Norman G. Finkelstein parle de la membre du Parlement Naz Shah, de Ken Livingstone, et de la controverse sur l’« antisémitisme » au parti travailliste.
Norman Finkelstein n’est pas étranger à la controverse. L’intellectuel juif américain est l’un des plus grands experts internationaux du conflit israélo-palestinien et de l’héritage politique de l’holocauste nazi. A part ses parents, tous les membres de la famille de Finkelstein, des deux côtés, ont été exterminés dans l’holocauste nazi. Il a écrit en 2000 « L’industrie de l’Holocauste ». Le livre, qui a été publié en feuilleton dans le Guardian, est devenu un best-seller international et a déclenché une tempête médiatique. Mais la dernière incursion politique de Finkelstein est le fruit du hasard.
Le mois dernier, la membre du Parlement Naz Shah est devenue l’une des figures les plus médiatisées, à ce jour, dans le scandale de « l’antisémitisme » qui secoue toujours la direction du parti travailliste. Shah a été suspendue du parti travailliste pour, entre autres choses, avoir reposté une image sur Facebook qui a été considérée comme antisémite. L’image montrait une carte des États-Unis avec Israël en surimpression, et suggérait de résoudre le conflit israélo-palestinien en relocalisant Israël aux États-Unis. On a dit que Shah avait pris l’image sur le site Web de Finkelstein. J’ai demandé à Finkelstein pourquoi il avait posté cette image, et ce qu’il pensait des allégations selon lesquelles le parti travailliste avait un « problème juif ».
Avez-vous fabriqué l’image controversée que Naz Shah a reprise ?
Je ne suis pas assez habile avec les ordinateurs pour fabriquer une image. Mais j’ai posté la carte sur mon site en 2014. Un de mes correspondants internet doit me l’avoir envoyée. Elle était, et est toujours, drôle. N’était le contexte politique actuel, personne n’aurait remarqué que Shah l’avait postée. Il faut complètement manquer d’humour. Ce genre de plaisanterie est monnaie courante aux Etats-Unis. Donc, voilà la blague en question : pourquoi Israël ne devient pas le 51ième état ? Réponse : parce qu’alors, il n’aurait que deux sénateurs. Aussi fou que soit le discours sur Israël en Amérique, nous avons encore le sens de l’humour. Ce serait inconcevable aux États-Unis, qu’un politicien soit crucifié pour avoir posté cette carte.
Le fait que Shah ait posté cette image a été présenté comme un soutien à une ignoble politique de « déportation » tandis que John Mann l’a comparée à Eichmann.
Franchement, je trouve cela grotesque. Je doute que tous ces gens qui sont si prompts à invoquer l’Holocauste aient la moindre idée de ce qu’étaient les déportations, ni des horreurs qu’elles signifiaient. Ma défunte mère m’a décrit sa déportation. Elle était dans le Ghetto de Varsovie. Les survivants du soulèvement du Ghetto, environ 30 000 Juifs, ont été déportés au camp de concentration de Maijdanek. Ils étaient entassés dans des wagons de chemin de fer. Ma mère était assise à côté d’une femme avec un enfant. Et la femme – je sais que cela va vous choquer – la femme a tué son bébé en l’étouffant, devant ma mère. Elle a préféré étouffer son enfant, plutôt que de l’emmener là où ils allaient. Voilà ce que cela signifiait d’être déportés. Comparer cela à quelqu’un qui a posté un dessin humoristique inoffensif pour faire une petite blague sur la façon dont Israël est sous l’emprise des Etats-Unis, ou vice versa … c’est carrément dément. Que leur arrive-il ? N’ont-ils aucun respect pour les morts ? Tous ces apparatchiks desséchés du parti travailliste qui traînent dans la boue l’holocauste nazi dans leurs luttes mesquines de pouvoir pour avancer leur carrière, n’ont-ils pas honte ?
Et quand les gens utilisent des analogies nazies pour critiquer les politiques de l’État d’Israël ? N’est-ce pas là aussi un abus politique de l’holocauste nazi ?
