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29 mars 2024

Olfa Rhymy Abdelwahed: Le plaidoyer d’une professeure excédée par la situation de l’enseignement en Tunisie


Publié par Candide le dans Chroniques

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Le plaidoyer d’une professeure excédée par la situation de l’enseignement en Tunisie

02/21/2017

 

 

« Mes amis profs ont jugé bon de ne pas entrer dans une polémique avec moi sur le rendement du ministre de l’éducation Neji Jalloul. Ayant enseigné à tous les niveaux allant de l’école de base jusqu’à la faculté, je m’estime habilitée à émettre un avis sur la chose éducative.

Pendant de longues années, j’ai assisté à la grogne des profs quant à la semaine bloquée : une semaine minée de tensions entre professeurs et élèves, entre profs et administration et entre les enseignants eux-mêmes. Aucune semaine bloquée ne s’est pas soldée par des renvois, voire des renvois définitifs à cause des fraudes et des conflits continus. Les professeurs ont toujours exigé de l’annuler. Vous allez me dire oui mais il fallait prévoir un autre mécanisme d’évaluation pour ne pas gêner la fluidité du cours et des examens. Je vous dirais que c’est bien votre rôle de vous organiser entre profs et de trouver le temps matériel et l’espace pour évaluer vos élevés. J’ai moi-même étudié toute ma vie sans connaître de semaine bloquée. Tout était, alors, débloqué jusqu’à l’intelligence des apprenants. Jeter tout sur l’administration et le ministère est plus confortable et plus facile.

L’annulation des 25 % reste de loin la meilleure décision qui, comme vous le savez, revalorisera le diplôme tunisien, fera que les élèves travaillent plus et arrêtent de marchander avec les notes comme dans un souk a l’étalage…Pendant les longues années ou j’ai corrigé des copies d’examen de Bac National, j’ai vu des copies affligeantes de médiocrité appartenant à des élevés inscrits dans des écoles privées qui ont eu leur bac grâce à ces maudits 25 %. Bonjour l’élite tunisienne qui va construire le pays.

Pour ce qui est des vacances, cette semaine de repos qui couronne les cinq semaines de plein régime est un bémol car au bout de cinq semaines, personne n’a le même rendement : des profs éreintés qui ont des élèves désaffectés, démotivés et fatigués sur les bras.

Mes collègues et amis ont l’air d être vexés par le contrôle de l’absentéisme, mais il faut arrêter un peu ce langage double. Si vous voulez combattre la corruption dans le pays, il faut commencer par l’auto critique. Vous n’aimerez pas voir des médecins et des enseignants valeureux vendre et acheter des certificats médicaux comme dans un vulgaire marché à l’étalage.

Je n’ai jamais accepté que les plus riches peuvent se payer des études supplémentaires et que les plus pauvres se contentent de les regarder obtenir de bonnes notes : l’enseignement doit rester gratuit, obligatoire, avec des chances égales pour tous. Beaucoup de profs abusent en faisant payer aux parents des sommes « astronomiques ». Les petites bourses auront un petit enseignement.

Les enseignants n’ont pas non plus apprécié que le ministre veuille revoir leur niveau à la hausse, considérant que c’est une humiliation que de critiquer le niveau ambiant. Vous n’êtes pas sans savoir qu’un enseignant est d’abord et avant tout un apprenant par excellence. Le jour où vous vous considérez détenteur de tout savoir, changez de métier.

J’ai respecté Neji Jalloul parce qu’il a visité des écoles dans des zones reculées de la Tunisie profonde. Parce qu’il a traité les élèves démunis avec respect, parce qu’il a regardé sous les matelas pourris des dortoirs, parce qu’il a trouvé les vers qui sortaient de la viande avariée destinée aux ventres des enfants pauvres. Je le respecte parce qu’il va là où personne n’est encore allé. Car il a troqué le confort des bureaux feutrés contre l’air libre des écoles, parce qu’il cherche, qu’il tente, qu’il veut changer les choses. Parce qu’il a le courage de ses idées et qu’il persiste et signe que l’école doit demeurer publique et LAÏQUE. Parce que des formes noires incertaines ne peuvent ni donner, ni recevoir le savoir et parce qu’il n a pas fléchi devant les campagnes de dénigrement systématiques. Parce qu il n a pas cédé l’école aux rétrogrades qui briguent le Ministère de l’éducation comme un butin de guerre ou un tremplin pour incruster leurs idéaux sinistres.

Concernant la chose pécuniaire, j’aurais franchement honte de parler argent quand mon pays fait la manche pour payer les salaires. Des salaires qui ont quand même bien augmenté considérablement durant l’ »ère » Jalloul. Ce même Jalloul qui n’est pas responsable de la banqueroute du pays.

L’actuel ministre a aussi pensé aux ventres vides des enfants nécessiteux et a démarré la cantine scolaire et par la même occasion, les bus de ramassage scolaire dans régions reculées du pays. Il a vu, lui, des gamins faire des kilomètres à pieds à 5h du matin l’hiver. Il a aussi redonné vie et couleur aux écoles avec les petits moyens du bord . Il a aussi dénoncé des pratiques dangereuses et a puni les responsables …

Dans ce corps enseignant qui parait faire bloc devant Neji Jalloul et devant ce syndicat politisé jusqu’à la moelle, je suis la tête de turc, l’oie sauvage qui vient du désert, mais j’assume complètement car je veux voir mes élèves réussir et je veux les voir heureux…
Si on arrêtait un peu ce suivisme aveugle, ce corporatisme détestable et ce nombrilisme mesquin et petit, et si on regardait le monde autour de nous, tout passe par l école et rien d’autre… »

Par Olfa Rhymy Abdelwahed

https://www.femmesdetunisie.com/le-plaidoyer-dune-professeure-excedee-par-la-situation-de-lenseignement-en-tunisie/

 

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