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26 avril 2024

L’Irak, à deux doigts de l’effondrement?


Publié par Gilles Munier

23 Juin 2016,

Haïdar al-Abadi, Premier ministre irakien
Haïdar al-Abadi, Premier ministre irakien

Par Zaid al-Ali (revue de presse : abc.net.au – 16/6/16)*

Le témoignage d’un ancien opposant à Saddam Hussein revenu travailler en Irak de 2005 à 2010. Pour lui, le pays est « dirigé par les pires éléments de la société ».

Fonctionnaire de long date dans les années 60, mon père dut s’exiler une première fois mais fut rappelé en 1973 pour un poste de diplomate. Quand l’Irak envahit l’Iran en 1980, il sentit qu’il ne pouvait plus continuer à servir et donc démissionna de son poste et dut partir en exil une deuxième fois.

J’avais alors quatre ans et ne pouvais retourner en Irak. De 1980 à 2003, il ne me fut pas permis de revoir l’Irak, ni d’avoir des contacts avec ma famille là-bas.

Après la guerre de 2003, à laquelle mon père et moi étions opposés, nous sommes allés en Irak, mon père en premier puis moi ensuite pour une simple visite, puis pour y chercher un travail, quelque chose pour reconstruire la société. Éventuellement, j’ai obtenu un poste à l’ONU en tant que conseiller juridique de 2005 à 2010.

En 2010, j’ai réalisé que c’était une perte de temps : le pays était dirigé par les pires éléments de la société. Les gens en charge étaient une bande d’escrocs, de criminels et d’incompétents.

Tout ce que nous faisions, la moindre initiative, était bloqué par ces gens. J’ai quitté l’Irak désespéré, pensant que rien n’avait de sens.

Certains facteurs sont hors de tout contrôle de quiconque. Ils sont dus à ce que Saddam Hussein et le Parti Baas ont fait avant 2003, dont la culture militaire du chauvinisme qui, jusqu’à maintenant, définit nombre de nos valeurs culturelles en Irak. D’où la difficulté à les dépasser.

A part cela, beaucoup de fautes furent commises après 2003, notamment celle d’avoir offert le contrôle des institutions étatiques à un groupe d’exilés, en gros sans emploi et sans qualifications, au cours des décades précédant 2003.

Quand ces individus eurent l’occasion de s’emparer de l’Etat irakien, ils continuèrent comme ils l’avaient toujours fait, ce qui veut dire continuer à ne rien accomplir, à se remplir les poches et s’assurer que les règles fonctionnent en leur faveur de sorte qu’ils pouvaient rester au pouvoir aussi longtemps que possible. Tous ces individus sont toujours au pouvoir et continuent à ne rien faire pour les Irakiens ordinaires.

Quand Haider al-Abadi devint premier ministre (en 2014), beaucoup de gens me demandèrent ce que j’en pensais, car j’avais travaillé avec lui sur un projet au parlement, et donc je le connaissais plutôt bien mais pas très bien. Fort de cette expérience, mon opinion était qu’il serait incapable de faire quoi que ce soit en raison de son caractère : paresseux, il ne comprend pas comment un gouvernement fonctionne, et il ne reconnaît pas ses erreurs. Et cette évaluation s’est révélée juste jusqu’à présent.

Ces gens n’ont nul espoir d’accomplir une réforme quelconque car ils se disputent pour savoir qui en serait chargé. (Faire des réformes) n’est pas dans leur intérêt car s’ils s’y aventuraient, ils finiraient en prison, nombre d’entre eux étant , ouvertement, engagés dans des opérations de corruption. Nombreux sont les politiciens irakiens qui, sur la chaîne de la télévision nationale ou par des écrits, se sont vantés de l’argent qu’ils avaient volé. Ces gens devraient être jugés en vertu du droit irakien, mais cela n’arrive jamais.

L’autre raison pour laquelle cela n’arrivera pas est qu’ils ne savent même pas comment s’y prendre. Ils n’ont aucune expérience qui leur permettrait de comprendre ce qui devrait changer dans l’Etat irakien pour établir les mécanismes d’une réelle responsabilité.

Aussi longtemps qu’un sang nouveau ne sera pas injecté dans l’Etat irakien par des élections basées sur des règles différentes ou autre mécanisme, rien ne bougera.

(Ces divisions) n’ont pas d’impact dans le combat contre l’EI car les partis politiques qui composent le Parlement n’ont guère d’influence sur les efforts pour reconstruire l’armée ou la campagne militaire irakiennes contre cet ennemi ; à ce niveau ils sont totalement déconnectés.

L’impact qu’il pourrait avoir est qu’il existe de graves divisions au sein des groupes religieux en Irak maintenant, exacerbées par la classe politique qui n’a de cesse de les approfondir afin de masquer son propre échec.

Il n’y a pas que les sunnites qui se méfient du gouvernement. Personne ne lui fait confiance.

Des villes comme Tikrit, Ramadi possèdent leur propre dynamique et particulièrement Tikrit qui, depuis sa libération de l’Etat islamique, s’est presque totalement repeuplée.

Elle tolère la gouvernance chiite car la question n’est pas de savoir si le gouvernement est chiite ou non mais de savoir sous quelle sorte de gouvernement elle sera placée. Ce que Bagdad doit faire, de sorte que sunnites, chiites, chrétiens et athées soient satisfaits de l’administration, est de procéder à une refonte complète des institutions.

Jusqu’à présent, c’est quelque chose que Bagdad a été totalement incapable de réaliser. Sans cela, l’Irak sera extrêmement vulnérable aux attaques terroristes, aux infiltrations, aux troubles sociaux. Telle est la recette pour au moins les prochaines années.

Zaid al-Ali est chargé de cours à la Woodrow Wilson School de l’Université de Princeton

Source : Is Iraq on the brink of collapse?

Traduction et Synthèse: Xavière Jardez

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