Il n’est pas facile de répondre à cette question. Tout d’abord, si vous êtes juif, l’analogie qui vous vient instinctivement à l’esprit, quant il s’agit de haine ou de famine, de guerre ou de génocide, c’est l’holocauste nazi, parce que nous le voyons comme l’horreur ultime. Dans la maison où j’ai grandi, chaque fois qu’on rapportait aux informations un incident de discrimination raciale ou de sectarisme, ma mère le comparait à ce qu’elle avait vécu avant ou pendant l’holocauste nazi.
Ma mère étudiait à la faculté de mathématiques de l’Université de Varsovie, en 1937-38. Les Juifs devaient s’installer à part des autres étudiants dans l’amphithéâtre, et les antisémites venaient les attaquer physiquement. (Vous vous rappelez peut-être la scène dans Julia, où Vanessa Redgrave perd sa jambe en essayant de défendre les Juifs attaqués à l’université.) Je me souviens d’avoir une fois demandé à ma mère : « Comment se sont passé tes études ? As-tu réussi ? » Elle m’a répondu : « De quoi tu parles ? Comment pourrait-on étudier dans de telles conditions ? ».
Elle a vu, dans la ségrégation des Afro-Américains, que ce soit dans une cafétéria ou dans le système scolaire, le prologue de l’holocauste nazi. Alors que de nombreux Juifs disent maintenant : Il ne faut jamais comparer, (voyez le refrain d’Elie Wiesel, « c’est épouvantable, mais ce n’est pas l’Holocauste »), le credo de ma mère était : Il faut toujours comparer. Elle laissait naturellement et généreusement son imagination sauter le pas vers ceux qui souffraient, pour les envelopper et les embrasser dans sa propre souffrance.
Pour ma mère, l’holocauste nazi était un chapitre de la longue histoire des horreurs de la guerre. Il n’a pas été en lui-même une guerre – elle répétait que c’était une extermination, pas une guerre – mais c’était un chapitre unique de la guerre. Donc, pour elle, la guerre était l’horreur ultime. Quand elle a vu les Vietnamiens se faire bombarder pendant la guerre du Vietnam, pour elle c’était l’holocauste nazi. C’était les bombardements, la mort, l’horreur, la terreur, qu’elle avait elle-même traversés. Quand elle a vu les ventres distendus des enfants affamés au Biafra, c’était également l’holocauste nazi, parce qu’elle se souvenait de sa propre famine dans le ghetto de Varsovie.
Si vous êtes juif, c’est tout à fait normal que l’holocauste nazi soit une pierre de touche pulsionnelle omniprésente. Certains Juifs disent que telle ou telle autre horreur n’est pas l’holocauste nazi, d’autres disent qu’elle l’est. Mais la référence à l’holocauste nazi est une constante.
Que penser de ceux qui, sans être juifs, font l’analogie ?
Une fois que l’holocauste nazi est devenu le référent culturel, si vous vouliez attirer le regard sur la souffrance des Palestiniens, il fallait faire l’analogie avec les nazis parce que c’était la seule chose qui résonnait pour les Juifs. Si on avait comparé les Palestiniens aux Amérindiens, personne ne nous aurait prêté attention. En 1982, quand je suis descendu dans les rues de New York avec une poignée d’autres Juifs pour protester contre l’invasion israélienne du Liban (au moins 18 000 Libanais et Palestiniens ont été tués, en grande majorité des civils), je tenais une pancarte disant : « Ce fils de survivants du soulèvement du ghetto de Varsovie, d’Auschwitz, de Maijdenek ne restera pas silencieux : Nazis israéliens – Mettez fin à l’Holocauste au Liban ! » (Après la mort de ma mère, j’ai trouvé une photo de moi tenant ce panneau dans un tiroir parmi ses souvenirs). Je me souviens que l’un des gars qui manifestait avec moi ne cessait de me dire : « Tiens la pancarte plus haut ! » pour que les voitures qui passaient le voient bien (et moi je lui répondais : « Facile à dire ! »).
