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20 avril 2024

Ankara jette de l’huile sur le feu syrien


L’Humanité

Ankara jette de l’huile sur le feu syrien

Pierre Barbancey


Les bombardements décidés par Erdogan aggravent le désastre humanitaire.
Photo : Anadolu Agency

Lundi 15 février 2016

Alors qu’un accord, fragile, a été ratifié à Munich sur une cessation des hostilités en Syrie d’ici une semaine et le rapide acheminement d’une aide humanitaire aux personnes prises au piège par le conflit, l’attitude guerrière de la Turquie renforce les risques criants d’une conflagration régionale.

Encouragé par le silence complice des chancelleries occidentales, Ankara continue de faire monter la tension au Moyen-Orient. Après avoir mené une répression sans merci contre les Kurdes de Turquie depuis plusieurs mois – la ville martyre de Cizre en est le symbole sanglant –, l’armée turque tourne maintenant ses canons vers le nord de la Syrie. Depuis samedi, les positions de l’armée loyaliste mais surtout celles des unités combattantes kurdes (YPG) et de leurs alliés, de groupes arabes rassemblés au sein des Forces démocratiques syriennes (FDS), sont pilonnées, particulièrement aux environs de la ville syrienne d’Azaz, dans la province d’Alep, et la base aérienne de Menagh que les Kurdes ont reprise aux djihadistes. Samedi, le premier ministre turc, Ahmet Davutoglu, a sommé les Kurdes syriens de se retirer des secteurs situés au nord d’Alep dont ils se sont emparés ces derniers jours ! « S’il y a une menace pour la Turquie, nous n’hésiterons pas à prendre en Syrie les mesures que nous avons prises en Irak et à Qandil », a-t-il promis, évoquant les offensives de ces dernières années contre le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). « Nous attendrions de nos amis et alliés qu’ils nous soutiennent », a-t-il ajouté.

Saleh Muslim, coprésident du PYD, a opposé une fin de non-recevoir aux demandes de retrait du premier ministre turc, qui n’a selon lui aucun droit de s’ingérer dans les affaires syriennes. Avant de tomber la semaine dernière aux mains des miliciens kurdes, la base aérienne de Menagh, bombardée samedi par l’armée turque, était tenue par le Front al-Nosra, branche syrienne d’al-Qaida, a-t-il souligné. « Est-ce qu’ils veulent que le Front al-Nosra y reste ou que le régime l’occupe ? » s’est-il interrogé. Il s’est empressé de contacter Joe Biden, le vice-président américain, qui semble partager ses vues concernant le PKK. Les États-Unis ont exhorté Ankara à cesser ces frappes.

Turquie et Arabie saoudite sont les principaux soutiens des groupes islamistes armés en Syrie

Le régime turc a donc décidé de s’engager encore plus dans la confrontation avec les forces kurdes. Il semble, en cela, soutenu par l’Arabie saoudite, qui vient de déployer des avions sur la base turque d’Incirlik. Riyad affirme qu’il s’agit de renforcer le dispositif contre l’organisation dite de l’« État islamique » (Daech), mais en réalité la stratégie turco-saoudienne est bien ficelée. Les deux pays sont les principaux soutiens de tous les groupes islamistes armés évoluant en Syrie, parrainent une partie de l’opposition syrienne (tout comme les Occidentaux) et s’appuient sur les déclarations américaines et françaises soulevant l’opportunité d’une « intervention de forces régionales » sur le sol syrien.

