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29 mars 2024

Examen de conscience d’un candidat idéal à la Maison Blanche


Opinion

Examen de conscience d’un candidat idéal
à la Maison Blanche

Manuel de Diéguez

Manuel de Diéguez

Vendredi 19 février 2016

1 – L’épuisement du mythe démocratique
2 – Un évangélisme hollywoodien
3 – Bref résumé de nos erreurs
4 – Quelques pas en direction d’un monde nouveau
5 – Une plongée dans l’abîme
6 – L’infirmité native de la civilisation américaine

1 – L’épuisement du mythe démocratique

Disposer d’une philosophie de l’histoire, d’une philosophie de la politique et d’une philosophie de l’avenir de la civilisation mondiale, fait, de nos jours, partie intégrante de la trempe et de la stature des vrais hommes d’Etat.

Quelle est la vision du monde qui inspire à Vladimir Poutine la conviction de ce que la véritable vie politique du XXIe siècle ressortira à une vision culturelle de l’avenir? Car tel est, de toute évidence, le regard qui lui a fait placer une pesée de la culture russe et de son destin au fondement des jeux olympiques d’hiver de 2013 à Sotchi. Visiblement, il s’agit du premier homme d’Etat qui sache clairement que les mythologies religieuses illustrent les options psychiques qui gouvernent tout le genre humain et qu’à ce titre, elles se situent au fondement d’une politologie universelle et d’une véritable géopolitique.

Ce rationaliste ne perd pas son temps à réfuter les rêves fabuleux et les récits fantastiques entre lesquels l’encéphale en chemin des peuples et des nations se partage depuis des millénaires. Il s’agit donc d’introduire parmi les prérogatives et les apanages des grands hommes d’Etat une connaissance anthropologique et historique du sacré.

Que devons-nous penser de l’élévation subite du Président russe au rang d’acteur principal de l’histoire de la planète ? Il faut remonter loin pour trouver le chef d’un grand Etat qui ait provoqué l’admiration et l’amour de sa nation. Mais la nouveauté que présente l’exemple de Vladimir Poutine me semble ailleurs, dans le fait qu’une partie de la classe politique du monde entier salue sa promotion foudroyante comme un évènement en quelque sorte heureusement attendu et qui couvait sous la cendre depuis longtemps. Cette ascension semble répondre à une espérance universelle. Comment se fait-il que, pour la première fois dans l’histoire, une portion considérable de l’humanité applaudisse un vrai chef d’Etat comme si notre astéroïde se donnait le mot pour témoigner de ce que notre terre manquait cruellement de guide et de timonier.

2 – Un évangélisme hollywoodien

Comment analyser cette situation? J’y vois un signe évident de ce que l’histoire et la politique ont changé de rythme: le globe terrestre se trouve désormais exploré jusque dans ses derniers recoins. Sur une mappemonde rapetissée, l’âge du temps fini a commencé. J’appelle temps fini celui où chaque nation défriche ses arpents et gère sa population dans une enceinte clairement délimitée. Cela signifie également que, depuis 1945, le peuple américain se trouve condamné à se livrer à une rétrospective récapitulative, souvent douloureuse et cruelle.

L’étroite phalange de l’Amérique pensante se demande ce qu’elle a entrepris à la suite de l’effondrement du IIIe Reich. L’implosion d’une utopie mythifiée par son messianisme a démontré l’absurdité de son angélisme hollywoodien. Nous avons groupé, se dit-elle, nos futurs vassaux dans une alliance entre des nations censées de demeurées souveraines, mais sous notre férule et dans un conte d’Alice au pays des merveilles. C’est par un abus de langage, que nous avons baptisé cette coalition Alliance atlantique. En réalité, nous avons « intégré« , donc domestiqué toute l’Europe à l’école de notre seul pouvoir militaire que nous appelons l’OTAN et que nous dirigeons d’une main de fer. Ce faisant, et surtout depuis la chute du mur de Berlin, il y vingt-six ans, nous n’avons cessé de renforcer le sceptre d’acier de nos idéalités que nous proclamons rédemptrices et salvatrices. Nous imposons au monde une vision filmique de l’histoire. Or, nous savons, depuis Périclès, que l’angélisme et le séraphisme sont les mamelles des empires de type démocratique.

