Partager la publication « L’Algérie et le Canada en deuil. La science frappée au coeur. »
” L’escalier de la science est l’échelle de Jacob, il ne s’achève qu’aux pieds de Dieu. “ Albert Einstein
Plusieurs personnes ont été tuées dans la nuit de dimanche à lundi dans une fusillade dans la mosquée du Centre islamique de la ville du Québec au Canada. Il y a eu six morts et une dizaine de blessés. L’attaque est survenue après la prière d’Al Isha, selon les médias. Parmi les victimes, deux Algériens. Un jeune informaticien, Abdelkrim Hassane et un professeur d’université, Khaled Belkacemi.
Justin Trudeau, Premier ministre canadien, a condamné un «attentat terroriste dirigé contre des musulmans», rapportent les médias locaux. «La diversité est notre force et, en tant que Canadiens, la tolérance religieuse est une valeur qui nous est chère. Les musulmans canadiens constituent un élément important de notre tissu national, et des gestes insensés comme celui-là n’ont pas leur place dans nos communautés, nos villes et notre pays», a-t-il encore dit.
Abdelkrim Hassan, du village d’Ath Yahia, dans la commune d’Adekar, est tombé aux côtés des autres malheureuses victimes. Il était estimé, respecté et apprécié de tous. Né à Ath Yahia le 20 mai 1975, Abdelkrim a fait l’ensemble de sa petite scolarité au village avant d’aller au collège d’Adekar, puis au lycée de Staouéli où résidaient ses parents, avant d’atterrir à l’université de Bab Ezzouar. Son diplôme d’ingénieur d’Etat en informatique en poche, Abdelkrim commence à travailler pour une société japonaise qui l’embauche ensuite dans une de ses filiales au Canada. Il finit par adopter le pays de l’Erable et s’y installe en 2010 après avoir décroché un poste dans un ministère. Le gouvernement du Québec où il était employé comme analyste-programmeur. (…) Ce papa-gâteau de trois adorables fillettes passait tout son temps en famille. Il était musulman pratiquant, sans barbe ni qamis, adepte de cet islam de tolérance que l’on peut encore voir dans les villages retirés de Kabylie, disent de lui ses amis.»(1)
Dans un témoignage poignant, fait sur les ondes de Berbère TV, Mme Louiza Hassane elle s’est montrée digne et forte. Ses propos sont mesurés.: «C’est un homme joyeux, qui aime ses enfants, et qui aime aider les gens, c’est tout le monde qui l’aime, ce n’est pas n’importe qui…», susurrait-elle avec douleur et fierté.
Mme Hassane dit ne pas penser à l’assassin.
«Je ne pense pas à l’assassin, je ne pense qu’à mon mari et à mes filles. Maintenant c’est trop tard, pourquoi je vais penser à cette personne-là. S’il est islamophobe ou pas. C’est fini, c’est trop tard. C’est quelqu’un pour lequel j’ai de la pitié, il n’a rien à perdre, pas de famille, rien. Moi, il m’a tout pris, mais je n’ai pas de haine envers lui. C’est quelqu’un qui a voulu tuer du musulman, dans un pays où il ne se passe jamais rien. On ne sent même pas le racisme. Les policiers nous ont dit que rien n’a été signalé dans ce sens depuis 5 ans», déplorait-elle «Mes filles savent, je leur ai dit ça hier, je les avais déjà préparées avant, car on discutait aussi de la mort à la maison, puisque ça fait partie de la vie. Je leur ai dit que leur papa était allé au paradis. Elles sont très jeunes (10, 6 ans et 15 mois)» «Tout le monde m’a appelé, le ministre de la tutelle où travaillait mon mari aussi, mais ce que je vois, c’est l’absence de mon mari, surtout que mes trois filles ont besoin de leur papa. Un vrai papa poule». Puis d’enchaîner: «Jamais je n’aurais pensé quitter l’Algérie pour vivre un tel drame. Nous étions bien en Algérie. On était venu chercher la paix, et on a rencontré la mort. Encore moins à Québec, ici c’est calme, c’est petit. Jamais nous n’aurions pensé vivre cela.» (1)
Le professeur Khaled Belkacemi: un pont scientifique entre le Canada et l’Algérie
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Le professeur Khaled Belkacemi est mort alors qu’il venait prier le soir après une bonne et profitable journée en tant que chercheur professeur et directeur de thèses. Le professeur Belkacemi montre par son sacerdoce comment on peut concilier la dimension d’apport à la communauté humaine en terme, de savoir utile, mais aussi comment discrètement sans faire dans le m’as-tu vu satisfaire sa deuxième dimension celle d’un homme qui s’interroge sur le sens de la vie et qui trouve dans la prière une façon de se ressourcer et d’être en phase avec le divin.Khaled Belkacemi est un élève de l’Ecole polytechnique d’Alger, du département de génie chimique. Il termina ses études en 1983. Il a suivi trois enseignements que je dispensais à l’époque. Il disposa d’une bourse et partit faire sa recherche à l’étranger. J’avais de ses nouvelles car il venait souvent au pays faire des conférences et dit-on encadrer à distance des chercheurs, notamment à Batna et à l’INA. Je pense qu’il voyait cela comme une dette envers cette Algérie. Le professeur Khaled Belkacemi est à la fois un exemple d’intégration réussie, de fidélité au pays et de modèle concernant la pratique d’un Islam tout en spiritualité, loin d’en faire un fonds de commerce.
