C’était il y a dix ans…Le 12 juillet 2006, l’armée israélienne lançait ce qu’elle a qualifié de « deuxième guerre du Liban » avec pour objectif de liquider les forces armées du Hezbollah. Ce fut une guerre atroce qui se termina le 14 août. Nous étions à Tel Aviv quand l’armée israélienne bombardait le Liban. Les Israéliens de toute tendances politique que nous avions interrogés approuvaient cette intervention qu’ils considéraient comme légitime. En quoi se justifiait-elle, demandions-nous. Ils n’avaient aucun scrupule à nous répondre : »Parce que le Hezbollah est un Etat dans l’Etat« . L’arrogance d’Israël à l’égard de tous ceux qui résistent à sa domination est inouïe. Malgré la supériorité militaire de l’armée israélienne, ses bombardements continus contre les populations civiles faisant des milliers de victimes, Israël a dû s’avouer vaincu face à la résistance du Hezbollah. Les deux brefs articles ci-dessous peuvent permettre à ceux qui n’ont pas suivi cette guerre dévastatrice de comprendre ce qu’Israël signifie pour tous ses voisins. [Silvia Cattori]
Les soldats israéliens quittent le Liban l’été 2006
Bush ‘a aidé Israël à attaquer le Liban
Par Dan Glaister, à Los Angeles
The Guardian, lundi 14 août 2006 – Article original : Bush ‘helped Israeli attack on Lebanon’
Le 7 août 2016 le président Bush déclare que le Hezbollah a perdu la guerre et qu’il y aurait un nouveau pouvoir au sud Liban
Le gouvernement américain était étroitement impliqué dans la préparation de la campagne israélienne au Liban, avant même que le Hezbollah ne capture deux soldats israéliens lors d’une attaque transfrontalière en juillet. Selon un rapport publié hier, des officiels américains et israéliens se sont rencontrés au printemps pour discuter des plans sur la manière de s’attaquer au Hezbollah et de le maîtriser..
Le journaliste d’investigation chevronné, Seymour Hersh, écrit dans le dernier numéro du magazine New Yorker que des officiels du gouvernement israélien ont voyagé aux Etats-Unis en mai pour partager [avec leurs homologues] les plans destinés à attaquer le Hezbollah.
Citant un consultant du gouvernement américain, voici ce que Hersh dit : « Au début de l’été … plusieurs officiels israéliens se sont rendus à Washington, séparément, ‘pour obtenir le feu-vert concernant cette opération de bombardement et pour savoir jusqu’où les Etats-Unis les soutiendraient’. »
Des officiels des gouvernements actuel et précédent ont dit à Hersh que l’action israélienne s’accordait avec le désir de l’administration de réduire la menace de possibles représailles de la part du Hezbollah contre Israël, au cas où les Etats-Unis lanceraient une attaque militaire contre l’Iran.
Ces sources ont déclaré à Hersh : « Une campagne réussie de bombardement par l’Aviation israélienne … pourrait atténuer les préoccupations d’Israël en matière de sécurité et servir aussi de prélude à une attaque préventive potentielle pour détruire les installations nucléaires iraniennes ».
L’aviation israélienne a bombardé en continu des quartiers densément habités au Liban
Hier, M. Hersh a déclaré à CNN : « Juillet était un prétexte pour une offensive majeure qui avait été préparée en détail depuis longtemps. L’attaque par Israël devait servir de modèle pour l’attaque qu’ils voulaient vraiment entreprendre. Ils voulaient réellement s’en prendre à l’Iran. »
Un consultant du Pentagone, qui n’a pas été nommé, a dit à Hersh : « C’était notre intention, de réduire les capacités du Hezbollah, et, à présent, nous avons quelqu’un d’autre qui le fait ». Les responsables du Département d’Etat et du Pentagone ont nié ce rapport. Un porte-parole du Conseil de Sécurité Nationale a dit à Hersh que « Le gouvernement israélien n’a donné aucune raison à aucun responsable à Washington de penser qu’Israël préparait une attaque ».