Tel est l’enjeu de nos relations futures avec la Russie, l’Inde et la Chine. Car notre expansion messianisée, donc parareligieuse ne pouvait que déclencher la scansion vieille de six mille ans entre la chute et l’ascension des empires militaires. Depuis les Scythes, les royaumes du glaive se succèdent. Chacun d’eux fait émerger des armes plus performantes que celles de la génération précédente. Leur suprématie dure rarement plus de deux générations.

3 – Bref résumé de nos erreurs

Or, l’Amérique et ses trois cent cinquante millions de citoyens de langues, de culture et de religions différentes et impossibles à unifier ne fera pas longtemps le poids devant l’émergence des empires de l’Asie. Enfanterons-nous, aux côtés de Vladimir Poutine, un type d’homme d’Etat dont le génie prospectif leur permettra de comprendre que nous sommes à la veille de soubresauts calqués sur le vieux modèle des empires classiques qui se chassaient l’un l’autre, ou bien l’heure est-elle venue de changer de modèle de civilisation?

Nous avons vassalisé l’Europe au point de l’avoir contrainte à promulguer des sanctions économiques contre la Russie au détriment de ses propres industriels et de ses propres commerçants, et cela alors qu’elle avait légitimement rapatrié la Crimée dans son giron. Mais le peuple américain cessera bientôt de croire en la viabilité, donc à la perpétuité de la vassalisation de l’Europe et du Japon. La montée en puissance de l’Asie sera irrésistible si, aux côtés du grand précurseur dont le Président russe commence de tracer le profil sous nos yeux, nous cessons de faire progresser aveuglément notre empire catéchisé par des images pour un livre d’enfants. Nous devrons redonner à l’Europe et au Japon asservis la souveraineté qui seule aidera l’expansion de la révolte mondiale contre nous que nous aurons stupidement déclenchée par notre volonté d’hégémonie à partir de 1945, puis réactivé à la suite de la chute du mur de Berlin en 1989.

Mais il nous faut des hommes d’Etat d’une trempe entièrement nouvelle pour nous placer dans la véritable histoire du semi-évadé actuel de la zoologie et pour comprendre que notre type de domination du monde est obsolète. En effet, depuis trois millénaires, la maîtrise de l’histoire reposait sur la domination des mers. Et voici qu’en moins d’un an l’Egypte a accompli le titanesque exploit d’élargir le canal de Suez et d’ouvrir à la Chine l’accès de sa flotte de guerre à la Méditerranée.

Mais il y a plus: la Russie et la Chine viennent d’achever la mise au point de la localisation précise de nos porte-avions géants et d’en faire les cibles de leurs missiles invulnérables, tirés à la vitesse de six mille kilomètres à l’heure à partir de la terre ferme et à partir de navires de surface et même de sous-marins. Nous assistons au tournant stratégique le plus prodigieux de tous les temps, à savoir, le basculement des forces au profit des armes terrestres et au détriment de la guerre maritime. Il y a deux mois seulement l’électronique russe a ridiculisé en mer Noire notre porte-avion géant l’USS Donald Cook et cela par la seule intervention de deux avions bourrés d’électronique qui virevoltaient au-dessus de sa quincaillerie rendue inopérante.

Certes, l’Europe demeure occupée sur tout son territoire par cinq cents bases militaires armées de nos bombes atomiques vieillissantes, mais que nous perfectionnons à toute allure et au mépris de nos engagements internationaux. Certes encore, la Méditerranée n’est pas près de redevenir le mare nostrum qu’elle était du temps des Romains; certes encore, il y a moins de deux ans, la France vassalisée permettait à tout l’équipage du plus puissant porte-avion américain USS Herbert Walker Bush, de festoyer trois jours durant à Marseille. Mais il aura suffi aux flottes de guerre chinoise et russe d’informer gentiment les quartiers généraux américains de Naples et de Syracuse que leurs intentions n’étaient pas belliqueuses pour changer la Méditerranée en un champ de manœuvres navales russo-chinoises.

