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29 mars 2024

Comment ne pas comprendre l’exode des médecins Tunisiens?


ITRI   INSTITUT TUNISIEN POUR LES RELATIONS INTERNATIONALES
Publié par Candide le 19 janvier 2017 dans Chroniques
Ce témoignage que nous avons attribué par méprise au Professeur Lamia Kallel est en fait celui d’une jeune médecin anonyme démissionnaire. Toutes nos excuses à son auteur et à notre jeune et grande amie Lamia Kallel.

Difficile de rester insensible face à cet écrit- réaction d’une jeune médecin spécialiste universitaire au décours de l’article de jeune afrique sur l’exode des médecins, une énième démissionnaire qui part en Europe:

« Après avoir lu l’article, on ne peut que comprendre cet exode.
Le médecin tunisien est dégouté, découragé, inhibé et mal traité.
Personnellement, je suis médecin et je suis dans ce même état d’esprit.
Comment ne pas l’être ?
On franchit le seuil de la faculté de médecine jeune plein d’espoir et d’ambition. Très vite le désenchantement, on nous dit dès les premiers cours que ça va être difficile et pénible, que celui qui n’a pas fait ça par amour pour la médecine change tout de suite de carrière et malgré cela on s’accroche. Cinq ans d’études et de sacrifices, on oublie nos familles, nos amis, nos hobbies. Petit à petit, on tue en nous cette flamme. On nous assomme avec des tonnes de polycopiés, des informations qu’on devra apprendre bêtement. Vient ensuite les premiers stages d’externat, on y va toujours pleins d’espoir pour apprendre, examiner des malades, appliquer nos cours. On se retrouve dans la majorité des cas à raser les murs. Pour les plus chanceux, ils se retrouveront dans un stage formateur (comme on dit) pour les autres tant pis.
Ensuite après 5 longues années d’étude, on est enfin interne, blouse blanche, stéthoscope autour du cou et toujours plein d’espoir. On y croit, on est presque médecin. Et NON, on est l’interne celui qui va chercher le bilan, celui qui emmène le bilan d’un patient parce que c’est urgent et qu’on a peur que l’ouvrier ne le porte pas à destination, celui qui part avec la glacière même avec sa propre voiture ou à pied jusqu’à la banque du sang pour ramener un culot globulaire parce qu’un malade en a besoin dans la demi-heure et parce qu’il n’y a pas assez d’ambulance à l’hôpital et que celle-ci se trouve prise à ce moment-là, celui qui va tourner toute la nuit et surveiller la température, la tension artérielle parce que l’infirmier de garde n’en avait pas envi et qu’il préfère dormir et que si ce n’est pas fait c’est lui qui va être engueulé le lendemain et non l’infirmier en question, celui qui après avoir fait le travail de l’infirmier et de l’ouvrier pourra enfin aller rédiger son observation, qui devra être parfaite parce que le lendemain c’est le staff , l’heure du jugement dernier. Le staff là où tu devras tout connaitre sinon tu seras traité de nul, de passif et j’en passe. On oublie bien sûr que tu as passé ta garde à galérer. Celui qui fera sa garde aux urgences sans aucun encadrement voué à lui-même, on s’en fou s’il a le niveau requis pour ça, le plus important c’est qu’il fasse tourner le travail. Sa formation on s’en fou, l’essentiel est que le boulot ait été fait. Quand on s’en plaint on lui dit on est tous passé par là comme si c’était normal. Celui qui est face à une foule de gens en colère à cause de l’attente et qui risque de se faire agresser, mais ça aussi on s’en fou, après tout ce n’est que l’interne.
Vient ensuite le concours de résidanat, comme si l’internat n’était pas assez éprouvant, il faudra passer son concours tout en continuant à travailler et assurer les gardes. Pour les mieux classés, ils pourront s’en sortir avec un stage cool, ils pourront réviser tranquillement, pour les autres tant pis, soit ils se surpassent soit ils laissent tomber pour l’année d’après.
Après un concours surhumain, où tu devras retenir 160 objectifs et apprendre à répondre au tac au tac. Une année de préparation, de sacrifice, on oublie l’été, les sorties, la plage, notre jeunesse, on se dit ça vaut le coup, ce n’est qu’une année, on y croit, on veut arriver au bout.