Quand on faisait cette analogie, cela frappait les Juifs, cela les frappait assez pour obtenir leur attention tout du moins. Je ne pense pas que cela soit toujours nécessaire, parce que les crimes d’Israël contre les Palestiniens parlent maintenant d’eux-mêmes. Il n’y a plus besoin de les juxtaposer à, ou contre, l’holocauste nazi. Aujourd’hui, l’analogie nazie est gratuite ou sert à détourner l’attention.
Est-ce antisémite ?
Non, c’est juste une faible analogie historique – mais, si elle est faite par un Juif, c’est une analogie morale et généreuse.
La semaine dernière, Ken Livingstone a pris le micro pour défendre Naz Shah, mais ce qu’il a dit a provoqué sa suspension du parti travailliste. Sa remarque la plus incendiaire a été qu’Hitler a, à moment donné, soutenu le sionisme. Cela a été condamné comme antisémite, et le député travailliste John Mann a accusé Livingstone d’être un « apologiste du nazisme ». Que pensez-vous de ces accusations ?
Livingstone n’a sans doute pas été assez précis et nuancé. Mais il connait bien ce chapitre sombre de l’histoire. Il y a eu des spéculations sur le fait qu’Hitler avait changé d’idée sur la façon de résoudre la « question juive » (comme on l’appelait à l’époque), en voyant surgir de nouvelles possibilités. Hitler n’était pas entièrement hostile au projet sioniste au début. C’est pourquoi tant de Juifs allemands ont réussi à survivre après l’arrivée d’Hitler au pouvoir en émigrant en Palestine. Mais, ensuite, Hitler en est venu à craindre qu’un Etat juif renforce le pouvoir de la « juiverie internationale », alors il a cessé toute relation avec les sionistes. Plus tard, Hitler a peut-être envisagé une « solution territoriale » pour les Juifs. Les nazis ont envisagé de nombreuses possibilités de « réinstallation » – les Juifs n’auraient pas survécu à la plupart d’entre elles sur le long terme – avant de s’embarquer dans un processus d’extermination pure et simple. Ce qu’a dit Livingstone est à peu près exact – au moins aussi exact qu’on peut l’attendre d’un politicien qui s’exprime de manière impromptue.
Il est aussi exact qu’un certain degré d’affinité idéologique existait entre les nazis et les sionistes. Les antisémites et les sionistes étaient d’accord sur une question cruciale qui agitait l’Angleterre pendant la période où la Déclaration Balfour (1917) était bricolée : un Juif pouvait-il être anglais ? Ironie du sort, quand on voit l’hystérie qui règne actuellement au Royaume-Uni, les adversaires les plus véhéments de la Déclaration Balfour n’étaient pas les Arabes, dont tout le monde se fichait bien, mais les plus hautes sphères de la communauté juive britannique.
D’éminents juifs britanniques ont publié des lettres ouvertes à des journaux comme le Times qui s’opposaient au soutien britannique d’un foyer juif en Palestine. Ils considéraient qu’une telle déclaration – à l’instar du sionisme – impliquait que les Juifs appartenaient à une nation distincte et que la nation juive devrait avoir son propre Etat indépendant, et ils craignaient que cela ait pour effet d’interdire aux Juifs d’être des membres à part entière de la nation britannique. Ce qui distinguait les sionistes de l’aristocratie juive libérale était leur point de départ : comme Theodor Herzl l’a écrit au début de L’Etat juif, « la question juive n’est pas plus sociale que religieuse. . . C’est une question nationale ». Alors que pour l’aristocratie anglo-juive le judaïsme était simplement une religion, les sionistes affirmaient que les Juifs constituaient une nation. Et sur ce point – crucial, à l’époque – les sionistes et les nazis étaient d’accord.