4 – Quelques pas en direction d’un monde nouveau

Et maintenant, imaginons un instant seulement ce que dirait de nos jours au peuple américain un candidat à la Maison Blanche pleinement informé de la situation réelle des Etats-Unis sur la scène internationale et désireux de sauver ce qui peut l’être d’un empire égaré par un mythe démocratique messianisé. Un tel candidat à la présidence des Etats-Unis commencerait par dire franchement à la nation qu’il inaugurera une entente internationale d’un type nouveau.

« Je ferai comprendre aux citoyens des Etats-Unis que les idéalités doctrinales qu’on brandit en public ne sont jamais que le revêtement langagier d’un empire drapé dans son pseudo évangélisme. De toute façon, notre pays a déjà perdu la bataille de l’éthique à l’échelle de la terre. La civilisation actuelle est sur le point de se libérer de la fascination que nous exercions.

Prenez l’exemple d’un pieux musulman. A ses yeux, un immense empire des épouvantes souterraines équilibre un paradis de voluptueux fainéants. Ce système des châtiments et des récompenses règne sur tous les esprits et domine tous les cœurs depuis plus de vingt siècles parmi les chrétiens et depuis quinze siècles il domine l’encéphale des lecteurs du Coran. Mais la terreur nucléaire, vieille de soixante-dix ans seulement a déjà épuisé sa fascination sur la faiblesse d’esprit et l’ignorance de l’humanité.

Il y plus d’un demi-siècle que nos stratèges d’avant-garde savent que l’arme suicidaire est irréelle – puisque inutilisable – entre huit détenteurs d’une auto-pulvérisation de l’humanité dans la haute atmosphère. Dans ces conditions, le peuple américain devra donc abandonner le rêve militaire qui nourrit son matamorisme de l’apocalypse pour tenter de fonder un monde ouvert aux progrès pacificateurs de la technologie.

Si j’étais élu Président des Etats-Unis ce seraient ces fondements-là de la civilisation de demain que nous mettrions en place. Déjà la technologie chinoise a entrepris le percement à travers le Nicaragua d’un canal interocéanique rival de celui de Panama, déjà Cuba s’apprête à devenir un centre de surveillance de nos manœuvres hostiles à la paix du monde et la Chine projette de construire un gigantesque pont reliant la Crimée à la presqu’île de Kerch en Russie. »

5 – Elargissons le champ de l’introspection prospective

L’intuition fondamentale des nouveaux esprits rationalistes et réalistes d’une Russie en état de fermentation philosophique et scientifique, est la suivante: M. Vladimir Poutine sait d’instinct que les options originelles de la mystique chrétienne renvoient aux deux pôles principaux de de la conscience universelle. D’un côté, nous avons une Eglise de Rome vigoureusement hiérarchisée, donc ecclésiocratique par nature et par définition, de l’autre, une christologie intensément individualisée, parce que fondée sur le mythe de la descente directe de « l’esprit divin » sur tel ou tel individu appelé à recevoir à titre personnel le baptême élévatoire de sa future ascension.

En Occident, le baptême est un ticket d’entrée dans le royaume de l’absolu. En Orient, il s’agit d’une grâce métamorphosante et transfiguratrice. Pour le catholicisme romain, la naissance de l’enfant Dieu représente la principale commémoration liturgique alors que l’orthodoxie tout entière est centrée sur la résurrection de Jésus – la Pâque. Tous les hommes sont nés, expliquent-ils, alors que seul le Christ est ressuscité.

Quelle est la vision qui inspire à Vladimir Poutine la conviction de ce que la véritable politique de demain ressortira à une dimension ascensionnelle de l’évolution? Car tel est, de toute évidence, le regard sur la civilisation occidentale qui lui a fait placer la culture russe au fondement des jeux olympiques d’hiver de Sotchi? J’ai déjà rappelé ci-dessus qu’il s’agit du premier homme d’Etat qui sache clairement que les mythologies religieuses illustrent les options anthropologiques originelles du genre humain et qu’à ce titre, elles se situent au fondement d’une véritable anthropologie de la géopolitique. Ce rationaliste ne perd pas son temps à réfuter pas les rêves religieux entre lesquels les peuples et les nations se partagent depuis des millénaires – il introduit une connaissance rationnelle du sacré dans la science historique et dans les apanages politiques des grands hommes d’Etat.

