Ce texte de Françoise Petitdemange reprend point par point l’article que nous avons publié il y a deux jours: Le roi Saïf Kadhafi revient. Il aurait peut-être eu sa place dans les commentaires, mais nous avons préféré le publier car il revêt, à nos yeux, une importance capitale pour une vision plus globale du scénario libyen dans lequel s’inscrit la libération de Saïf Al Islam, et Saïf Al Islam lui-même. Nous parlons de scénario, car il s’agit bien d’un scénario en plusieurs actes, qui a débuté il y a plus d’une décennie et a atteint son point culminant en 2011 avec l’intervention militaire de l’OTAN/Al Qaida en Libye, pour aboutir à l’élimination physique de Kadhafi et la disparition de son système porteur de l’indépendance des peuples. La libération de Saïf Al Islam, dont on ne peut que se réjouir, pourrait bien n’être qu’une autre étape pour la finalisation parfaite du scénario en question, qui nécessiterait un article entier pour être développé. RI

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Un lecteur de La Libye révolutionnaire dans le monde (1969-2011) de Françoise Petitdemange s’est inquiété auprès de l’auteure de ce qu’elle pensait de l’article publié ici même sous le titre Le roi Saïf Kadhafi revient. (http://reseauinternational.net/libye-le-roi-saif-kadhafi- revient/) Et tout spécialement en ce qui concerne le rôle passé, présent, et à venir de Saïf al- Islam. Voici ce que Françoise Petitdemange a répondu…

Le titre de l’article: Le roi Saïf Kadhafi revient me laisse pantoise !

La  RAL  (République  Arabe  Libyenne) avait mis fin à la monarchie du roi Idriss 1er. Alors, parler du « roi Saïf Kadhafi« …

La RAL était devenue, durant une année, la RALPS (République Arabe Libyenne Populaire Socialiste) avant de céder la place, en mars 1977, à la JALPS (Jamahiriya Arabe Libyenne Populaire Socialiste) ou Etat des masses.

Dire que « Saïf Al Islam Kadhafi » est « l’héritier naturel de son père » est une trahison à l’égard de la Révolution du 1er Septembre 1969.

Les frères de Saïf al-Islam: Khamis, Moâtassem ont effectivement combattu, non pas « une âpre guerre révolutionnaire » mais une contre-révolution (par rapport à la Révolution de 1969) et une guerre coloniale !

Je n’ai pas eu de documents me permettant de dire si Saïf al-Islam a pris les armes mais j’en doute. Ce que je sais, comme beaucoup de personnes qui ont suivi l’actualité de cette année-là, c’est qu’il a beaucoup parlé et que, n’étant pas un homme d’État, il a commis des erreurs qui ont été fatales à son père et à son frère Moâtassem.

Cette phrase… « Les Zintanis n’étaient pas des amis de l’ancien régime. Ils étaient l’un des groupes rebelles les plus efficaces dans la lutte contre les forces de Kadhafi pendant le soulèvement que les bombardements de l’OTAN ont permis de remporter.«

C’est dire comment se situe Saïf al-Islam sur le plan politique. Il se trouve à l’opposé de la politique de la Jamahiriya. D’ailleurs, avant 2011, Saïf al-Islam a eu un comportement politique que n’appréciaient pas du tout les révolutionnaires de 1969 qui comprenaient qu’il y avait, chez ce jeune homme, une ignorance historique, politique, économique, diplomatique…

Ceci… « Le chaotique Gouvernement d’entente nationale (GNA), soutenu par l’ONU » « semble toutefois être à l’origine de l’acte d’amnistie dont ont bénéficié Saïf et d’autres prisonniers en avril » est quelque peu dangereux.

En général, des contre-révolutionnaires ne remettent pas facilement un homme – et notamment un fils de Muammar Gaddhafi – en liberté. Sauf s’ils pensent pouvoir le manipuler à leur convenance ou s’ils ont l’intention de l’éliminer physiquement.