Djamel Alilat complète le tableau en rapportant la conversion d’un proche du professeur deux jours avant sa mort tragique: «Je lui ai souhaité bon anniversaire, car il venait tout juste de fêter sa soixantième année. Il s’apprêtait à suivre un match de la coupe d’Afrique pour laquelle il se passionnait». En cette funeste soirée, un de ses amis, originaire comme lui d’Ighil Ali, devait l’accompagner à la mosquée, comme chaque jour à l’heure de la prière. Le sort – ou le destin – a voulu que son ami ait eu un empêchement. Il a bénéficié d’une bourse d’études, mais son départ au Québec ne s’est fait qu’en 1988, Après quelques années d’exil, Khaled Belkacemi a cependant pris la décision de rentrer au pays pour se réinstaller définitivement en 1992. Hélas, son retour a coïncidé avec le début du cycle infernal de la violence terroriste dans lequel a plongé l’Algérie pour ne plus en sortir. Formé en génie chimique à l’Ecole polytechnique d’El Harrach, avec comme spécialité génie alimentaire, Khaled Belkacemi est alors enseignant à l’université de Bab Ezzouar, quand, le 31 mai 1994, il est témoin d’un attentat terroriste: le professeur Salah Djebaïli est assassiné sous ses yeux à sa sortie de l’Usthb. Khaled Belkacemi décide, la mort dans l’âme, de reprendre le chemin de l’exil, lui qui était rentré pour servir son pays. Depuis, il menait sa carrière d’enseignant-chercheur et s’était fait une solide réputation de sérieux et de probité.
«C’était un homme respectable et respectueux de lui-même et des autres. C’était aussi un homme posé et un humaniste reconnu par ses pairs pour son sérieux et sa compétence. Ils étaient bien intégrés, ses enfants ont grandi, sa fille aînée travaille d’ailleurs à la mairie de Québec.» Tel est le portrait que brosse de lui son beau-frère. Khaled Belkacemi travaillait sur des projets de partenariat dans le cadre de la coopération entre l’Algérie et le Canada, notamment avec deux instituts, dont l’un est à Bou Ismaïl et l’autre à Batna» (3)
En 2013, dans le cadre d’un partenariat université de Laval, avec l’Institut agronomique, le professeur Khaled Belkacemi, de l’université Laval a animé une conférence sur la «nanotechnologie et les possibilités de révolutionner l’agriculture et l’industrie agroalimentaire». Dans son exposé, le professeur a démontré comment «ces nanotechnologies offrent des possibilités avérées pour résoudre certaines problématiques cruciales qui se posent aujourd’hui, et certainement demain, dans les systèmes de production agricole, agroalimentaire et de l’environnement en Algérie.». (4)
Hommage du Premier ministre et des autorités universitaires de l’université de Laval
Khaled Belkacemi était professeur titulaire à la faculté de sciences de l’agriculture et de l’alimentation (Fsaa), L’épouse de la victime, Safia Hamoudi, est également professeure titulaire et chercheuse dans la même faculté. Le professeur Belkacemi faisait partie du Centre de recherches en chimie verte et catalyse ainsi que de l’Institut sur la nutrition et les aliments fonctionnels (Inaf). Il avait cinq projets de recherche en cours. «C’est une grosse perte, bien sûr, pour les ingénieurs, pour l’agriculture et pour l’industrie alimentaire», indique M. Antoun ancien collègue dans une déclaration rapportée par le Journal de Montréal. Une centaine de personnes se sont recueillies au pavillon Paul-Comtois, où se trouve la faculté des sciences de l’agriculture et de l’alimentation, en l’honneur de Khaled Belkacemi, De nombreuses personnes de toutes les confessions sont venues à l’aréna Maurice-Richard à Montréal pour rendre un dernier hommage à trois des six victimes. Jean-Claude Dufour, le doyen de la Fsaa, très attristé par la nouvelle, a bien connu M.Belkacemi, qui était son collègue depuis 2002. «C’était une personne extraordinaire, il était toujours souriant, vraiment performant. C’était un prof exemplaire, qui adorait ses étudiants gradués et qui enseignait très bien.»Pour le professeur, Khaled Belkacemi était un modèle d’intégration. (5)