Pour les plus chanceux, ils feront partie des 500 premiers, l’élite de l’élite, les autres, dommage tentez l’année prochaine.
Vient alors, le jour du choix, si tu es bien classé (chose hyper ridicule, un concours n’a jamais évalué les compétences d’une personne) tu pourras faire la spécialité que tu veux, les autres vous devrez prendre les restes. Tant pis si tu ne veux pas être chirurgien ou neurologue ou autre, on s’en fou c’est tout ce que tu as eu, pas moyen de changer.
Premier jour en tant que résident, plein d’espoir comme d’habitude (oui, l’espoir fait vivre), allez on est proche du but, on se donne à fond, on veut apprendre, mais bon t’es toujours dans un hôpital tunisien, où le système est complètement archaïque, à l’aire de l’internet toujours à aller réclamer un bilan sur un papier, une radio, un compte rendu de scanner jusqu’à ce que monsieur le radiologue trouve le temps de lire les clichés (oui, il se trouve que lui aussi croupille sous la masse de travail). Bref, que des choses qui traînent. Pas moyen d’accélérer les choses. Bah oui séance unique, tout ferme à 14h : pas de bilan spécialisé, pas d’activité que les urgences…. Tu te retrouves toi jeune résident à courir dans tous les sens pour finir avant 14h sinon c’est trop tard. Pour les gardes, t’es là tout seul avec tes bouquins à essayer de faire de ton mieux, à te donner, à appeler ton sénior quand celui-ci est joignable. Passer la nuit à travailler, à soigner, à surveiller (parce que bien sûr personne ne le fera à ta place : les infirmiers sont là pour prélever les bilans, donner les médicaments si bien sûr tu tombes sur des infirmiers ayant une conscience), réclamer les bilans (c ad aller réveiller l’ouvrier pour le faire voir même aller réveiller le technicien de laboratoire pour le techniquer). Bref, après une nuit de bataille, vient le staff : le jugement dernier où tu devras justifier tout, oubliant que tu as passé ta nuit à faire des choses qui n’étaient à toi de le faire. N’oublions pas bien sûr monsieur le citoyen, qui à cause des conditions misérables de l’hôpital vient se venger sur toi, il ne supporte pas l’attente. Pour lui, il doit passer avant les autres sauf qu’ils sont des centaines et toi t’es là entre prendre en charge un malade grave, une angine, une fièvre banale, une constipation et entre 2 ou 3 consultations une dispute, parfois tu risques même de te faire frapper, te faire insulter ça c’est devenu habituel… j’en passe de la misère du résident parce que le pauvre englouti dans cette quantité de travail, et ces gardes trop rapprochés sans repos de sécurité bien évidemment ( oui, après une garde de nuit, il doit continuer à travailler la journée et finir son boulot), il garde toujours espoir et essaye d’apprendre et de se donner.
Après avoir fini ces 4 ans de souffrance, ouf c’est la libération, et bah non viens faire ton service civil, être payé 750 dt/ mois dans un endroit exilé, dans des conditions inconnus sans prime de logement ni de transport.


Pour ceux qui sont à tendance masochiste, ils iront passer l’assistanat (le concours qui t’ouvrira la vie hospitalo-universitaire). Et voilà on est assistant, on est là fier de soi on a tenu jusqu’au bout. Sauf que là pas de chance on est toujours dans un hôpital tunisien, on est toujours là à colmater les failles du système, à subir la médiocrité, à subir la hiérarchie, à entendre les gens nous manquer de respect nous traiter de tous les noms, les médias qui nous diabolisent et j’en passe…
Oui être médecin est une malédiction. Choisir de partir sous d’autres cieux devient carrément de la survie.
Je maudis le jour où j’ai franchi le seuil de cette faculté naïve et pleine d’espoir. Et aujourd’hui je choisis de partir… je n’ai plus d’espoir.
Je choisis de partir là où ils s’appellent par leurs prénoms mais ils se respectent malgré tout, là où tout le monde fait son travail, là où il y a un esprit d’équipe, là où tout le monde est entendu.
Une AHU qui vient de démissionner »

Docteur Lamia Kallel
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