Ce n’est pas la première fois que Seymour Hersh fait sortir des affaires majeures. Il fut le premier à écrire sur les abus dans la prison d’Abou Ghraïb et il a écrit abondamment sur les préparatifs de la guerre en Irak. Il s’est fait un nom lorsqu’il découvrit le massacre de My Lai pendant la guerre du Vietnam. Tout dernièrement, il a écrit sur les plans des Etats-Unis concernant l’Iran, soutenant que les forces spéciales avaient déjà été actives dans ce pays.
Traduction : JFG/QuestionsCritiques
Source:http://questionscritiques.free.fr/edito/guardian/Bush_a_aide_Israel_a_attaquer_le_Liban_140806.htm
Eliot Abrams a assuré la promotion de sa politique de transformation du Proche-Orient, avec Israël à son centre
Par Tom Barry
International Relations Center, le 23 août 2006 Article original : « Hunting Monsters with Elliott Abrams »
Traduit de l’anglais (américain) par [JFG-QuestionsCritiques]
Dans le sillage du tout dernier conflit israélo-Hezbollah, les Israéliens sont en émoi et critiquent leur gouvernement et les Forces de Défense d’Israël [FDI] pour avoir mené la nation à la guerre sans avoir atteint le moindre de leurs objectifs. De nombreux Israéliens, y compris des officiers des FDI, accusent aussi l’administration Bush et les néoconservateurs américains, dans leur grande stratégie consistant à créer un « nouveau Proche-Orient », d’avoir encouragé Israël à agir comme l’homme de paille du gouvernement étasunien, en frappant le premier contre le Hezbollah — et, donc, la Syrie et L’Iran.
Dans un net contraste, aux Etats-Unis, le débat public sur le rôle de l’administration Bush, qui a soutenu la guerre ratée et criminelle au Liban, est quasi inexistant. Ainsi que les récents reportages de presse l’ont révélé, le Président Bush et son équipe à la politique étrangère avaient donné le feu-vert à Israël pour déloger Hezbollah, au moins deux mois avant ses combattants ne capturent deux soldats israéliens.
Comme pour l’Irak, les institutions, les experts et autres stratégistes néocons, qui conduisent la politique étasunienne, encouragent depuis longtemps les Etats-Unis et Israël à procéder à des changements de régime et à des stratégies préventives contre le Hezbollah, la Syrie et l’Iran. Parmi ces institutions, on retrouve l’American Enterprise Institute [l’institut de l’esprit d’initiative américain] (AEI) [1], la Fondation pour la Défense des Démocraties[2], le Centre à la Politique de Sécurité[3] et le Programme pour un Nouveau Siècle Américain [PNAC][4]. Du côté des personnalités, on retrouve Max Boot [5], Charles Krauthammer [6], Michael Ledeen [7], et Eliot Abrams[8].
Comme pour la guerre d’Irak, les causes défendues par les néoconservateurs, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’administration Bush, ont été embrassées, à divers degrés, par Dick Cheney (le Vice-président), Donald Rumsfeld (le Secrétaire à la Défense), Stephen Hadley (le Conseiller à la Sécurité Nationale) [9], Condoleeza Rice (la Secrétaire d’Etat) et Bush lui-même.
À l’extérieur de l’administration Bush, les néocons ont fait pression avec véhémence sur le gouvernement pour qu’il agisse « plus vite, SVP », comme aime à le répéter Michael Ledeen, avec sa stratégie de transformation du Proche-Orient. Pendant les récentes hostilités, Ledeen et d’autres, notamment Krauthammer, Boot et William Kristol[10], ont plaidé pour que les Etats-Unis et Israël déplacent la guerre vers la Syrie et l’Iran.