« La tribu de Kadhafi elle-même a une base au sud de Zintan près de Sebha, et fait cause commune avec les Zintanis contre les milices d’Aube de la Libye qui contrôlent la capitale et le Gouvernement d’entente nationale (GNA).«

Ceci veut dire qu’il y a, parmi les Zintanis, des proches de Muammar Gaddhafi et des ennemis. Reste à savoir si les proches peuvent remettre Saïf al-Islam sur les rails de la Révolution, de la Jamahiriya et de tout ce que son père préparait en liaison avec le peuple libyen et avec les autres peuples d’Afrique et d’Amérique latine: États-Unis d’Afrique mais aussi relations renforcées avec des pays d’Amérique latine dont le Venezuela.

« Avant le soulèvement en Libye, Saïf sillonnait le monde pour chercher des soutiens à son projet de démocratisation du pays. » Oui. Saïf al-Islam « sillonnait le monde« , mais quelle démocratisation voulait-il faire ?

Je pense qu’il ne savait aucunement qu’il y avait, en Libye, une Constitution puisqu’il ne cessait de dire qu’il en fallait une. Simplement la Constitution qui existait était une Constitution populaire et non bourgeoise.

Or, Saïf al-Islam, au lieu de prendre des contacts avec des hommes et des femmes du peuple dans les autres pays, a préféré « flirter » avec des ennemis de son père, des ennemis de classe (puisqu’il faut bien appeler les gens par leur nom): le prince Albert de Monaco, les Rothschild, etc.

Sont-ce les paroles de Saïf al-Islam ? Ou des paroles que celui-ci a reçues de son père Muammar ? « Il y aura la guerre civile en Libye … nous allons nous entretuer dans les rues et toute la Libye sera détruite.«

Par contre, ceci est sans doute de Saïf al-Islam lui-même… « Il nous faudra 40 ans pour parvenir à un accord sur la façon de diriger le pays car, désormais, tout le monde voudra être président ou émir, et tout le monde voudra diriger le pays. » Il savait ce qu’il avait initié, en voulant absolument « moderniser » un système qui se modernisait sans lui.

« Saïf savait que son pays serait déchiré si le régime de son père était détruit par l’Occident. » N’était-ce pas ce qu’il visait, consciemment ou inconsciemment ?

Par ailleurs, il n’y avait pas « le régime de son père« , mais une Jamahiriya, une véritable démocratie directe et populaire. Or, ce que Saïf al-Islam voulait mettre en place, c’était une démocratie bourgeoise comme en Occident, c’est-à-dire une dictature exercée par le petit nombre sur le grand nombre.

Ecrire ceci… « Les brutalités du régime de son père« , c’est oublier qu’en Libye, il y avait un Tribunal du Peuple, que les « brutalités » des ennemis du peuple (les opposants exilés qui revenaient en Libye pour commettre des attentats) ont été notamment tournées, dès 1969, contre les révolutionnaires  et  en  particulier  contre  Muammar  Gaddhafi; c’est aussi ne pas voir  « les brutalités » des régimes bourgeois qui, eux, utilisent les bombes contre les populations militaires et civiles.

« La plupart des tribus qui soutenaient autrefois Kadhafi se battent maintenant contre les islamistes et leurs alliés opportunistes de Misrata d’Aube de la Libye« …

Les « tribus qui soutenaient » la Révolution du 1er Septembre 1969 savaient, par certains de leurs membres, ce qu’était le régime d’avant la Révolution.

Ces tribus soutenaient aussi la constitution des États-Unis d’Afrique… 2011 a montré que certaines tribus s’étaient laissé – volontairement ou pas – abuser par Bernard-Henri Lévy, que des membres de ces tribus, qui n’avaient pas connu le temps de la monarchie fantoche, rêvaient d’un retour à cette monarchie, avec les colonisateurs français, britannique, états-unien, comme avant la Révolution.

« il passait beaucoup de temps à Londres et fréquentait le cercle doré des riches magnats, des universitaires et de l’élite politique de Tony Blair«

C’est, entre autres, ce qui a perdu la Libye révolutionnaire.

Le problème des enfants de révolutionnaires, (ou des enfants de résistant(e)s, comme Michel J. Cuny et moi avons pu le constater, est que, souvent, ils se situent à l’opposé de leurs parents sur les plans politique, économique, etc. Et leurs fréquentations ne sont que le reflet de cette opposition.

