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Une nouvelle étude universitaire publiée dans le journal médical Reproductive Health Matters a révélé des dizaines de cas de « torture sexuelle ou de maltraitance sexuelle supposées » à l’encontre de prisonniers palestiniens masculins détenus en Israël.

L’article, intitulé « Tortures sexuelles de la part des autorités israéliennes sur des Palestiniens de sexe masculin »,  est présenté comme « une première dans les enquêtes sur la torture et les mauvais traitements de nature sexuelle supposés infligés par les autorités sécuritaires israéliennes sur des Palestiniens. »

Les conclusions de l’étude « montrent que les mauvais traitements d’ordre sexuel sont systématiques », avec 60 témoignages identifiés pour la période 2005-2012. Selon l’article, « les autorités israéliennes sont systématiquement impliquées dans des tortures et mauvais traitements de nature sexuelle ».

Daniel J.N. Weishut, un psychologue clinique et chargé de cours à l’Université Bar Ilan, a signé l’étude qui s’appuie sur une banque de données de témoignages collectés par l’ONG de défense des droits humains The Public Committee Against Torture in Israel (PCATI – Comité public contre la torture en Israël). Weishut est un membre bénévole de l’équipe médico-légale du PCATI.

Selon Amnesty International, « les détenus palestiniens ont continué à être torturés et maltraités par les fonctionnaires israéliens de la sécurité, en particulier par ceux de l’Agence de la Sécurité intérieure [1], qui ont fréquemment tenu des prisonniers au secret durant des journées entières, voire des semaines, à des fins d’interrogatoire. »

 

Catégories de tortures et mauvais traitements à caractère sexuel
Nombre d’incidents
Brimades verbales
à caractère sexuel
36
 Humiliation verbale
à caractère sexuel
8
 Menaces
d’agression sexuelle
14
 Humiliation verbale
à caractère sexuel (famille)
9
 Menace d’agression
sexuelle visant la
famille
5
Nudité forcée35
 Nudité partielle forcée16
 Nudité totale forcée19
Agressions
physiques à
caractère sexuel
6
 Coups/coups de pied aux parties
génitales
4
 Viol simulé1
 Viol au moyen d’un objet1
TOTAL77

 

Les méthodes utilisées comprenaient des « agressions physiques tels gifles et étranglements, entrave prolongée des membres, positions douloureuses, privation de sommeil et menaces à l’encontre des détenus et de leur famille ». Amnesty de conclure :

« Les autorités n’ont pas entrepris les démarches adéquates soit en vue d’empêcher la torture soit en vue de mener des enquêtes indépendantes lorsque les détenus se sont plaints de tortures, ce qui a nourri tout un climat d’impunité. »

Weishut décrit « les tortures et les mauvais traitements à l’encontre des prisonniers palestiniens » de la part des fonctionnaires israéliens comme « très répandues », en dépit de la ratification par Israël de la Convention des Nations unies contre la torture, de l’interdiction du « recours à diverses formes de torture » et des « lois contre le harcèlement et les violences de nature sexuelle ».

Les fonctionnaires israéliens chargés des interrogatoires, toutefois, sont officiellement autorisés à recourir à des méthodes« exceptionnelles » d’interrogatoire et à la« pression physique » dans ce qu’on appelle les situations de « bombe à retardement ». Bien des gens estiment que cette« exception » est utilisée « bien trop fréquemment » et qu’elle constitue une« institutionnalisation de facto de la torture par les autorités israéliennes ».

En outre, alors que les victimes peuvent aller en Justice et se faire dédommager « si la torture a été prouvée », dans la pratique, « les allégations de torture sont écartées sans enquête criminelle ou tout simplement rejetées et les auteurs sont disculpés, bien que, dans de rares cas, des soldats soient punis en fonction d’un système disciplinaire ».

Une telle impunité est malheureusement habituelle. Un examen par l’armée israélienne de 400 incidents ou cas de suspicion d’infractions vis-à-vis de la loi lors de l’opération « Plomb durci » de 2009, n’a abouti qu’à trois condamnations : la sentence la plus sévère a été adressée à un soldat qui avait volé une carte de crédit. Quand il s’agit de la violence des colons en Cisjordanie, laprobabilité de voir une plainte palestinienne déboucher sur une condamnation est à peine de 1,9%.

Selon la Convention des Nations unies contre la torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants, citée dans l’étude, la torture consiste en :

« tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne aux fins notamment d’obtenir d’elle ou d’une tierce personne des renseignements ou des aveux, de la punir d’un acte qu’elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonnée d’avoir commis, de l’intimider ou de faire pression sur elle ou d’intimider ou de faire pression sur une tierce personne, ou pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu’elle soit, lorsqu’une telle douleur ou de telles souffrances sont infligées par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite. Ce terme ne s’étend pas à la douleur et aux souffrances résultant uniquement de sanctions légitimes, inhérentes à ces sanctions ou occasionnées par elles. »

L’étude de Weishut visait « à identifier la violence sexuelle contre des détenus palestiniens de sexe masculin afin de révéler l’ampleur et la nature sexuelle de la violence et des mauvais traitement mentionnés dans une collection de rapports, comme une composante du cadre plus large des tortures perpétrées par les autorités israéliennes ».