Depuis qu’il a rejoint l’administration Bush en 2002, comme chef-conseiller au Proche-Orient au National Security Council (NSC) [le Conseil de Sécurité Nationale] de la Maison-Blanche, Eliot Abrams a assuré tranquillement la promotion de sa politique de transformation du Proche-Orient, avec Israël à son centre. S’il faut condamner un seul responsable étasunien, aux côtés du président, du vice-président et de la Secrétaire d’Etat, pour la position désastreuse du gouvernement vis-à-vis d’Israël dans la dernière guerre, ce ne peut être qu’Eliot Abrams. Peut-être plus que tout autre membre de l’équipe de Bush aux affaires étrangères, Abrams est celui qui incarne la vision zélée, idéologique et dangereusement illusoire de l’administration, vis-à-vis de la politique étrangère au Proche-Orient.
Abrams, qui se consacre, depuis le milieu des années 70, à remodeler la politique étrangère des Etats-Unis, est le néocon qui oriente [aujourd’hui] l’administration Bush, en vue de transformer le Proche-Orient. Selon l’article de Seymour Hersh, publié dans l’édition du New Yorker du 21 août, le staff de politique étrangère de Cheney et Abrams avaient terminé, au début de l’été, la mise au point d’un plan pour rayer le Hezbollah de la carte.
Durant le premier mandat de Bush, Abrams était responsable des affaires proche-orientales et nord-africaines au NSC. « Je suis en charge des deux-tiers de l’axe du mal », se vantait-il dans un essai paru le 10 février 2005 dans le New Yorker. Dans cette seconde administration Bush, Abrams porte deux casquettes. D’une part, il dirige la « Stratégie Globale de Démocratie » du président et, d’autre part, il est le 1er adjoint du Conseiller à la Sécurité Nationale, Hadley. Bien qu’étroitement impliqué dans toute la politique relative au Proche-Orient, le rôle officiel d’Abrams au NSC est de s’occuper des affaires « israélo-palestiniennes ». Mais Abrams insiste depuis longtemps pour dire que les tensions » israélo-palestiniennes » sont un conflit « israélo-arabe », astucieusement maquillé en conflit d’autodétermination.
Dans le passé, soit Abrams a précédé, soit il a accompagné la Secrétaire d’Etat Condoleeza Rice lors de ses voyages au Proche-Orient, où la destination principale est Jérusalem. Après plus d’une semaine à regarder Israël déverser au Liban toute sa force contre le Hezbollah, fin juillet, Abrams s’est rendu à Jérusalem. Il faisait partie d’une délégation de trois personnes, menée par Rice, qui incluait aussi C. David Welch, un diplomate de carrière, assistant de la secrétaire d’Etat aux Affaires du Proche-Orient.
Bien qu’il ait passé, ces dernières semaines, la plus grande partie de son temps à Jérusalem, Abrams a fait la navette entre Washington et Jérusalem. Il a joué un rôle central pour maintenir la cohésion du consensus militaro-néoconservateur de Washington sur la politique israélo-arabo-iranienne.
En prenant Eliot Abrams comme expert en chef sur le Proche-Orient et comme « aiguilleur » de son administration dans la guerre actuelle, cela en dit long sur les vues personnelles du président à propos de la « démocratie globale » et des affaires du Proche-Orient. Que Bush ait sélectionné Abrams pour jouer le rôle principal dans deux aspects-clés de la politique étrangère agressive de l’administration — la démocratisation et la transformation du « Moyen-Orient » — démontre aussi à quel point la Maison Blanche est confortable avec l’agenda de politique étrangère encouragé par le camp néoconservateur !
Les néoconservateurs et les néo-reaganiens
Abrams, qui déclare fièrement être « néoconservateur et néo-reaganien », est le gendre de Norman Podhoretz et de Midge Decter, un couple de militants qui ont joué un rôle essentiel, dans les années 1970, pour installer le néoconservatisme comme tendance politique influente. Les qualifications néoconservatrices et néo-reaganiennes d’Abrams ne font aucun doute. Comme de nombreux autres néocons de la deuxième génération de néocons, Abrams est entré dans la carrière politique avec les Sociaux-Démocrates des USA, qui sont [en fait] très à droite. Il a commencé comme conseiller juridique du sénateur Henry « Scoop » Jackson[10], à la fois faucon et fervent supporter d’Israël. À la fin des années 70, Abrams a travaillé avec d’autre Démocrates de droite dans la coalition pour une Majorité Démocratique, où il a participé à la tentative ratée de transformer le Parti Démocrate, après la guerre du Vietnam, en anticommunisme pur et dur. Ensuite, en compagnie d’autres Démocrates partisans de la Guerre Froide, ils ont commencé à soutenir Reagan et les Républicains.