« En d’autres termes, de nouvelles perspectives s’ouvrent à cet homme qui a été châtié par les rebelles pour avoir condamné leur rébellion à la télévision verte de Kadhafi pendant le soulèvement, mais qui n’a jamais tiré une seule balle.«

Voilà qui corrobore les doutes que j’émets plus haut. Quant à « la télévision verte« , elle n’était pas « de Kadhafi » mais de la Jamahiriya.

« Sa libération pourrait lui permettre de mettre en œuvre le projet qu’il a toujours prétendu porter: réformer son pays.«

Je crains que son projet soit du même type que celui des hommes qui se sont opposés à Muammar Gaddhafi, à la RAL, à la Jamahiriya: un projet qui n’a rien à voir avec la réalité…

D’ailleurs, Mohammed Mogaryef, qui s’opposait, depuis les années 1980, à Muammar Gaddhafi et au développement populaire de la Libye, n’a pas fait long feu au pouvoir après la mort du Guide.

Les opposants n’avaient aucun projet d’avenir pour leur pays: ils voulaient seulement le pouvoir. C’est tout ! Ce genre d’hommes est à la merci de tous les colonisateurs.

« Comme le Gouvernement d’entente nationale (GNA) est incapable de convaincre aucun des deux autres gouvernements de Libye de se joindre à lui, certains pensent qu’il faudrait faire appel à une médiation plus large, l’Arabie Saoudite et surtout Oman s’offrant comme médiateurs.

Cela sera discuté à Bruxelles le 18 juillet avec le secrétaire d’Etat américain John Kerry.«

L’Arabie Saoudite est, avec la France, la Grande-Bretagne, les États-Unis, le Qatar, Israël, parmi les principaux pays qui ont anéanti la Libye.

Et il se trouve encore des Libyens qui feraient confiance à l’Arabie Saoudite qui a financé et finance Al-Qaïda en Libye ?

Quant à Bruxelles et le secrétaire d’État américain…

N’y a-t-il pas un peuple, en Libye, capable de reconstruire son pays, politiquement et économiquement, si seulement les colonisateurs s’occupent de ce qui les regarde et laissent le peuple libyen s’occuper de ce qu’il veut pour son pays.

« Depuis la nouvelle de sa libération, il y a 24 heures, des Libyens de différentes villes du pays brandissent des photos de Saïf en criant son nom.«

Je crains qu’ils ne soient vite déçus: le fils n’est pas le père; l’un a, consciemment ou pas, poussé à la  contre-révolution  sanglante; l’autre, irremplaçable, avait fait, avec des amis, une réelle révolution sans faire couler le sang.

« Il est temps que Saïf joue un rôle, avec d’autres libertaires, dans et au dehors de la Libye pour promouvoir l’ancienne constitution et surtout pour bannir les membres du Groupe islamique combattant en Libye (GIGL, Al-Jama’a al-Islamiyyah al-Muqatilah bi-Libya), une ancienne filiale d’al-Qaeda.«

« Libertaires« , euh… Son père était un révolutionnaire mais certainement pas un libertaire. « Promouvoir l’ancienne constitution« … Laquelle ? Celle du roi Idriss 1er ?

« pour bannir les membres du Groupe islamique combattant en Libye« … cela va être très difficile. Autant chasser le loup de la bergerie.

La France, la Grande-Bretagne, les États-Unis, etc., n’ont pas intérêt à aider Saïf al-Islam (qu’ils ont mis dans la liste des réprouvés par la FIDH, l’ONU, la CPI, Interpol, etc.), à chasser le loup. Tant que le loup est dans la bergerie, tous ces pays pillent le pétrole.

Seul le peuple libyen est en mesure de décider pour lui-même.

Mais je puis vous dire que j’ai de sérieux doutes quant aux capacités de l’héritier présomptif d’un pouvoir qu’en tant que fils de Muammar, il se devrait de ne pas guigner, un pouvoir qui lui a déjà échappé, une fois.

Et avec quels dégâts !

Françoise Petitdemange

source: http://www.francoisepetitdemange.sitew.fr/#LA_LIBYE_REVOLUTIONNAIRE_.A