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20 avril 2024

L’EMPIRE DE LA TERREUR


Publié le 18/03/2017

  • L'empire de la terreur

Par Maria Poumier

Deux livres viennent de paraître sur le terrorisme, qui tous les deux orientent le lecteur vers des interrogations en amont des attentats spectaculaires récents, et qui plus est, vers des réponses et des pistes pour bâtir un avenir débarrassé de ce fléau.

Celui de Damien Viguier, Terrorisme et crime contre l’humanité, Leçons de droit (éd. Kontrekulture), est comme le préalable à celui de Jean-Michel Vernochet Les fiancés de la mort, les stratégies de la terreur globale (éd. Sigest): il explique le détournement du droit auquel nous sommes confrontés depuis 1945, qui fait que l’on est dans un cercle vicieux, dont les médias comme les tribunaux veulent que nous ne sortions sous aucun prétexte. Pour résumer la posture officielle : le terrorisme existe, donc il faut mener la guerre contre le terrorisme, et tout ce qui ne rentre pas dans le cadre de cette guerre juste, aussi mondiale qu’absolue, doit être exterminé et assimilé à de la complicité de terrorisme. On est en plein totalitarisme, avec une menace policière pesant sur chacun, et tout regroupement autonome pour tenter d’échapper à ce manichéisme promu par le  terrorisme d’Etat mérite la répression. Avec le prétexte des mouvances armées se réclamant de l’islam, ce qui est patent, c’est la terreur dans laquelle on fait tout pour nous maintenir.

Nous avons bien connu ces excès dans l’univers soviétique ; avec le recul, le vocabulaire en usage à l’époque semble mesuré, et l’ambition totalitaire aussi : une menace diffuse pesait sur la population, mais les uns se disaient « dissidents » et invoquaient les droits de l’homme, tandis que les autres vous accusaient de complot contre la patrie. Des procès ficelés comme des opéras avaient pour but de convaincre chacun qu’il n’y avait aucune troisième voie possible, c’était le bien contre le mal, d’un côté comme de l’autre, aveuglément. La schizophrénie, la peur panique, le reniement, le suicide guettaient chacun. Mais comme c’était invivable,  trop contradictoire avec l’infinie souplesse chaotique de la vie réelle, les agents même de la répression rendaient de petits services aux dissidents, tandis que ceux-ci multipliaient les gestes empoisonnés d’allégeance mensongère, à la limite de la parodie. Jusqu’au jour où le système « Stasi » de délation généralisée, si allemand, si absolu, si rationalisé, si performant, s’écroula comme un château de cartes. Evidemment, la CIA avait poussé de toutes ses forces en ce sens, et c’est elle qui tira les marrons du feu. Mais le soulagement était bien réel, au moins pour les intellectuels et les artistes qui avaient assisté avec horreur au naufrage de la pensée, et qui rêvaient de beaux rôles.

Nous vivons à nouveau sous l’empire d’une certaine panique contagieuse. Progressivement,  sous la belle parure de la démocratie, une nouvelle tyrannie s’est installée par la séduction ;  l’empire des « Choses », comme disait Georges Pérec, s’étendait et s’approfondissait, nous hypnotisant tous. Nous nous sommes mis à penser beaucoup moins, mais plus rien ne semblait devoir réprimer la pensée, dans les démocraties occidentales en expansion vers l’Est, à partir de la chute du Mur en 1989 ; si répression il y avait contre certains esprits, c’était seulement à la marge, loin de l’attention des médias, et c’était indolore pour les autres.

Mais l’étau se resserre maintenant, à coup de propagande forcenée, sous prétexte que des attentats-suicide se sont installés dans le paysage des pays riches. Si l’on manifeste en public son scepticisme devant les constructions bâclées de la propagande, on risque de plus en plus d’être accusé peu ou prou d’appartenir à un univers mental archaïque, sauvage, fanatique, comportant au moins par omission un zeste d’apologie du terrorisme ; la menace est bien réelle pour les jeunes, qui n’ont pas encore intégré l’autocensure ; il est prudent, pour se dédouaner, de se montrer mondialiste et « progressiste », c’est-à-dire volontaire pour  accélérer par tous les moyens et  avec n’importe quel argument la destruction des cadres anciens : cadres religieux, familiaux, moraux, éthiques, juridiques, nationaux, ethniques. Il faut même tenter de tordre le cou à la nature, et applaudir au projet de remplacer notre humanité par des robots aux organismes génétiquement modifiés, entièrement soumis à la marchandisation universelle, des zombies soi-disant augmentés, ce qui, soit dit en passant, nous réduit d’avance, nous les vivants d’aujourd’hui, au rang d’êtres inférieurs et périmés, « déplorables », comme on dit aux US.

Le déni de la réalité qu’on nous impose, véritable négationnisme officiel, atteint un degré si insensé que cela ne peut plus durer. Un point culminant a été atteint avec le massacre de la rédaction de Charlie hebdo, organe périodique pratiquant une sinistre caricature de la liberté d’expression, en  versant systématiquement dans l’obscénité et l’injure aux musulmans et aux chrétiens. L’opération a débouché sur des manifestations organisées pour terroriser ceux qui ne se sentaient pas Charlie, et dont certains ont effectivement été poursuivis et condamnés pour « incitation au terrorisme », ce qui confirme bien que la mort des journalistes était un ingrédient macabre nécessaire pour valider une entreprise de répression de la pensée préparée à l’avance. Pour Vernochet comme pour Viguier, cette affaire en éclaire bien d’autres.