Lorsqu’il n’était pas au service du gouvernement, Abrams était affilié aux institutions et aux groupes de pression néoconservateurs, dont le Centre d’Ethique et de Politique Publique, le Programme pour un Nouveau Siècle Américain, le Centre à la Politique de Sécurité, la Commission aux Intérêts Etats-Uniens au Proche-Orient, la Commission du Monde Libre et la Fondation pour la Résistance Nicaraguayenne.
En tant que reaganien, Abrams a exercé au Département d’Etat pendant le premier mandat du Président Reagan. Il y fut Secrétaire d’Etat délégué aux droits de l’homme, puis Secrétaire délégué aux affaires inter-américaines. En tant que diplomate du Département d’Etat, Abrams a aidé à coordonner le soutien illégal de son gouvernement aux Contras nicaraguayens [les fameux contre-révolutionnaires du Nicaragua], reconnus par les Reaganiens comme des « combattants de la liberté ». Il a aussi travaillé avec le Lieutenant-Colonel Oliver North pour mettre au point une organisation triangulaire de ventes des armes à l’Iran en passant par Israël et dont les recettes étaient canalisées vers les contras nicaraguayens — une opération illégale dont il a toujours nié avoir eu connaissance, à tort, lors de l’audition parlementaire qui a suivi sa condamnation criminelle [Iran-Contras].
Sous l’administration Reagan, Abrams était la connexion du gouvernement entre les militaristes du NSC et les agents de la diplomatie publique du Département d’Etat, de la Maison-Blanche et du National Endowment for Democracy (NED) [la Fondation Nationale pour la Démocratie]. Abrams a travaillé en étroite collaboration avec Otto Reich[12], qui dirigeait l’Office de Diplomatie Publique de la Maison-Blanche, en charge de diffuser la « propagande blanche » au public américain, aux médias et aux législateurs, pour construire le soutien à la politique interventionniste de l’administration Reagan, en Amérique Latine et ailleurs. Avant de rejoindre l’administration Bush, Abrams fut le premier président de la Commission à la Liberté Religieuse. Cette commission gouvernementale avait été établie sur l’initiative de Newt Gingrich, leader de la Majorité à la Chambre des Représentants, et d’une coalition de néoconservateurs et d’organisations de la Droite chrétienne.
En ce qui concerne le parti pris d’Abrams sur les affaires du Proche-Orient, voici ce qu’écrivait un ancien membre de la Commission Etats-Unienne à la Liberté Religieuse, le Dr Laila al-Marayati, : « Du point de vue élevé de la [Commission], étant à la fois américain et musulman, j’ai eu l’occasion malheureuse d’être le témoin — clairement et sans équivoque — de la discrimination profonde qu’apporte Abrams dans sa nouvelle fonction. Alors président de la Commission, Abrams a conduit notre délégation en Egypte et en Arabie Saoudite, mais à Jérusalem, trois d’entre nous ne furent pas conviés, puisqu’il était d’avis qu’aucun problème de liberté religieuse en Israël ne mériterait de retenir l’attention de la commission. Contourner Israël ne fut pas la seule manière dont Abrams sabota la visite de la Commission au Proche-Orient. Il réussit à snober le dirigeant de l’Islam en Egypte, ce qui créa un quasi-cauchemar diplomatique qui ne fut évité de justesse que par l’intervention de l’ambassadeur des Etats-Unis ».
« La Paix par la Force » au Proche-Orient
Dans les années 90, Abrams soutenait le renouveau de la politique étrangère de Reagan, dite « la Paix par la Force », en particulier au Proche-Orient. Cela fait partie intégrante de son identité néo-reaganienne. En 1992, Abrams a aidé le Comité pour les Intérêts Etats-Uniens au Moyen-Orient, qui était en fait une commission dont le rôle consistait à s’assurer que la politique étasunienne était bien alignée avec le Likoud en Israël.