Encouragé par le silence complice des chancelleries occidentales, Ankara continue de faire monter la tension au Moyen-Orient. Après avoir mené une répression sans merci contre les Kurdes de Turquie depuis plusieurs mois – la ville martyre de Cizre en est le symbole sanglant –, l’armée turque tourne maintenant ses canons vers le nord de la Syrie. Depuis samedi, les positions de l’armée loyaliste mais surtout celles des unités combattantes kurdes (YPG) et de leurs alliés, de groupes arabes rassemblés au sein des Forces démocratiques syriennes (FDS), sont pilonnées, particulièrement aux environs de la ville syrienne d’Azaz, dans la province d’Alep, et la base aérienne de Menagh que les Kurdes ont reprise aux djihadistes. Samedi, le premier ministre turc, Ahmet Davutoglu, a sommé les Kurdes syriens de se retirer des secteurs situés au nord d’Alep dont ils se sont emparés ces derniers jours ! « S’il y a une menace pour la Turquie, nous n’hésiterons pas à prendre en Syrie les mesures que nous avons prises en Irak et à Qandil », a-t-il promis, évoquant les off ensives de ces dernières années contre le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). « Nous attendrions de nos amis et alliés qu’ils nous soutiennent », a-t-il ajouté. Saleh Muslim, coprésident du PYD, a opposé une fi n de non-recevoir aux demandes de retrait du premier ministre turc, qui n’a selon lui aucun droit de s’ingérer
dans les aff aires syriennes. Avant de tomber la semaine dernière aux mains des miliciens kurdes, la base aérienne de Menagh, bombardée samedi par l’armée turque, était tenue par le Front al-Nosra, branche syrienne d’al-Qaida, a-t-il souligné. « Est-ce qu’ils veulent que le Front al-Nosra y reste ou que le régime l’occupe ? » s’estil interrogé. Il s’est empressé de contacter Joe Biden, le vice-président américain, qui semble partager ses vues concernant le PKK. Les États-Unis ont exhorté Ankara à cesser ces frappes. Turquie et Arabie saoudite sont les principaux soutiens des groupes islamistes armés en Syrie Le régime turc a donc décidé de s’engager encore plus dans la confrontation avec les forces kurdes. Il semble, en cela, soutenu par l’Arabie saoudite, qui vient de déployer des avions sur la base turque d’Incirlik. Riyad affi  rme qu’il s’agit de renforcer le dispositif contre l’organisation dite de l’« État islamique » (Daech), mais en réalité la stratégie turco-saoudienne est bien fi celée. Les deux pays sont les principaux soutiens de tous les groupes islamistes armés évoluant en Syrie, parrainent une partie de l’opposition syrienne (tout comme les Occidentaux) et s’appuient sur les déclarations américaines et françaises soulevant l’opportunité d’une « intervention de forces régionales » sur le sol syrien.

L’attitude de la Turquie ne doit rien au hasard. Ankara sait pertinemment – et Bachar Al Assad l’a redit dans un entretien à l’AFP – que l’offensive sur Alep ne vise pas seulement la reconquête de la ville, mais également à couper la route vers la Turquie d’où proviennent les armes, le matériel et les hommes. La rébellion a ainsi annoncé qu’elle venait de recevoir des missiles sol-sol. Le président turc, Erdogan, veut également rendre impossible toute jonction entre les cantons kurdes du Rojava (Kurdistan syrien) et entend empêcher l’avancée des YPG vers Afrin, à l’ouest, qui subit le siège de forces islamistes depuis des mois.

Une réalité beaucoup plus complexe

Les tirs concentrés sur le nord de la Syrie surviennent alors que, vendredi, les grandes puissances internationales, notamment les États-Unis et la Russie, se sont mises d’accord, à Munich, sur une cessation des hostilités en Syrie d’ici une semaine et sur le rapide acheminement d’une aide humanitaire aux personnes prises au piège par le conflit. Pour autant, personne ne pense parvenir à un cessez-le-feu complet. Comme l’ont souligné tour à tour le secrétaire d’État américain, John Kerry, et son homologue russe, Sergueï Lavrov, l’accord ne concerne pas Daech, pas plus que certains groupes islamistes, à commencer par le Front al-Nosra, branche syrienne d’al-Qaida. C’est évidemment là que les choses se compliquent. Si les Occidentaux veulent parler de « rebelles modérés », sur le terrain, avec les accords passés entre les différents groupes, la réalité est beaucoup plus complexe. On trouve ainsi au sein de l’opposition parrainée par les pays du Golfe et les Occidentaux des représentants de formations armées islamistes et alliées à al-Nosra et dont le but ultime est sensiblement le même. Dans la bataille qui se déroule à Alep, le gros des troupes opposées à l’armée syrienne et aux différentes milices (iranienne ou du Hezbollah libanais) qui avancent sur la deuxième ville du pays, épaulées par l’aviation russe, est essentiellement constitué de combattants d’al-Nosra dont certains sont arrivés en renfort de ces derniers, relâchant ainsi les positions qu’ils occupaient autour de Lattaquié.

