damascus-1948-Nakba 1948 Palestine - Camp de réfugiés de Jaramana, Damas, Syrie (Wikipedia Commons)

Nakba 1948 Palestine – Camp de réfugiés de Jaramana, Damas, Syrie (Wikipedia Commons)


Du Comité spécial du Parlement britannique pour les affaires intérieures jusqu’à Howard Jacobson, les efforts visant à rendre certains sujets tabous ne feront que s’intensifier.

À l’heure actuelle, il est clair que la soi-disant « crise » de l’antisémitisme dont est accusé le Parti travailliste britannique est instrumentalisée pour délégitimer l’antisionisme par des groupes et des individus qui mettent les deux dans le même sac. C’est cette confusion que je veux aborder, et plus précisément, comment elle n’est rendue possible que par la déshumanisation et la disparition des Palestiniens.

Donc oui, parlons du sionisme. Et quand nous le ferons, ce qu’il a fait endurer aux Palestiniens se retrouvera au centre du débat

Prenez le Comité spécial du Parlement britannique pour les affaires intérieures et le rapport récemment publié au sujet de l’antisémitisme, document manifestement inadapté. Les députés ont reconnu que les trois quarts des incidents antisémites sont provoqués par l’extrême-droite, mais le comité s’est concentré obsessionnellement sur le Parti travailliste et son dirigeant, Jeremy Corbyn. La présidente du Syndicat national des étudiants, Malia Bouattia, a été salie sans droit de réponse ; et les juifs orthodoxes n’ont même pas été consultés.

D’autres ont procédé à une dissection admirablement médico-légale des défauts du rapport. Je veux me concentrer sur ce que ce document a à dire à propos du sionisme, mentionné environ vingt cinq fois, dont la plupart dans une seule partie du texte  intitulée « Opposition au sionisme ».

Or, tout en affirmant que le « concept » du sionisme « reste un sujet valable du débat universitaire et politique », le comité prétend un peu plus loin que l’emploi du mot « sioniste » dans un contexte « accusatoire » doit « être considéré comme un acte séditieux et potentiellement antisémite ».

En outre, tout en n’excluant pas précisément le sionisme comme « sujet de … débat », le comité ne cite que des personnalités – dont le Rabbin en chef et le chef du Conseil des Dirigeants juifs du Royaume-Uni – qui estiment que sionisme et judaïsme sont inséparables et que, par conséquent, attaquer le sionisme revient, par définition, à se rendre coupable de propos antisémites.

Mais c’est bien là que le bât blesse. Le rapport n’indique nulle part que le comité aurait consulté un seul Palestinien. Pour sûr, aucun n’est cité ou mentionné. J’entends déjà quelqu’un demander : mais pourquoi dont aurait-on dû les consulter ? Ce rapport traitait de l’antisémitisme, pas du « conflit israélo-palestinien ».

Sauf que, en choisissant de se risquer à aborder le thème du sionisme et de l’antisionisme, et d’attribuer à Israël l’étiquette risible de « démocratie libérale », le comité a produit un rapport condamné par avance par l’absence d’une voix palestinienne.

Négation de la Nakba par Howard Jacobson

Au même moment, le week-end dernier, l’auteur primé Howard Jacobson écrivait pour le journal britannique The Observer un article sur l’antisémitisme, Israël et le sionisme. Cela fait déjà quelques temps qu’il nous rebat les oreilles avec le même discours, mais cet article-là s’est avéré, par inadvertance, particulièrement utile.

Pourquoi utile ? Parce que Jacobson nie effrontément la Nakba, l’expulsion forcée des Palestiniens de leurs terres, en 1948 : « Le sionisme a pris de nombreuses formes, mais aucune ne peut être qualifiée de conquête ou d’expansionnisme colonial ». On ne peut accorder du crédit à cette vision des choses qu’en déshumanisant le Palestiniens, ou en faisant totalement l’impasse sur eux (et, bien sûr, faire l’un n’exclut pas de faire l’autre).