Parmi les autres membres, on retrouve Richard Perle [13], Douglas Feith, Frank Gaffney et John Lehman, ainsi que des douzaines d’autres faucons néoconservateurs et pro-israéliens. Le Comité s’est prononcé contre ce qu’il percevait comme une distanciation dangereuse entre l’administration Bush et Israël, manifeste dans la pression qu’elle exerçait sur Israël pour qu’il se retire de certains territoires occupés et qu’il mette fin, dans trois zones, à sa campagne d’expansion des colonies. « Monsieur le Président, nous ne sommes pas d’accord sur le fait que la politique actuelle d’antagonisme vis-à-vis d’Israël soit dans l’intérêt national des Etats-Unis ».
Membre constitutif du Projet pour un Nouveau Siècle Américain [PNAC], Abrams a signé toutes les déclarations du PNAC, avant de rejoindre l’administration Bush. En 2000, Abrams a participé au Groupe ad hoc d’Etude sur le Liban, qui était sponsorisé conjointement par le Middle East Forum et le Comité Etats-Unien pour un Liban Libre. Ce groupe appelait les Etats-Unis à se débarrasser des prétendues armes de destruction massive, à initier des sanctions contre la Syrie et à ce que la Syrie retire ses troupes du Liban.
En 2000, Abrams a aussi rédigé un chapitre du PNAC, intitulé Dangers Actuels, qui était conçu comme un projet politique pour le président entrant. « Notre force militaire et notre détermination à l’utiliser restera un facteur-clé de notre capacité à promouvoir la paix », écrivait Abrams. « Renforcer Israël, notre principal allié dans la région, devrait être le point central de la politique Etats-Unienne au Proche-Orient et nous ne devrions pas permettre l’établissement d’un Etat Palestinien qui ne soutient pas la politique étasunienne dans la région », affirmait-il. Présageant la politique proche-orientale de l’administration de George W. Bush, Abrams écrivait : les intérêts des Etats-Unis « ne se trouvent pas dans le renforcement des Palestiniens aux dépends des Israéliens, abandonnant notre politique générale consistant à soutenir l’expansion de la démocratie et des droits de l’homme, ou subordonner au ‘succès’ du ‘processus de paix’ arabo-israélien tous les autres objectifs politiques et de sécurité. »
Dans ses articles publiés dans Commentary, le magazine néoconservateur de l’American Jewish Committee [le Comité Juif Américain], Abrams exprimait son soutien pour les positions très à droite du Likoud, y compris celles des premiers ministres Benjamin Netanyahou et Ariel Sharon[14]. Abrams a rejeté constamment la formule « des terres en échange de la paix » pour les négociations israélo-palestiniennes, appelant les Accords d’Oslo une « illusion » et critiquant la « politique de concessions » du gouvernement israélien. Qui plus est, Abrams, dont des membres de sa famille vivent en Israël, a constamment appelé les Etats-Unis a soutenir publiquement la prétention d’Israël à la souveraineté sur Jérusalem, en déménageant l’ambassade des Etats-Unis de Tel Aviv à Jérusalem.
La paix au Proche-Orient, selon Abrams, sera le produit de la force militaire israélienne et étasunienne. En octobre 2000, Abrams écrivait : « Après une décennie d’aveuglement à leur propre égard, les Juifs américains doivent regarder la réalité en face. La direction palestinienne ne veut pas de la paix avec Israël et il n’y aura aucune paix. » Critiquant les organisations juives américaines modérées de soutenir le « processus de paix », Abrams plaidait pour une réponse sévère et écrivait que « les années de pression étasunienne à l’encontre d’Israël doivent cesser ». À la suite de l’élection d’Ariel Sharon à la fonction de Premier ministre, Abrams écrivait que Sharon incarnait une nouvelle approche « de fermeté et de résistance à la violence ou à la menace de violence ». Abrams a comparé le retour de Sharon à la tête du gouvernement israélien au retour de Winston Churchill au gouvernement, lorsque la survie de la Grande-Bretagne était menacée.