En jetant de l’huile sur le feu, Erdogan cherche donc à empêcher la mise en œuvre de l’accord passé. Celui-ci est fragile et doit beaucoup à la volonté des Russes et des Américains, même si chacun joue sa partition. Mais les risques de conflagration générale sont là. Le premier ministre russe, Dmitri Medvedev, a évoqué une « nouvelle guerre froide ». Samedi, à Munich, lors de la conférence sur la sécurité, il a même demandé, en évoquant les déclarations « inamicales » de l’Otan contre la Russie : « Est-ce que nous voulons un troisième conflit mondial ? » Ce ne sont pas que des mots. Autour de la Syrie sont en train de se concentrer tous les affrontements du monde. Et ce n’est pas le moindre des paradoxes que de voir un pays comme l’Arabie saoudite, soutien des salafistes de tout poil, directement responsable de la montée en puissance de ces groupes violents, vouloir apparaître maintenant comme le meilleur rempart contre Daech. Car, en réalité, même si Manuel Valls entend l’ignorer, Riyad veut porter sur le sol syrien son opposition à la puissance grandissante de Téhéran. Le tout masqué par un antagonisme pratique entre sunnites et chiites. Une thèse qui est d’ailleurs celle de Daech !

400 000 Syriens tués depuis le début de la guerre civile

« Ce que nous avons besoin de voir dans les jours à venir, ce sont des effets sur le terrain », a affirmé John Kerry, ajoutant que « sans une transition politique, il n’est pas possible d’arriver à la paix ». Sergueï Lavrov a renchéri en déclarant que des pourparlers de paix visant à résoudre la crise syrienne devaient reprendre le plus vite possible à Genève et que tous les groupes d’opposition devaient y participer. Mais il a également dit que de parvenir à une cessation des hostilités en Syrie serait une tâche difficile. D’aucuns, du côté des Occidentaux, au mépris de la souffrance du peuple syrien, voudraient que le piège se referme sur Moscou. « Les Russes ont dit qu’ils allaient continuer à bombarder les terroristes, a dit un diplomate français. Ils prennent un risque politique parce qu’ils ont accepté une négociation dans laquelle ils s’engagent à œuvrer en faveur d’une cessation des hostilités. Si dans une semaine rien n’a changé à cause de leurs bombardements, ils en porteront la responsabilité. » Un argument typique de la guerre froide, et que l’on croyait disparu. On comprend alors mieux les frappes turques. D’autant que Bachar Al Assad, estimant qu’il existait un risque d’une intervention militaire turque et saoudienne en Syrie, a prévenu que ses forces allaient « y faire face ».

Quelque 400 000 Syriens ont été tués depuis que la guerre civile a éclaté dans ce pays il y a cinq ans et 70 000 autres sont morts en raison du manque d’eau potable, de nourriture ou de médicaments, selon un rapport du Centre syrien pour la recherche politique, une ONG travaillant notamment avec l’agence des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Seule une solution politique mettra fin au carnage. Pourtant ce sont plutôt des bruits de guerre qui se font entendre. Hier, on apprenait que les forces armées de vingt pays étaient attendues dans le nord de l’Arabie saoudite pour les plus importantes manœuvres jamais organisées dans la région.

© Journal L’Humanité
Publié le 16 février 2016 avec l’aimable autorisation de
L’Humanité

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Source: L’Humanité
http://www.humanite.fr/…
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