Jacobson, bien sûr, n’évoque pas une seule fois les Palestiniens.

Comme on pouvait s’y attendre de sa part, il reconnaît (c’est désormais devenu un cliché), qu’exprimer des critiques « légitimes » – ce qui d’après lui signifie « justes et honnêtes » – à l’égard d’Israël « ne revient pas à faire de l’antisémitisme ». Cependant, poursuit-il, « l’antisionisme, au contraire – c’est-à-dire la négation du droit d’Israël à exister – revient, là, presque invariablement, à se rendre coupable d’antisémitisme ».

J’ai déjà discuté de la question du « droit à l’existence » d’Israël à une autre occasion et je ne vais pas recommencer ici de façon aussi détaillée. Par contre, analysons attentivement comment Jacobson essaie de lier si étroitement antisionisme et antisémitisme qu’ils en deviennent inséparables.

Le sionisme, écrit Jacobson, « a été marqué par un idéalisme rêveur, pour ne pas dire utopique. Les juifs retourneraient sur leur terre et travailleraient main dans la main avec leurs frères arabes dans l’esprit d’une amitié mutuellement bénéfique ». C’est une vision de l’histoire qui passe sous silence quelques faits plutôt embarrassants : expropriation des agriculteurs palestiniens, destruction à l’explosif de villages par centaines et réfugiés abattus s’ils s’avisaient de vouloir rentrer chez eux.

Et si vous trouvez déjà ces omissions intolérables, lisez le se plaindre en 2001 de la disparition du « grand rêve laïc que fut jadis le sionisme, lui qui, partout, émanciperait les juifs d’eux-mêmes ainsi que de leurs oppresseurs, les libérant de leurs superstitions et étroitesse d’esprit, pour les préparer à jouir de la vie avec un esprit sain dans un corps sain, et les préparer à leur coopération utopique avec les Arabes qui habitent déjà cette terre ».

C’est la substance des affiches de propagande sioniste des années 30.

Le rapport parlementaire sur l’antisémitisme et des articles comme celui de Jacobson font clairement comprendre ceci : à mesure que l’État d’Israël resserre son emprise sur la Cisjordanie, et que les contours d’un État de facto unique et fondé sur l’apartheid se dessinent de plus en plus nettement, ces sujets tabous ne feront que s’intensifier.

Parlons du sionisme

Bien sûr, disent les députés, on peut effectivement « débattre » du sionisme comme d’un « concept » – mais surtout sans évoquer ce qu’il a réellement impliqué pour les Palestiniens – qui en paient encore le prix.

« Nous devons parler de Sion », exhorte Jacobson, mais seulement de telle manière que la destruction de la Palestine passe, au mieux, pour un embarras qui dérange la bonne conscience mais serve en fait surtout à affirmer l’humanité du colonisateur et de ses adulateurs.

On trouve là des parallèles avec de récents développements en Israël, où les efforts législatifs visant à réduire au silence et à criminaliser la dissidence, en particulier quand elle est le fait de citoyens palestiniens, n’ont fait qu’exacerber leur expérience de la discrimination et galvanisé la communauté palestinienne.

Ou encore, voyons comment l’exigence du gouvernement israélien à l’égard des Palestiniens – qu’ils reconnaissent Israël « en tant qu’État juif »  – a fait refleurir dans articles éditoriaux et conférences un sujet souvent ignoré – ce que le « caractère juif » de l’État d’Israël fait endurer aux citoyens et réfugiés palestiniens.

Alors oui, parlons effectivement du sionisme. Et quand nous le ferons, ce qu’il a entrainé pour les Palestiniens se retrouvera au cœur du débat. C’est une conversation que les défenseurs acharnés d’Israël se mordront les doigts d’avoir remis sur le tapis.

Ben White | 30 octobre 2016

Ben White est l’auteur des ouvrages Israeli Apartheid: A Beginner’s Guide, et Palestinians in Israel: Segregation, Discrimination and Democracy.

Article original traduit par dominique@macabies.fr

Source: MEE