Il n’y a aucun doute qu’Abrams, dans la crise qui se déroule au Proche-Orient, est un ardent partisan d’Israël et un critique féroce du Hezbollah. Fin juillet, rentrant à Washington d’un voyage en Israël, Abrams en a fait le compte-rendu à une délégation d’organisations juives qui voulaient s’assurer que l’administration soutenait inconditionnellement Israël. Le 20 juillet, Abrams, qui sert officieusement de liaison du président avec les organisations juives sur les questions au Proche-Orient, a dit à cette délégation que le Hezbollah est » un monstre dont on doit s’occuper ».
Les opinions tranchées d’Abrams s’étendent jusqu’à l’identité religieuse et nationale des Juifs étasuniens. Séparatiste radical, Abrams soutient que les Juifs ne devraient pas donner de rendez-vous amoureux ou aller à l’école primaire avec des non-juifs. Selon Abrams, « En dehors de la terre d’Israël, les Juifs qui croient en l’Alliance passée entre Dieu et Abraham, doivent sans aucun doute se tenir à l’écart de la nation dans laquelle ils vivent. C’est la nature même de la judaïté de se tenir à l’écart — sauf en Israël — du reste de la population ».
Abrams prend bien soin d’insister sur le fait que ses positions n’impliquent aucune « déloyauté » vis-à-vis des Etats-Unis. Mais, en même temps, il insiste sur le fait que les Juifs doivent être loyaux envers Israël parce qu’ils « sont dans une alliance entre Dieu, la terre d’Israël et son peuple. Leur engagement ne faiblira pas, même si le gouvernement israélien poursuit des politiques impopulaires ».
Un Idéologue qui Devient Diplomate
Hors de Washington, surtout dans le monde musulman, on pourrait penser que le gouvernement étasunien est uni dans son soutien aux campagnes militaires israéliennes à Gaza et au Liban. Toutefois, les fissures habituelles entre les militaristes et les néoconservateurs, d’un côté, et les diplomates et les réalistes, de l’autre, contredisent l’unité apparente du soutien à Israël.
Cette ligne de division traverse en plein l’équipe des trois hauts-fonctionnaires qui s’occupe de la réponse étasunienne à cette crise. Un reportage du New York Times (10 août 06), intitulé « Rice’s Hurdles on Middle East Begin at Home » [la course de haies de Rice sur le Proche-Orient commence à la maison], faisait remarquer que Rice avait été accompagnée au Moyen-Orient « par deux hommes ayant des vues différents sur ce conflit », nommément Abrams, du NSC, et Welch, du Département d’Etat. Selon le NYT, Eliot Abrams, un néoconservateur fortement lié à Dick Cheney, a poussé l’administration à se jeter dans le soutien à Israël » et, pendant les voyages de Condoleeza Rice [au Proche-Orient], Abrams a « gardé un contact direct avec le bureau de M. Cheney ».
Un officiel de l’administration a déclaré au NYT que Welch et Abrams servaient de « contre-souches » avec Abrams « articulant la position israélienne ».
Si les supporters du Président Bush, sur sa droite, sont contents en général que l’administration soutienne fermement la position d’Israël, beaucoup critiquent le Département d’Etat et Condoleeza Rice. Celui qui mène cette attaque est Richard Perle. Avec Douglas Feith, l’ancien sous-secrétaire à la Défense en charge de la politique, Perle a commencé à travailler avec Abrams au milieu des années 70, lorsqu’ils conseillaient tous deux le Sénateur Jackson. Dans un éditorial du Washington Post (du 25 juin 06), qui a servi à coaliser les forces conservatrices contre Rice, Perle écrivait que, étant passée du NSC au Département d’Etat, Rice se trouve « à présent au milieu de — et représente de plus en plus — un establishment diplomatique qui est conduit pour satisfaire ses alliés, même lorsque (ou, semble-t-il, surtout quand) de tels alliés conseillent l’apaisement de nos adversaires ».
