Expulsion, exclusion : C’est ça aussi la démocratie israélienne
17 septembre 2016
Publié par Gilles Munier sur 17 Septembre
Par Jonathan Cook (revue de presse: Washington Report on the Middle East – extrait – Octobre 2016)*
Il est difficile de mettre en symbiose les paroles et les actions de Benjamin Netanyahou : il est l’un des principaux initiateurs de la loi du 19 juillet 2016 qui autorise le parlement israélien, la Knesset, d’exclure à une majorité des deux-tiers un de ses membres dont il ne partage pas les vues.
Intitulée la Loi d’exclusion, elle est envisagée comme un moyen pour les partis juifs de la Knesset d’exclure les parlementaires représentant l’importante minorité palestinienne puisque un sur cinq israéliens est palestinien. Or, une semaine plus tard, Netanyahou s’était excusé sur les médias auprès des Palestiniens, en anglais et en hébreu, des commentaires désobligeants qu’il avait faits l’an dernier au cours des élections législatives en Israël. Il avait alors appelé ses partisans à se rendre aux urnes car les « Arabes, » – 1,7 million de citoyens palestiniens- « iraient voter en masse ».
Netanyahou a prétendu que ses propos avaient été mal interprétés et assuré que « les citoyens arabes devaient participer en masse à la société : travailler en masse, étudier en masse, prospérer en masse… Je suis fier du rôle des Arabes dans la réussite d’Israël. Je veux que vous y jouiez un rôle encore plus grand ».
La loi d’exclusion va considérablement restreindre le rôle des parlementaires palestiniens à la Knesset, seule institution publique véritablement transparente. Selon Adalah, un centre de droit représentant la minorité palestinienne, cette loi n’a aucun précédent dans aucun Etat démocratique mais, en Israël, elle fait partie d’un ensemble de lois visant à circonscrire strictement les droits de cette minorité afin de tarir les divergences. D’autres craignent qu’elle ne vide la Knesset des partis politiques palestiniens.
« Cette loi viole toutes les règles de la démocratie et le principe que les minorités doivent être représentées » dit Mohammed Zeidan, directeur de l’Association des Droits de l’Homme (Human Rights Association) de Nazareth « et envoie le message en direction du public qu’il est possible, et même souhaitable, qu’il n’y ait seulement qu’une Knesset juive ».
La coalition des quatre partis palestiniens au parlement du nom de Joint List (Liste Commune), a publié une lettre ouverte le 22 juillet affirmant que Netanyahou et son gouvernement « veulent une Knesset sans Arabes ». Selon Zeidan, « cela pourrait advenir très rapidement car « il suffirait de l’expulsion d’un seul député palestinien ce qui conduirait à des pressions énormes sur les autres pour qu’ils démissionnent en protestation». Il est à noter que la Liste constitue le troisième parti au parlement avec 13 sièges sur les 120.
Yousef Jabareen, député de la Liste commune, à la Knesset, pense que la loi a créé « unparlement en liberté surveillée » le forçant au silence « ou bonne conduite » car « la menace de l’exclusion sera une tactique pour réduire le parlement au silence et entraver les capacités de la Liste à remplir le mandat que lui ont confié les électeurs ».
La première cible de la loi a été Haneen Zoabi, du parti Balad , ennemie jurée des membres juifs du parlement- d’où le nom donné à cette loi, la loi Zoabi.- pour avoir attaqué le pacte de réconciliation conclu entre Israël et la Turquie. Des membres juifs de la Knesset l’avaient agressée dans l’enceinte même de l’assemblée. Elle les avait outragés en qualifiant de « meurtre » la mort de dix militants par des commandos israéliens en 2010, lors de l’assaut dans les eaux internationales, de la flotte se dirigeant vers Gaza à laquelle elle participait.