Une minute de silence a été observée à la mémoire «d’un homme passionné, près de ses étudiants». Une boucle noire a été apposée sur le drapeau en berne de l’université, à l’intérieur du pavillon. Des fleurs ont été déposées au sol. Un coeur blanc a été collé sur la porte du bureau de M.Belkacemi. Au sol, une étudiante a déposé un immense bouquet de fleurs. La ministre Hélène David était présente pour la vigile. Elle s’est adressée aux collègues éplorés de M.Belkacemi. (6)
Mieux encore on apprend que les Premiers ministres fédéral et provincial Justin Trudeau et Philippe Couillard sont arrivés ensemble à la cérémonie: «Une journée de recueillement, une semaine de recueillement et de prières aussi, a affirmé M.Couillard. On vit ensemble, on travaille ensemble et on prie ensemble, on se recueille ensemble lorsque le moment vient.» C’est un moment pour tous les Québécois, tous les Canadiens d’être unis dans le deuil, de réfléchir à comment nous allons continuer de vivre ensemble en tant que pays», a poursuivi M.Trudeau. Après la cérémonie, les corps de ces trois Canadiens binationaux doivent être rapatriés en Algérie et en Tunisie, leur pays de naissance. Les corps de Karim Hassane, Khaled Belkacemi et Aboubaker Thabti sont arrivés à l’aréna vers 10h30. Les familles des victimes ont pu se recueillir et ensuite le public. (6)
Et maintenant?
Les élites algériennes expatriées ont prouvé qu’elles avaient l’Algérie à coeur. Ils avaient comme tous les Algériens «tamurt» dans le coeur Ces deux scientifiques parmi des milliers d’autres ont quitté avec la rage au coeur le pays du fait d’un environnement inadéquat. Ainsi le professeur Belkacemi qui voulait vivre en paix, donner la pleine mesure de son talent et vivre l’Islam millénaire algérien fait d’empathie et de sérénité a été rattrapé par le terrorisme
Pour mieux souligner cet attachement viscéral au pays. On raconte cette histoire devenue virale sur Internet:
«Un Algérien raconte son aventure… J’étais en voiture, sur le chemin du retour depuis New York pour Montréal, où j’habite depuis maintenant plus de 20 ans. Au poste frontière, je remettais mon passeport à la préposée à la douane, et lorsqu’elle lut: “Lieu de naissance: Algérie”, elle me demanda:
– Comment va l’Algérie? – Ça peut aller, lui répondis-je. Tout ce que l’on souhaite, c’est que ça continue à aller autant bien que mal… – Lequel des deux aimez-vous le plus, l’Algérie ou le Canada?
– La différence que je fais entre l’Algérie et le Canada, est exactement celle que je fais entre ma mère et mon épouse. Mon épouse, je l’ai choisie, je suis tombé sous son charme, mais elle ne peut en aucun cas me faire oublier ma mère. Je n’ai pas choisi ma mère, mais je sais que je lui appartiens. Je ne me sens bien que dans ses bras; je ne pleure que sur son épaule. – Ma mère est peut-être pauvre; elle n’a pas de quoi me payer mes soins, encore moins les honoraires du médecin, mais la tendresse de son giron quand elle m’étreint, et la chaleur de son coeur lorsque je suis dans ses bras, suffisent à me guérir. Elle n’a pas la beauté blonde, mais la vue de son visage vous apaise. Elle n’a pas les yeux bleus, mais sa vue vous met en sécurité. Ses vêtements sont simples, mais elle porte dans ses plis bonté et miséricorde… Elle ne se pare pas d’or et d’argent, mais elle porte à son cou un collier d’épis de blé, dont elle nourrit tout affamé…»
A bien des égards, l’Algérie devrait être pour nous une mère que nous devons chérir et défendre. Sommes-nous à la hauteur de ce pays? Avons-nous fait ce qu’il fallait pour faire émerger une élite qui fera que la famille universitaire prendra la relève des chahids de la glorieuse révolution de Novembre pour faire une autre Révolution, celle du savoir de la technique avec une autre légitimité celle du neurone, du travail bien fait, du juste dû, de la responsabilité de chacun. Le professeur Belkacemi a fait déplacer les plus hautes autorités du Canada 8e puissance mondiale. Le premier ministre Julien Trudeau a parlé de ces élites algériennes comme d’un tissu dont est fait le corps social canadien.