Un mois plus tard, le 25 juillet, un article intitulé « Virez Condi ! », dans Insight Magazine, une publication du Washington Times et écrit par ses rédacteurs en chef, rapportait avec approbation : « Les alliés conservateurs du Président Bush, en matière de sécurité nationale, sont révoltés contre Condoleeza Rice, disant qu’elle est incompétente et qu’elle a inversé l’agenda de sécurité nationale et de politique étrangère de l’administration Bush ». Tous les principaux critiques de Rice, dont Newt Gingrich et William Kristol, accusent l’Iran de profiter de l’inexpérience et de l’incompétence de Rice. De même, ils accusent la prétendue tradition du Département d’Etat à « l’apaisement ».
L’association étroite d’Abrams et de Mme Rice — lorsqu’il travaillait sous ses ordres au Conseil de Sécurité Nationale pendant le premier mandat de Bush et, plus récemment, comme l’un des principaux conseillers de la secrétaire d’Etat pour le Proche-Orient — a soulevé des questions parmi les conservateurs sur son intégrité idéologique. Lorsque le Premier ministre Ariel Sharon a plaidé pour un désengagement unilatéral de la Bande de Gaza, de nombreux néoconservateurs, sionistes chrétiens et radicaux de la sécurité nationale émirent des critiques — de même que des Likoudniks radicaux, comme l’ancien Premier ministre Benjamin Netanyahou —, alors qu’Abrams exprimait son soutien aux initiatives de Sharon.
Cependant, tous les proches d’Abrams n’ont jamais douté de lui. Lorsque les conservateurs, pendant le premier mandat de Bush, ont commencé à se demander s’il capitulait devant les conservateurs modérés comme Rice et les « apaiseurs » du Département d’Etat, le sous-secrétaire à la défense d’alors, Daniel Pipes [15], du Middle East Forum, a dit a ceux dans la communauté pro-Israël de retenir le feu — qu’Abrams savait que ce qu’il faisait était dans les meilleurs intérêts d’Israël.
Travaillant à l’intérieur du gouvernement, Abrams s’est révélé être un expert, tant durant l’administration Reagan que celle de Bush, pour faire avancer ses propres programmes politiques radicaux dans tous les départements-clés de la branche exécutive. Avec ses propres qualifications néoconservatrices et pro-israéliennes bien établies, Abrams s’est concentré sur l’exécution pragmatique d’agendas politiques plutôt que de tenir fermement des positions idéologiques. Voici ce qu’un haut fonctionnaire de l’administration a déclaré au New York Times : « Le génie d’Eliot Abrams est qu’il est Eliot Abrams. Comment peut-il être accusé de ne pas soutenir suffisamment Israël ? »
Novice dans les affaires du Proche-Orient, Condoleeza Rice — lorsqu’elle était conseillère nationale à la sécurité et, aujourd’hui, en tant que secrétaire d’Etat — s’est reposée sur Abrams pour son point de vue sans nuance sur les affaires du Proche-Orient. Un ami de Rice à déclaré au New Yorker : Elle considère Abrams « non seulement comme un bon gestionnaire, mais comme un bon stratège. En tant qu’administrateur du NSC, vous voulez quelqu’un qui peut réfléchir plusieurs coups à l’avance, qui a une vision périphérique et un instinct pour vous amener là où vous voulez aller — quelqu’un qui peut vraiment jouer avec des enchères élevées ».
Abrams est un idéologue néoconservateur qui, en tant qu’agent du gouvernement, a transformé l’idéologie en stratégie et en politique. Mais ses instincts et sa vision du Proche-Orient sont-ils en accord avec les intérêts nationaux étasuniens et les réalités du Proche-Orient ? Richard John Neuhaus, collègue de longue date d’Abrams, depuis les années 70, et membre des néoconservateurs, a déclaré au New Yorker : « Ce qui anime la pensée d’Eliot est une dévotion profonde, quasi-religieuse, à la démocratie. Il pense qu’un réel changement démocratique peut se produire au Moyen-Orient. D’une certaine manière, c’est à vous couper le souffle ».