John Mann, quand il a critiqué Livingstone devant les caméras, a posé la question rhétorique de savoir si Livingstone avait lu Mein Kampf. Si vous lisez Mein Kampf, ce qu’à mon avis aucun des interlocuteurs dans ce débat n’a fait (je l’enseignais, avant les « sionistes » ne me chassent de l’université – je blague !), vous voyez qu’Hitler affirme avec insistance que les Juifs ne sont pas une religion, mais une nation. Il dit que le grand mensonge juif est qu’ils prétendent être une religion ; alors qu’en fait, dit-il, ils sont une race (à cette époque, les mots « race » et « nation » était interchangeables. Et à la page 56 de l’édition standard anglaise de Mein Kampf, il dit que les seuls Juifs assez honnêtes pour le reconnaître sont les sionistes. Maintenant, pour être clair, Hitler ne pensait pas seulement que les Juifs étaient une race distincte. Il pensait aussi qu’ils étaient une race satanique, et, en fin de compte, qu’ils étaient une race satanique qui devait être exterminée. Mais le fait est que, dans les prémisses, qui n’avaient rien d’anodin, lui et les sionistes étaient d’accord.
En pratique, les sionistes et les nazis pouvaient donc trouver un certain terrain d’entente autour de l’émigration/expulsion des Juifs vers la Palestine. Paradoxalement, en dépit des protestations énergiques de Juifs libéraux, y compris de pans entiers de l’establishment anglo-juif, les antisémites et les sionistes de l’époque partageaient effectivement le même slogan : Les Juifs en Palestine. Ce fut la raison pour laquelle, par exemple, les nazis ont interdit aux Juifs allemands de hisser le drapeau à croix gammée, mais les ont explicitement autorisés à hisser le drapeau sioniste. C’était comme pour dire : les sionistes ont raison, les Juifs ne peuvent pas être Allemands, ils appartiennent à la Palestine. Hannah Arendt a critiqué cela avec force dans Eichmann à Jérusalem, ce qui est l’une des raisons pour lesquelles l’establishment juif/sioniste lui en a tant voulu.
Même s’il y avait une base factuelle aux remarques de Livingstone, soulever la question à ce moment ne revenait-il pas à provoquer les Juifs ?
Je peux comprendre sa motivation, parce que je suis à peu près de sa génération. S’il a donné l’impression de les provoquer, c’est parce qu’il a a réagi instinctivement comme pendant les polémiques des années 1970- 80. Israël voyait alors les sionistes comme les seuls juifs qui avaient résisté aux nazis. Dans la propagande de l’époque, la seule résistance aux nazis était venue des sionistes, et le corollaire naturel à cela était que la seule force capable de protéger les juifs était désormais Israël. Tout autre Juif était soit un lâche, qui « était allé comme un mouton à l’abattoir », soit un collaborateur. Ceux qui s’opposaient à la politique israélienne de l’époque et voulaient contrer la propagande sioniste avaient l’habitude de rappeler ce chapitre peu recommandable de l’histoire du sionisme. Des pamphlets et des livres ont été publiés – tels que Le Sionisme à l’époque des dictateurs (1983) de Lenni Brenner – pour documenter cette « perfide collaboration sioniste-nazie ». Les récents commentaires de Livingstone viennent du même réflexe qui nous animait à l’époque. Ces ordures patentées qui s’en sont pris à Naz Shah l’ont horripilé et il a voulu leur rendre la monnaie de leur pièce. C’est comme cela que nous menions cette bataille politique : en remettant sur le tapis ces chapitres sordides de l’histoire sioniste.