La majorité des victimes palestiniennes (43 pour 100) étaient âgées de 20 à 29 ans à l’époque de l’incident ; 15% étaient des mineurs. Les témoignages comprenaient des « allégations concernant quatre catégories différentes d’auteurs :

  1. des soldats et des agents de la police des frontières (25 rapports),
  2. des agents des services secrets (25 rapports),
  3. des policiers (8 rapports), et
  4. des agents pénitentiaires (9 rapports) ».

Weishut a divisé les incidents en trois catégories : le harcèlement sexuel verbal, la nudité forcée et l’agression sexuelle (60 témoignages indiquaient des incidents de torture ou de mauvais traitements de nature sexuelle, mais comme certains de ces témoignages comprenaient plus d’un incident de ce type, un total de 77 incidents ont été identifiés).

Selon l’auteur, « le harcèlement sexuel verbal semble relativement répandu parmi les autorités sécuritaires israéliennes », y compris « le harcèlement sexuel verbal en général, les menaces de viol, l’humiliation sexuelle concernant les membres de la famille et les menaces à l’égard des membres de la famille ». La plupart de ces cas« impliquaient des agents des services secrets essayant d’obtenir une confession ».

« Et il a dit […] si tu acceptes de parler et que tu signes tout ce qu’on te dit de signer, nous te traiterons bien, sinon, nous allons baiser ta sœur. » (âge 15 ans de l’abusé par les services secrets israéliens)
« L’un des gens qui interrogeaient à dit : ‘Si tu n’avoues pas, je vais t’enfoncer mon pied dans le cul !’ […] L’un des deux hommes avait une lampe électrique avec des fils et il m’a dit : ‘Si tu n’avoues pas, je vais te mettre ces fils électriques dans le cul.’ […] J’ai avoué par crainte de l’électricité et parce que j’avais peur qu’ils ne mettent les fils dans mon derrière. » (âge 17 ans de l’abusé par les services secrets israéliens)

Les exemples de nudité forcée comprenaient la description par certaines victimes de leur interrogatoire après avoir été dévêtues, alors que certaines détenus « ont raconté qu’on les avait photographiés nus ». L’étude fait remarquer que « ce genre de mauvais traitements rappellent ceux d’Abou Ghraïb [2] ».

« Quand je suis descendu de la jeep de l’armée à [nom de l’endroit], j’étais nu comme un bébé qui vient de naître et les soldats se sont mis à prendre des photos de moi. » (âge 23 ans de l’abusé par des militaires israéliens)

L’étude met en évidence un article de 2013 qui « concluait que l’humiliation sexuelle est considérée comme une forme de torture psychologique, avec de nombreuses victimes revivant douloureusement les souvenirs des insultes et menaces de nature sexuelle. Il a été suggéré que la nudité forcée, qui prive une personne de son intimité, la place dans une position honteuse l’expose à un risque d’agression, soit considérée comme comparable à une agression sexuelle ».

Le Protocole d’Istanbul est un ensemble de directives internationales pour l’enquête et la collecte de renseignements sur la torture et ses conséquences ; il est devenu un document officiel des Nations unies en 1999. Les directives stipulent que « les menaces, insultes et moqueries verbales à caractère sexuel font également partie de la torture sexuelle » et que « la nudité accroît la terreur psychologique de chaque aspect de la torture ».

L’étude de Weishut comprend également des rapports concernant des agressions sexuelles, avec « coups dans les testicules (…) décrits par plusieurs victimes ». Un témoignage concernait une simulation de viol.

« L’un des militaires en civil s’est couché sur moi et s’est mis à me caresser le derrière comme s’il avait une relation sexuelle avec moi et il a commencé à remuer les hanches et les parties génitales tout en émettant des sons. À ce moment-là, j’ai essayé de le combattre de toute ma force, mais j’avais les mains liées derrière le dos et je n’ai rien pu faire. Quand ce soldat en civil s’est redressé, un autre est venu et lui aussi s’est mis à caresser mes parties sexuelles et mes fesses. Il a essayé de m’enlever mon pantalon, mais je lui ai donné des coups de pied et alors ils m’ont frappé sur toutes les parties du corps à coups de poing et de pied. » (âge 26 ans de l’abusé par des militaires israéliens)

De tous les cas répertoriés dans cette étude, un incident de 2007, concernant « un viol réel avec un objet contondant » est le seul cas « dans lequel la plainte de la victime n’a pas été rejetée par les autorités ». Selon l’étude, « à l’heure où le présent article est rédigé, il est toujours traité en justice ».

Alors que l’étude met en épingle 60 incidents spécifiques, l’auteur estime « qu’on s’attend à ce que le nombre réel d’actes de torture et de maltraitance de nature sexuelle soit bien plus élevé ». Il n’y a eu « aucune condamnation des auteurs »s’appuyant sur ces témoignages.

Ben White | 12 janvier 2016

[1] connu comme le “Shin Bet

[2] Abou Ghraïb : voir sur Wikipédia

Article publié par Middle East Monitor l

Ben White est l’auteur des ouvrages Israeli Apartheid: A Beginner’s Guide, et Palestinians in Israel: Segregation, Discrimination and Democracy.
Ses articles ont été publiés par divers médias, dont Middle East Monitor, Al Jazeera, al-Araby, Huffington Post, The Electronic Intifada et The Guardian.