Au lieu de blâmer les parlementaires juifs, Netanyahou déclarait « qu’elle avait dépassé toutes les bornes» et qu’elle « n’avait plus sa place à la Knesset». De la même manière, Herzog dirigeant de l’opposition, avait requis la censure des discours de Zoabi. Et Netanyahou, lors de l’adoption de la loi, avait, sur les médias sociaux, déclaré que « ceux qui soutiennent le terrorisme en Israël et ciblent ses citoyens, n’ont plus leur place à la Knesset ».
Zeidan qualifie la loi d’ « escalade dangereuse » pour nourrir la haine « nous entrons dans une ère nouvelle. Avant, nous avions des lois et des politiques racistes, maintenant, nous nous dirigeons rapidement vers un fascisme caractérisé ». « Les provocations permanentes du premier ministre à l’encontre de la minorité palestinienne descendent dans la rue où il y aura plus de violence et d’attaques de citoyens palestiniens par le public juif».
Une procédure contre un membre de la Knesset peut être initiée par 70 parlementaires. Une exclusion en demande 90 si ceux pensent que le politicien a incité au racisme ou soutenu la lutte armée contre Israël bien qu’il n’y ait aucune définition juridique de ce que constitue un « soutien ». La Knesset pourra prendre en compte les déclarations dudit politicien – et particulièrement leur interprétation- et pas simplement les actes ou les buts affichés. Jusqu’à présent, un député ne pouvait être exclu que pour un crime sérieux.
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Zahalka, dirigeant du parti Balad, pense que les membres palestiniens de la Knesset vont devoir faire face à « une situation extraordinaire ». « Dans tous les pays, l’immunité parlementaire confère à son titulaire des droits plus importants que ceux du simple citoyen, pour qu’il puisse mener à bien ses tâches législatives. En Israël seulement, les représentants du peuple auront une liberté de parole et d’action plus limitée que celle du citoyen ordinaire. »
La Loi d’exclusion fait suite à l’interdiction du Mouvement Islamique du nord, le mouvement le plus largement présent au sein de la minorité palestinienne dont le chef, le Cheikh Raed Salah, est considéré comme un leader spirituel par une grande partie de celle-ci. A l’époque, Netanyahou avait insinué qu’il était mêlé à des « activités terroristes » mais des fuites de ministres du gouvernement à Haaretz avaient révélé que les services de sécurité n’avaient rien trouvé.
Il est vrai que la droite israélienne s’est battue, depuis un certain temps, pour évincer les partis palestiniens de la Knesset. Au cours des 15 dernières années, le Comité central pour les élections, dominé par les partis juifs, a tenté d’interdire aux Palestiniens de la Knesset de se présenter aux élections. Cependant, la Cour Suprême a cassé les décisions en appel.
En 2014, le gouvernement a essayé un autre tour de passe-passe : il a voté une loi dite la Loi du Seuil qui augmentait la proportion de voix nécessaires pour être élu, proportion impossible à atteindre pour les quatre petits partis palestiniens. La manœuvre prit l’eau car la réponse de ces partis fut de s’unir en formant la Joint List (La liste commune) qui est devenue un des plus grands blocs de la Knesset à la suite des élections de l’an dernier.
Asad Ghanem, professeur de politique à l’Université de Haïfa, souligne que la Loi d’exclusion pourrait conduire au but déclaré de Netanyahou, à savoir décourager la population palestinienne de participer aux élections, puisque l’abstention, avant la création de la Joint List, avait atteint plus de 50% de votes de la minorité.
« Si les attaques contre la représentation arabe à la Knesset continue, les électeurs pourront avoir l’envie de conclure qu’ « assez, c’est assez » et qu’il est temps de se retirer du jeu politique ».
Jonathan Cook est un journaliste basé à Nazareth. Il a obtenu le Prix Spécial pour le Journalisme de Martha Gellhorn et est l’auteur de Blood and Religion, Israël et le clash des civilisations. https://twitter.com/jonathan_k_cook