Livingstone s’est basé sur le livre de Brenner. Admettons même, pour l’intérêt de la discussion, que le livre de Brenner contienne quelques erreurs factuelles – il s’agissait plus d’un pamphlet politique que d’un ouvrage historique, et il n’est évidemment pas alourdi par une abondante documentation. Mais, la vérité c’est que, à la parution, le livre de Brenner a recueilli des critiques positives dans la presse britannique la plus respectable. Le Times, qui, aujourd’hui, mène la charge contre Livingstone et la direction élue du parti travailliste, a, à l’époque, publié une recension élogieuse du livre de Brenner qualifié de « net et clair et soigneusement documenté ». Le critique, l’éminent éditorialiste Edward Mortimer, avait écrit « Brenner est en mesure de citer de nombreux cas où les sionistes ont collaboré avec des régimes antisémites, y compris celui d’Hitler ». Et, donc, il faut rendre hommage à Ken Livingstone de ce que, à 70 ans, il se souvienne d’un livre qu’il a lu il y a plus de 30 ans et qui avait obtenu une bonne critique dans le Times lors de sa parution. Si le Times est bouleversé par les remarques de Livingstone, il n’a que lui-même à blâmer. Personnellement, c’est grâce à la critique du Times que j’ai lu le livre de Brenner.
Agrandissons un peu l’image. Vous avez écrit beaucoup de choses sur la façon dont les accusations d’antisémitisme ont été utilisées pour discréditer les gens et les empêcher de critiquer Israël. Faut-il voir la campagne actuelle contre Jeremy Corbyn et la gauche du parti travailliste comme le dernier épisode de cette histoire ?
Ces campagnes se produisent à intervalles réguliers, en corrélation avec les massacres périodiques d’Israël et l’isolement politique qui en est la conséquence. Si vous parcourez, dans le catalogue de la librairie la plus proche, la rubrique « nouvel antisémitisme », vous trouverez des ouvrages des années 1970 dénonçant un « nouvel antisémitisme », des années 1980 dénonçant un « nouvel antisémitisme », des années 1990 dénonçant un « nouvel antisémitisme », puis une énorme augmentation des livres, y compris d’écrivains britanniques, au cours de la soi-disant deuxième Intifada de 2001. N’oublions pas que, l’année dernière, il y a eu une campagne hystérique au Royaume-Uni contre l’antisémitisme pendant toute une période. Deux sondages ridicules avaient « révélé » que près de la moitié des Britanniques avaient des croyances antisémites et que la plupart des Juifs britanniques craignaient pour leur avenir au Royaume-Uni. Bien que ces sondages aient été rejetés par les spécialistes, ils ont déclenché la frénésie habituelle de médias comme le Telegraph, le Guardian et l’Independent, tout excités par ce « nouvel antisémitisme » « rampant ». La totale inanité de ces sondages a été confirmée sans équivoque en avril 2015 par un sondage du Centre de recherche réputé Pew qui a montré que le niveau de l’antisémitisme au Royaume-Uni était resté stable, au niveau terriblement décevant de 7% !
Cette farce nous a été jouée l’année dernière seulement. On aurait pu imaginer que ses initiateurs seraient ensevelis sous la honte et que nous allions avoir au moins un bref répit de folies théâtrales. Mais voilà, en un clin d’œil, juste dans le sillage du sondage Pew montrant que l’antisémitisme au Royaume-Uni était marginale, l’hystérie est repartie à nouveau. La réalité est qu’il y a probablement plus de préjugés au Royaume-Uni contre les gros qu’il n’y a de préjugés contre les Juifs.
Posez-vous un simple, mais sérieuse question. Vous allez à un entretien d’emploi. Quel trait est le plus susceptible de vous porter préjudice : être laid, gros, petit ou juif ? C’est peut-être un triste constat des valeurs de notre société, mais la laideur est la première cause des refus. Ensuite, l’obésité ; ensuite la taille. Le facteur le moins susceptible de vous nuire à l’embauche, c’est d’être juif. C’est même tout le contraire, les Juifs ne sont-ils pas intelligents et ambitieux ? Pew a révélé que le niveau d’antisémitisme était de 7 %. Est-ce que cela justifie une hystérie nationale ? Un sondage de YouGov de mai 2015 a révélé que 40 % des adultes britanniques n’aiment pas les musulmans et près de 60 % n’aiment pas les Roumains. Imaginez ce que ça fait de postuler pour un emploi si vous êtes un Roumain ! Alors, où est votre ordre de priorités en matière de moralité ?