6 – L’infirmité native de la civilisation américaine

Les nouveaux cartésiens anthropologues et politologues du christianisme en gestation en Russie savent, tant d’instinct que par le raisonnement, que la « civilisation américaine » dépendra toujours de l’assise d’une culture inscrite tout entière dans la postérité moralisante, catéchisante et affairiste du calvinisme. La civilisation occidentale ne s’approfondira jusqu’au vertige que par l’étude des fondements psychiques du mythe de la Trinité. ( Voir: 1815 – 2015 : Demain un Waterloo européen , 18 décembre 2015

Car la théologie et la doctrine chargées d’enfanter un Dieu triphasé se scindent en deux divinités toutes deux amputées de ce que l’une voudrait apporter à l’autre. L’une repose sur l’élection christifiante qu’exprime la bénédiction inspirante de la Pentecôte et l’autre sur un Père et un Fils ultra activistes et censés s’affairer à la politique du monde avec un zèle de stakanovistes.

La fécondation de la religion romaine par un Père et un Fils voués à leur vocation de mécaniciens zélés de l’histoire et de la politique, d’un côté et de l’autre, un christianisme relativement passif et ultra bénédictionnel par un chapeautage direct de l’absolu, englobe les deux pôles d’une anthropologie universelle et abyssale que l’Occident est appelé à approfondir.

La « civilisation américaine » n’accèdera jamais aux arcanes des évadés partiels de la zoologie ni dans le providentialisme affairiste et intéressé du calvinisme, ni dans une religion romaine dont tous les humanistes du XVIe siècle, à commencer par Erasme avaient démontré la rechute dans les superstitions et le fétichisme du paganisme.

Une civilisation post-calviniste et tard-venue ne dispose d’aucun référent inscrit dans son propre passé. Toute la « culture américaine » se réduit à une marchandise d’importation d’un passé étranger par nature et par définition à ce sol et à ce peuple composite. Comment une civilisation privée d’intériorité propre et gravée dans sa propre mémoire servirait-elle de berceau, de pédagogue et de guide à l’avenir de la civilisation mondiale? On ne féconde qu’une civilisation née et épanouie dans son propre sein et dont on connaît les racines. En revanche, un avenir immense demeure réservé aux ultimes combats, profanateurs au besoin, de la raison et d’une pensée critique sur les pistes des secrets de l’animalité spécifiquement humaine.

Une civilisation réduite à une greffe tardive sur un mythe religieux pris en cours de route et usé par seize siècles de rites et de scolastique est une plateforme fécondable de l’avenir et de la destinée du genre humain qu’à la condition d’approfondir la dimension résurrectionnelle et ascensionnelle d’une civilisation arrachée à la mort. Entre le physicisme eucharistique des Exercices spirituels de saint Ignace et les fécondes rêveries théologiques des grands écrivains russes, tous branchés sur la mystique de l’école d’Antioche, il est temps de saisir les deux bouts de la chaîne. Une unification de la condition humaine est en vue à l’école d’une synthèse entre les deux pôles d’Adam.

Qu’est-ce à dire? Si, au cours des millénaires, la nature n’avait façonné un organisme capable de chevaucher un rayon de lumière et si je devenais centenaire à la faveur de ce califourchon, je mourrais à l’âge de dix mille ans; mais si la lumière multipliait par mille son train de sénateur, je n’y gagnerais rien, car un temps quasiment gelé et qui suinterait goutte à goutte avec une lenteur désespérante, je continuerais de calculer sa coulée avec le secours d’une méthode ridiculement piétinante, tautologique et strictement utilitaire à l’aide du calcul d’une distance parcourue par une matière en un temps déterminé, alors que le temps aurait quasiment cessé de couler, donc d’exister.

Ni Moscou, ni Rome n’ont tenté à La Havane de scruter l’avenir de l’humanisme mondial, ni le patiarche Kiril, ni le pape François n’ont seulement songé à l’évidence que l’humanité a pris rendez-vous avec le verbe être. Mais dans les profondeurs, cette question a fait ses premiers pas.

Le 19 février 2016

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Source: Manuel de Diéguez
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