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19 avril 2024

Tunisie : la jeunesse brave Tunis


« Extirper le sionisme de Palestine » (Al Faraby)

mercredi 20 janvier 2016

Tunisie : la jeunesse brave Tunis

La douleur du chômage. La colère face à la corruption. Un modèle économique tunisien pour partie hors service. Une jeunesse qui « porte les murs ». Additionnez ces ingrédients et vous obtiendrez des éruptions de violences dans des régions intérieures minées par l’absence de cap et de projets. Ce mercredi, des centaines de jeunes ont envahi le siège du gouvernorat. Un geste de défi à l’égard de la capitale, des dirigeants, d’hier et d’aujourd’hui, des élites.

Un rapport de force plus direct avec les représentants de l’État
En envahissant la représentation étatique, Kasserine exprime son désarroi, son rapport au pouvoir. Faute de développement régional, on scande son droit au travail chez le gouverneur. On se tourne vers l’État afin qu’il fournisse jobs et salaires. Dans un pays qui compte 650 000 fonctionnaires et 190 000 salariés des entreprises publiques, ou la masse salariale représente 13,5 % du PIB, près de 35 % du budget de l’État, l’État providence, pourvoyeur en emploi de bureaux n’est plus en capacité d’embaucher. Certes, la loi de finances 2016 prévoit 15 000 fonctionnaires de plus, dont 60 % pour garnir les rangs de l’armée et de la police en lutte avec le terrorisme. À moins de ressusciter pour de bon le modèle soviétique, les mentalités ainsi que l’exercice du pouvoir doivent changer. Une partie des Tunisiens, comme un certain nombre d’Européens, rêvent d’un emploi à vie pour se protéger de la crise. Chaque concours de recrutement attire des centaines de postulants. Quand on annonce des postes à pourvoir, des centaines de candidatures affluent. Et le choix des heureux élus mixe les critères de compétences, les choix politiques (histoire de ne léser aucun intérêt) et une légère dose de corruption. Ce qui provoque sit-in, blocages, arrêts de la productivité. Après quelques semaines de tohu-bohu, on promet de réviser les choix effectués. Le gouverneur ou quelques délégués peuvent servir de fusible si besoin est.

Trop et pas assez d’État
L’État est omniprésent dans l’économie tunisienne. Les chefs d’entreprise, de la TPE à la grosse PME, s’en plaignent. Le nombre d’activités soumis à double, triple autorisation dépasse les cent soixante sur plus de six cents. L’ancien président du CJD (centre des jeunes dirigeants), Karim Zribi, estimait, pour son propre cas, que « l’administration représente 25 % de mon agenda ». Trop présent dans certains secteurs, l’État fait défaut dans certains dossiers. Si 69 % des créations d’emplois proviennent de l’État, signe d’un secteur privé en mauvaise santé, il brille par son absence de réformes et de vision à moyen et long-terme. « Les bons entrepreneurs s’en vont pour aller là où il y a de la valeur », ajoutait Karim Zribi. Le contexte favorable à un redémarrage de l’économie non étatique n’existe pas. Et le terrorisme n’est pas le seul responsable. La taille exagérée de l’État, les déficits, l’économie de rente, les infrastructures insuffisantes, l’absence de réduction d’une fonction publique pléthorique : tout cela n’encourage pas à faire du business. Le facteur défiance accroît ce constat. Un ministre raconte que « les Tunisiens ne me croient pas quand j’explique ce que nous allons faire ». Un retour aux leçons de la révolution de 2011 s’impose pour comprendre la raison des violences qui agitent Kasserine et d’autres villes du centre.

Le suicide ou l’informel
L’immolation de Mohamed Bouazizi, le 17 décembre 2010 à Sidi Bouzid, a déclenché la révolution. Le vendeur à la sauvette de fruits et légumes réclamait le droit de travailler librement. Il n’avait pas d’autorisation, mais les quelques tomates et « felfel » (poivrons) vendus lui permettaient d’aider sa famille. Idem à Gafsa. Un quadragénaire filiforme explique qu’il « n’attend rien de l’État ». Il a donc opté pour le secteur informel. Il vend bananes et citrons aux voitures qui circulent sur le rond-point où il a installé son étal. Sa démarche est simple : ne rien attendre des autorités, ne rien leur demander. Il dort sous les barquettes de fruits. Une démarche qui explique l’importance du secteur informel qui lamine les recettes de l’État. Pour la jeunesse issue d’un système scolaire déconnectée de l’économie réelle, le suicide est une menace. Et un fait très tunisien dans le monde arabe. Il signifie une grande détresse, l’islam interdisant de se donner la mort. Mercredi 20 janvier, deux chômeurs ont voulu se défenestrer à Kasserine. Ce qui a marqué le début des affrontements qui ont fait vingt-trois blessés, dont trois policiers. À Thala, Feriana et sur une route menant à Sidi Bouzid, on a constaté des échauffourées. Un couvre-feu drastique cloue les habitants de Kasserine onze heures de suite à leur domicile. De 18 heures à 5 heures du matin. Cette vague de suicides – qui touchent également les enfants et les adolescents – fait partie des signaux inquiétants que Tunis ne peut refuser d’entendre. Et le rapport à l’État ne peut que changer. L’économie est sinistrée (chute des investissements, secteur du tourisme flanqué par terre par deux attentats, un Maroc très attractif pour les entrepreneurs, la corruption), le paysage politique miné (Nidaa Tounes pourtant au pouvoir se détruit en public), l’absence de perspectives est patente. Alors l’État est la seule valeur refuge. En 2014, lorsqu’il était chef du gouvernement, Mehdi Jomâa expliquait que « tout le monde veut avoir un travail dans l’administration avec un bureau climatisé ». Chose impossible.

L’État calme à coups d’indemnisations déguisées
Afin d’éviter la colère populaire, les gouvernements qui se sont succédé depuis le 14 janvier 2011 ont multiplié les initiatives. Versement de sommes d’argent mensuellement à Sidi Bouzid, Kasserine, création de sociétés paraétatiques, coquilles destinées à indemniser les sans-emploi sans le dire… Ziad Ladhari, ministre de l’Emploi et de la Formation professionnelle, expliquait récemment que s’il créait une indemnisation du chômage « j’aurais deux à trois millions de Tunisiens devant mon ministère »! Le budget de l’État ne le permet pas. Entre le service de la dette, la masse salariale de la fonction publique, près de 55 % dudit budget sont déjà immobilisés. Reste un débat inexistant sur la place de l’État en Tunisie. 40% de l’investissement y est public. Quel type d’économie veulent les Tunisiens ? Gérée par l’État ou laissant l’économie privée prendre l’initiative ? Pendant qu’on se jette des pierres et du gaz lacrymogène dans le centre du pays, l’ARP propose d’envoyer des parlementaires sur place afin de faire un rapport. Pas gagné.

(20-01-2016 – Benoît Delmas)

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