sommation, un établissement d’enseignement… Où se trouve l’humanité ? […] S’en prendre à ce type de lieu est censé être illégal en temps de guerre », a-t-elle déclaré.

1200 enfants étaient scolarisés à l’école Science et foi dans le gouvernorat de Sanaa, bombardée à 4 reprises en quelques semaines.

Des rumeurs, selon lesquelles l’établissement servait de cache d’armes, avaient été colportées, notamment sur les réseaux sociaux, avant les bombardements, mais la directrice a expliqué à Amnesty International qu’elles étaient infondées. L’établissement avait été fouillé à la suite de ces rumeurs : aucune arme n’avait été trouvée.

Même si des établissements scolaires yéménites ont parfois été utilisés à des fins militaires par les différentes parties au conflit, dans les cinq attaques évoquées dans sa synthèse, Amnesty International n’a trouvé aucun élément (fragments d’armes, débris d’explosions secondaires, etc.) tendant à prouver que ces établissements l’avaient été.

Les groupes armés étatiques et non étatiques ne doivent pas se servir d’établissements scolaires à des fins militaires, ni se livrer à des opérations à proximité de ces établissements, car ils risquent alors de devenir des cibles militaires légitimes, exposées à des attaques, ce qui met en danger la population civile et peut avoir des effets négatifs à long terme sur l’accès des enfants à l’éducation.

Dans sa résolution 2225 sur le sort des enfants en temps de conflit armé, adoptée cet été, le Conseil de sécurité des Nations unies a exhorté toutes les parties au conflit à « respecter le caractère civil des écoles » et s’est dit préoccupé par le fait que l’utilisation d’écoles à des fins militaires puisse en faire des cibles légitimes au regard du droit international et mettre en danger la sécurité des enfants.

Les enfants sont les premières victimes de la guerre au Yémen avec pas moins 6500 élèves qui sont aujourd’hui déscolarisés en raison de la destruction de leur école par les bombardements réalisés par la coalition emmenée par l’Arabie saoudite.

La synthèse d’Amnesty International insiste également sur la nécessité pour tous les États qui fournissent des armes à la coalition saoudienne, dont les États-Unis et le Royaume-Uni, de suspendre de toute urgence tous les transferts d’armements utilisés pour commettre des violations du droit international, y compris des crimes de guerre. Il convient notamment pour les États fournisseurs d’armes de suspendre les transferts de bombes d’emploi général, d’avions de chasse, d’hélicoptères de combat et de pièces et composants associés.

En novembre, le ministère des Affaires étrangères des États-Unis a approuvé un transfert d’armes (dont des bombes d’emploi général MK89) d’un montant de 1,29 milliard de dollars à destination de l’Arabie saoudite, alors qu’Amnesty International avait recueilli des informations établissant leur utilisation lors de frappes aériennes illégales qui avaient fait plusieurs dizaines de morts dans la population civile.

« Il est inacceptable que les États-Unis, entre autres alliés de la coalition conduite par l’Arabie saoudite, continuent d’autoriser des transferts d’armements à destination de membres de cette coalition en dépit d’éléments attestant de toute évidence qu’ils ne respectent pas les lois de la guerre ni le droit international humanitaire. Ces transferts doivent cesser immédiatement, a déclaré Lama Fakih.

« Les États qui approvisionnent la coalition en armes doivent également user de leur influence pour presser les membres de celle-ci de respecter leurs obligations internationales et d’enquêter sur les violations du droit international humanitaire. »

Il est interdit aux États parties au Traité sur le commerce des armes, dont le Royaume-Uni, de donner leur aval à un transfert d’armes dès lors qu’ils savent que les armes en question serviront à commettre des attaques dirigées contre des civils ou des biens de caractère civil, ou d’autres violations du droit international humanitaire.

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