La langue de bois journalistique au service du capital
2 avril 2016
DO
- Henri MALER, Yves REBOURSNous reprenons ici de larges éléments d’un article d’HenriMaler et Yves Rebours (pour le site Acrimed) sur la dériveprocapitaliste du discours pournalistique en temps dez grèveset de manifestations.I. Consensus sous surveillance« Réforme » : Ne plus dire : « les travailleurs combattent lespolitiques libérales qui favorisent chaque jour davantage lesrevenus du capital et dissolvent l’Etat social ». Ecrire : « Une autre chose dont on peut être sûr – etqui nourrit l’antienne d’un pays impossible à réformer, c’est la nature difficile des rapports sociauxen France. La conflictualité l’emporte sur le consensus. Vieil héritage de la culture ouvrièrerevendicative du XIXe siècle du côté des organisations syndicales, crispées sur la défense des droitsacquis […]. » (Le Monde Economie, mardi 7 juin 2005, page I).« Modernisation » : Le modernisme s’oppose à l’archaïsme. Seuls des esprits archaïques peuvents’opposer à la modernisation. D’ailleurs, « LA modernisation » est indifférente à la justice sociale,que la modernité a remplacée par l’« équité ».« Concertation » : Se dit des réunions convoquées par un ministre pour exposer aux organisationssyndicales ce qu’il va faire et pour écouter leurs doléances, de préférence sans en tenir aucuncompte.« Pédagogie » : Devoir qui, pour les journalistes communicants, s’impose au gouvernement (plusencore qu’aux enseignants…). Ainsi, le gouvernement fait preuve (ou doit faire preuve…) de« pédagogie ». Tant il est vrai qu’il s’adresse, comme nos grands éditorialistes, à un peupled’enfants qu’il faut instruire patiemment.II. Déraison des foules« Égoïsme » : Frappe les chômeurs, les travailleurs précaires, les classes populaires en général.Exemple : le refus du dumping social est un symptôme évident d’égoïsme. Vice dont sontdépourvus les bénéficiaires de stock-options.
- « Corporatisme » : Mal qui menace n’importe quelle catégorie de salariés qui défend ses droits, àl’exclusion des tenanciers des médias.III. Paroles, paroles« Témoins » : Exemplaires de la foule des grévistes et manifestants, interrogés en quelquessecondes à la télé ou en quelques lignes dans les journaux. Le « témoin » témoigne de ses affects,jamais de ses motifs ou du sens de son action. Seuls les gouvernants, les « experts » et l’élite dujournalisme argumentent, connaissent les motifs, et maîtrisent le sens. L’élite pense, le témoin« grogne ».« Opinion publique » : S’exprime dans les sondages et/ou par l’intermédiaire des « grandsjournalistes » qui lui donnent la parole en parlant à sa place.« Contribuables » : Nom que porte l’opinion publique quand elle paie des impôts qui servent auservice public. Quand l’argent public est dépensé pour consentir des avantages fiscaux auxentreprises, cet argent n’a plus d’origine identifiée. On dira : « les régimes de retraites du secteurpublic sont payées par les contribuables ». On ne dira pas : « les exonérations de charges consentiesaux entreprises sont payées par les contribuables.IV. Mouvements des troupes« Usagers » : Se dit de l’adversaire potentiel des grévistes.« Otages » : Synonyme d’« usagers ». Terme particulièrement approprié pour attribuer lesdésagréments qu’ils subissent non à l’intransigeance du gouvernement, mais à l’obstination desgrévistes.« Galère » : Se disait (et peut se dire encore…) des conditions d’existence des salariés privésd’emploi et des jeunes privés d’avenir, vivotant avec des revenus misérables, de boulots précairesen stages de réinsertion, assignés à résidence dans des quartiers désertés par les services publics,sans loisirs, et subissant des temps de transports en commun démesurés. Phénomène presqueinvisible à la télévision, ses responsables ne sont pas identifiables. « Galère » se dit désormais desdifficultés de transports les jours de grève : on peut aisément les mettre en images et les imputer àun coupable désigné, le gréviste.« Violence » : Impropre à qualifier l’exploitation quotidienne, les techniques modernes de« management » ou les licenciements, le terme s’applique plus volontiers aux gens qui lesdénoncent, et aux mots qu’ils emploient pour le faire.Henri Maler, Yves Rebours