Beaucoup de ceux qui sont impliqués dans l’hystérie de « l’antisémitisme » de l’an dernier sont également les acteurs de la campagne actuelle contre Corbyn.
La question que vous devez vous poser est pourquoi ? Pourquoi cette question a-t-elle été ramenée sur le tapis avec une ardeur renouvelée, si peu de temps après que sa précédente manifestation se soit éteinte dans le ridicule ? Est-ce à cause d’une poignée de messages prétendument antisémites de membres du parti travailliste sur les médias sociaux ? Est-ce à cause de la carte humoristique postée par Naz Shah ? Personne n’en croit rien. La seule réponse plausible est que c’est politique. Cela n’a rien à voir avec la réalité ; quelques cas suspects d’antisémitisme – certains réels, d’autres fabriqués de toute pièce – sont exploités pour un motif politique ultérieur. Comme l’a dit un éminent député travailliste, l’autre jour, il s’agit ni plus ni moins d’une campagne de diffamation.
Les accusations « d’antisémitisme » sont portées par les Conservateurs avant les élections municipales et l’élection du maire. Mais elles sont aussi exploitées par la droite du parti travailliste pour saper le leadership de Corbyn et par des groupes pro-israéliens pour discréditer le mouvement de solidarité avec la Palestine.
Vous pouvez voir ce recoupement entre la droite du parti travailliste et des groupes pro-israéliens personnifiés par des individus comme Jonathan Freedland, un forban Blairiste qui joue aussi régulièrement la carte de l’antisémitisme. Il a combiné ses deux hobbys pour attaquer Corbyn. Soit dit en passant, quand mon livre, The Holocaust Industry, est sorti en 2000, Freedland a écrit que j’étais « plus proche des gens qui ont créé l’Holocauste que de ceux qui en ont souffert ». Bien qu’il semble être, oh, si politiquement correct maintenant, il n’a pas jugé inapproprié de suggérer que je ressemblais aux nazis qui ont gazé ma famille.
Nous avons participé à la même émission de télévision. Avant l’émission, il s’est approché de moi pour me serrer la main. Quand j’ai refusé, il a réagi par un silence stupéfait. Pourquoi est-ce que je ne voulais pas lui serrer la main ? Il ne comprenait pas. Cela nous dit quelque chose sur ces abjectes fripouilles. Les calomnies, la diffamation – pour eux, c’est la routine. Pourquoi devrait-on en faire toute une histoire ? Plus tard, dans l’émission, on a mentionné que le Guardian, où il travaillait, avait publié mon livre, L’industrie de l’Holocauste, par épisodes. Le présentateur lui a demandé : si mon livre était l’équivalent de Mein Kampf, démissionnerait-il du journal ? Bien sûr que non. Le présentateur n’avait-il pas compris que tout cela est un jeu ?
Faisons la comparaison avec la scène étasunienne. Notre Corbyn est Bernie Sanders. Tout au long des primaires aux États-Unis, Bernie a ramassé tous les votes arabes et musulmans. Ça a été un moment merveilleux : le premier candidat juif à la présidentielle de l’histoire américaine a forgé une alliance de principe avec les Arabes et les musulmans. Pendant ce temps, que manigancent les canailles du lobby Blairiste-Israël au Royaume-Uni ? Ils attisent les braises de la haine et engendrent de nouvelles discordes entre juifs et musulmans en s’attaquant à Naz Shah, une élue musulmane. Ils l’obligent à se plier à un rituel d’humiliations publiques, en la forçant à présenter des excuses une fois, deux fois, trois fois pour un dessin humoristique reposté de mon site. Et ce n’est pas encore terminé ! Parce que maintenant, ils disent qu’elle est « en chemin ». Bien sûr, ce qu’ils veulent dire, c’est qu’« elle est sur un chemin de retour sur elle, de travail sur elle, qui la conduira à la prise de conscience de l’antisémite inavoué qui habite son cœur ». Mais savez-vous sur quel chemin elle est en réalité ? Elle est sur le chemin de l’antisémite. A cause de ces gens-là ; parce qu’ils remplissent toute personne normale et saine de dégoût.