Nous devons plus que jamais ré-étalonner l’échelle des valeurs sociales et dire aux Algériens que le salut proviendra du savoir et uniquement du savoir. Pour cela nous devons nous appuyer sur une vision nouvelle, loin de la pression de la foule de la société et des chapelles, il y va de l’avenir du pays car ce n’est pas seulement une Ecole polytechnique qu’il nous faut, mais des dizaines d’institutions de formation d’ingénieurs et de techniciens qui ont disparu avec la nouvelle vision de l’enseignement supérieur
Rien n’est perdu! Si on décide de s’occuper du savoir. La réhabilitation des savoirs passe aussi par une visibilité de la Recherche» qui fait beaucoup de choses invisibles qui gagneraient à être valorisées. La sollicitude des plus hautes autorités, d’une façon déterminée et récurrente, changera graduellement le regard de la société envers ces gardiens du Temple que sont les professeurs qui donneront alors la pleine mesure de leur talent et seront moins tenté d’aller ailleurs voir si l’herbe est plus tendre
Pour des ponts entre l’Algérie et le Canada
Le professeur Khaled Belkacemi est un pur produit, à la fois du savoir algérien et i de l’apport harmonieux du système universitaire algérien C’est aussi le résultat d’une éducation et d’une culture de la tolérance ce qui explique qu’il s’est intégré d’une façon harmonieuse en vivant sa foi avec sérénité sans m’as-tu vu. Mutatis mutandis C’est aussi le cas de Azzedine l’informaticien de l’Usthb (Université Houari Boumedienne d’Alger) bien épanoui à la fois sur le plan social et religieux et qui auraient pu servir de ponts entre le Canada et l’Algérie
Justement, on dit que la communauté des Algéro-canadiens serait forte de plus de 100.000 personnes , majoritairement des universitaires qui avaient quitté l’Algérie en grande partie pendant la décennie noire du terrorisme dans le pays. Ils ont apporté au Canada leur savoir faire dans différents domaines et participent ce faisant à la prospérité de leur nouveau pays le Canada ceci sans oublier qu’ils ont un pays qui les a vu naitre. A bien des égards, la maitrise parfaite de la langue française du fait que l’Algérie- sans faire partie de la francophonie qu’elle voit comme un relais de l’idéologie de la françafrique – peut être un atout qui peut servir de trait d’union ; Un autre trait d’union consisterait en un transfert de savoir raisonnable entre le Canada et l’Algérie avec justement comme chevilles ouvrières , ces forgerons de la fraternité constitués par ces passeurs de cultures et de savoirs .
Je suis sûr que le Canada a des institutions fortes pour mettre un coup d’arrêt à cette peste brune qu’est le racisme et l’ostracisme de l’Autre, Il pourra ainsi déjouer – si je puis me permettre- les empêcheurs de communier ensemble chacun apportant sa part d’humanité et de talent au tissu social dont le premier ministre Julien Trudeau a dit qu’il était consubstantiel des identités multiples de tout les Canadiens loin d’un multiculturalisme à l’anglaise qui est une forme de mépris ou de développement séparé – c’est d’ailleurs la définition de l’apartheid- ghettoïsant mais plus participant dans une symbiose apaisée à un désir de vivre ensemble pour constituer la nation canadienne ; Construction toujours renouvelée fragile et devenant un plébiscite de tous les jours dont parle si bien Ernest Renan dans sa fameuse conférence : « Qu’est ce qu’une nation ? »
Professeur Chems Eddine Chitour
Ecole Polytechnique enp-edu.dz
2.Hebib Khalil. http://www.lematindz.net/news/23202-mme-louiza-hassane-on-est-venu-chercher-la-paix-au-canada-et-on-a-rencontre-la-mort.html
3. Djamel Alilat. http://www.elwatan.com/actualite/khaled-belkacemi-un-chercheur-respecte-un-homme-attache-a-son-pays-01-02-2017-338325_109.php
4. Mohamed Naili L’université et les nouvelles attentes du marché du travail El Watan 04 – 02 – 2013