Dans son rôle dual en tant que chef de l’initiative globale pour la démocratie à la Maison-Blanche et conseiller adjoint au NSC, Abrams est très bien placé pour s’assurer que ses idées radicales d’une croisade pour la démocratie, conduite par les Etats-Unis, et d’un Proche-Orient dont le centre est Israël déterminent les directions de la politique étrangère des Etats-Unis — la première apportant une couverture morale pour la seconde.
Mais Abrams et d’autres dans l’administration Bush commencent à trouver que les idéologies « de démocratie globale » et de « pouvoir par la force » ont un sale effet inverse.
Dans la partie de son travail qui consiste à être le fer de lance de ce que le président appelle la « révolution démocratique globale », Abrams a aidé à organiser une rencontre à Washington pour les dissidents iraniens. Comme par hasard, elle a eu lieu le même jour où il a assuré aux représentants des organisations juives que l’administration Bush continuerait de soutenir quasiment inconditionnellement Israël. Mais la plupart des dissidents iraniens invités ont repoussé cette invitation, disant que l’implication du gouvernement étasunien dans les affaires iraniennes minait la lutte pour la démocratie. Akbar Ganji[16], qui a été emprisonné par le gouvernement iranien en 2000, a refusé l’invitation de la Maison-Blanche, disant que de telles réunions plombaient la crédibilité de l’opposition iranienne. Dans un discours à Washington, Ganji a déclaré que la guerre en Irak avait entretenu la montée du fondamentalisme islamique et handicapé le mouvement démocratique au Proche-Orient.
La vision de « paix par la force » de la Pax Americana qui s’étend et assure la sécurité d’Israël s’est révélée illusoire et mal conduite. Au lieu de débarrasser la région des régimes anti-israéliens et anti-étasuniens, l’invasion et l’occupation de l’Irak, soutenues par Abrams et les autres idéologues néocons, ont créé un nouveau lieu de reproduction pour les terroristes islamiques non étatiques et un Etat qui montre des signes pour devenir un élément d’un nouveau bloc anti-israélien dans la région. Pendant ce temps, la campagne israélienne, soutenue par les Etats-Unis, afin de pourchasser d’autres monstres déclarés — le Hezbollah, le Hamas, l’Iran et la Syrie — pourrait vraiment conduire à un nouveau Proche-Orient. Mais un Proche-Orient où Israël sera bien moins en sécurité et où les Etats-Unis seront encore plus haïs.
Tom Barry est le directeur politique de l’International Relations Center
[1] Une fiche sur l’American Enterprise Institute,
[2] Lire : Les trucages de la Foundation for the Defense of Democracies,
[3] Lire : Les marionnettistes de Washington,
[4] Dit aussi Projet pour un Nouveau Siècle Américain
[6] Ancien psychiatre et rédacteur des discours de l’ex vice-président Walter Mondale durant la campagne présidentielle de 1980 aux Etats-Unis, Charles Krauthammer est un des éditorialistes conservateurs du Washington Post.
[7] Lire: Qui est Michael Ledeen ?, sur QuestionsCritiques
[8] Lire : Elliott Abrams, le ‘gladiateur’ converti à la ‘théopolitique’ »,
[9] Lire: Ces « faucons » en perte de vitesse à Washington,
[10] Une fiche sur William Kristol,
[11] Lire : La CIA fait saisir et classifier des archives d’Henry » scoop » Jackson
[12] Voir : Otto Reich et la contre-révolution par Paul Labarique et Arthur Lepic
[13] Voir : Richard Perle : Le Prince des Ténèbres, par Jude Wanniski
[14] Lire: Ce que Sharon avait en tête : Manger la Palestine au p’tit déj’, par Bradley Burston
[15] On lira avec intérêt Les caricatures de Mahomet sont-elles un coup monté par les néocons ?, par Jean-François Goulon
[16] Akbar Ganji est considéré comme le principal journaliste d’investigation en Iran. Pour en savoir plus, lire : Le Mystère Ganji, sur Iran-resist.
Source: Questions critiques.free.