Voici une femme musulmane, membre du Parlement, qui cherche à intégrer les musulmans à la vie politique britannique, et qui est, en elle-même, un exemple, à la fois pour la société britannique en général et pour la communauté musulmane en particulier. Elle est, selon tous ses électeurs, une personne respectée et honorable. Vous pouvez imaginer la fierté de ses parents, de ses frères et sœurs ; la fierté de la communauté musulmane toute entière. On nous dit toujours que les femmes musulmanes sont opprimées, réprimées et déprimées, et là vous avez une femme musulmane qui a accédé à un mandat public. Mais maintenant, elle est martyrisée, sa carrière est détruite, sa vie est ruinée, son avenir est en lambeaux, elle est marquée comme « antisémite » et nazie inavouée, et est obligée de se prêter à ces rituels d’auto-avilissement. Il est facile d’imaginer ce que ses électeurs musulmans doivent maintenant penser des Juifs. Ces ordures affamées de puissance font monter le niveau de haine avec leurs petites machinations. Comme Donald Trump aime à le dire : c’est dégoûtant.
Le parti travailliste a ordonné une enquête censée parvenir à une définition viable de « l’antisémitisme » – c’est mission impossible. On a essayé déjà de nombreuses fois et ça n’a jamais marché. Les seuls bénéficiaires d’un tel mandat seront des « spécialistes » universitaires de l’antisémitisme qui recevront de gros honoraires de consultants (je vois déjà Richard Evans en tête de la file d’attente), et Israël, qui ne sera plus sous les projecteurs. Je comprends le raisonnement politique à court terme. Mais à moment donné, il faut dire : « Ca suffit ! ». Les Juifs prospèrent comme jamais auparavant au Royaume-Uni. Les sondages montrent que le nombre d’antisémites soit-disant invétérés est minuscule. Il est temps de mettre un terme à cette mascarade périodique, car elle finit par salir les victimes de l’holocauste nazi, par détourner de la vraie souffrance du peuple palestinien, et par empoisonner les relations entre les communautés juives et musulmanes. On vient juste d’avoir une hystérie de l’antisémitisme, l’an dernier, et c’était une farce. Et maintenant, on recommence ? Encore une enquête ? Et encore une autre ? Non.
Afin de mettre un terme à cela, il doit y avoir un rejet décisif de ce chantage politique. Bernie Sanders a subi des pressions brutales pour le forcer à retirer sa déclaration disant qu’Israël avait utilisé une force disproportionnée lors de son assaut sur Gaza en 2014. Il n’a pas bougé, il n’a pas reculé. Il a montré qu’il avait une véritable colonne vertébrale. Corbyn devrait s’inspirer du courage de Bernie. Il doit dire : fini les rapports, les enquêtes, nous n’en ferons plus, c’est fini ! Il est grand temps que ces semeurs d’antisémitisme retournent en rampant dans leur égout – mais pas avant d’avoir fait humblement des excuses à Naz Shah, et d’avoir imploré son pardon.
Clarification : Les lecteurs ayant été choqués par les remarques scandaleuses attribuées à Jonathan Freedland dans l’article initial, Finkelstein a décidé de modifier le paragraphe de manière à citer Freedland mot pour mot. Les lecteurs seront maintenant peut-être encore plus choqués.
Jamie Stern-Weiner est chercheur indépendant basé à Cambridge. De nationalité britannique et israélienne, il a écrit sur le conflit Israelo-Palestinien pour The Nation, Jadaliyya, MERIP et Le Monde diplomatique (édition anglaise). On peut le retrouver sur twitter @jsternweiner
Traduction : Dominique Muselet