Le livre de Damien Viguier fait découvrir avec un beau style, de façon didactique et claire, ce qu’était le droit, jadis, outil délicat aux rouages rationnels admirables, pour garantir le moins  d’injustice possible dans une société donnée, aux limites clairement établies par les Etats, se reconnaissant mutuellement. Quand un Etat décidait d’en attaquer un autre, il tenait à le faire dans le cadre d’un droit de la guerre reconnu par toutes les parties en présence.

C’est en 1945 que les choses ont brutalement changé, le vainqueur s’arrogeant soudain tous les droits. Ainsi le tribunal militaire de Nuremberg prononçait des conclusions hâtives sur des faits contemporains, puis une législation nationale comme celle de la France, bientôt imitée ailleurs, validait brusquement, en 1990, par la Loi Gayssot, des absurdités proférées comme vérités scientifiques dans l’ivresse de la victoire par un camp, sans que l’autre puisse faire entendre sa voix et sa version des faits. L’argument, totalement contraire au droit, était celui de la notoriété publique. Celui-ci permet d’introduire le fait accompli comme fait légal, selon l’intérêt du pouvoir judiciaire, et donc la fraude, à partir du moment où elle a l’agrément de ce même pouvoir, comme nouvelle légalité se substituant à l’ancienne. En parfaite cohérence avec la logique économique qui prétend se substituer à la politique pour nous gouverner, le pouvoir actuel se réalimente de tout ce qui relève du contractuel, le principe qui organise les échanges marchands, et qui désormais est posé comme un absolu, valant dans toutes les sphères de l’activité humaine, pour chaque individu, et dans tout contexte. La rhétorique la plus débridée et mensongère se trouve elle aussi validée sans appel, dès lors que le pouvoir l’estime utile, c’est l’abolition du droit pure et simple. Mais l’arbitraire a ses limites…

Aussitôt après la validation des condamnations du tribunal de Nuremberg, instaurant le «crime contre l’humanité » comme imprescriptible, et défini simplement par la possibilité de rattacher tel ou tel agissement d’envergure collective à un sentiment antisémite, l’Etat d’Israël s’installait en Palestine, aboutissement d’une guerre terroriste livrée contre la population autochtone. Irgoun, Palmach, premiers présidents d’un Etat artificiel (dont la reconnaissance par l’ONU fut le résultat de chantages et de marchandages faciles) s’étaient adonnés au terrorisme depuis le début du siècle : Wikipedia l’a même officialisé dans une notice « terrorisme sioniste ». A partir de là, le terrorisme, défini comme l’attaque de civils destinée par ricochet à attirer les militaires dans des embuscades, et les gouvernements dans des impasses, amenant leur chute et / ou des concessions, ne pouvait que prendre son essor, qu’il s’agisse du terrorisme au service de l’Etat sioniste ou contre celui-ci.

 

De nos jours, l’Etat d’Israël se distingue du bloc occidental par son obstination à vouloir la destruction de chacun de ses voisins s’il ne lui prête pas une allégeance sans faille : Palestiniens chassés de leur terre, Irak, Libye, Syrie, Iran, mais aussi, potentiellement, tout Etat européen qui se montrerait rebelle à ses injonctions. Ce n’est pas un hasard, cet Etat ne se reconnaît pas de frontières : il donne l’exemple d’un « droit » sans frontière, ne reconnaissant d’autre limite que sa convenance. Par opposition, il identifie toute nuisance interne à un agissement de type palestinien, et réciproquement, et nous invite à lire le monde entier selon cette grille.

C’est face à ce despotisme démesuré que le livre de Jean-Michel Vernochet mérite toute notre attention, par son analyse détaillée, précise, nuancée et prudente des attentats de portée internationale qui se succèdent depuis 2001, en parallèle avec l’usage médiatique qui en a été fait. Il restera comme La référence sur tout ce que l’on pouvait savoir jusqu’en 2016 des interférences entre polices secrètes liées à l’Israël et mouvements terroristes se voulant héritiers du combat palestinien qui,  depuis l’assassinat de Yasser Arafat, en 2004, ne parvient plus à obtenir de victoires significatives.

 

Le stratège, tacticien, analyste et bâtisseur d’une résistance à l’échelle mondiale entre 1973 et 1994 est un Vénézuélien formé à l’école de l’internationalisme soviétique et apprécié comme virtuose de l’action commando par Vladimir Poutine lui-même, Ilich Ramirez Sanchez dit Carlos. Il a su remporter des victoires bien réelles, au moyen d’actions indiscutablement terroristes, dans la mesure où les civils y étaient menacés, attaqués et/ou utilisés comme boucliers contre des forces armées régulières, des gouvernements et des agents de poids dans les réseaux sionistes. Et il avait su, en se faisant musulman, donner par son exemple une puissance révolutionnaire à l’islam. Mais Carlos, sous les verrous depuis 1994, n’a pas pu gérer la riposte au nouveau terrorisme d’Etat, globalisé, au service d’Israël, celui qui pratique systématiquement, et visiblement depuis 2001, l’attentat sous faux-drapeau.

 

 

Jean-Michel Vernochet avait aidé à faire percevoir l’envergure du penseur Carlos en lui donnant la parole dans un livre important, L’Islam révolutionnaire, de 2003, publié aux éditions du Rocher. Il achève, avec Les fiancés de la mort, une réflexion de fond sur l’utilité du terrorisme le plus platement féroce pour le pouvoir sioniste qui a infiltré les élites de chaque pays. En parfaite conformité avec Viguier, il montre l’évolution  terroriste du pouvoir en Occident, se déguisant sous des formalismes démocratiques, afin de reléguer toute opposition dans le camp honteux des ennemis de la démocratie.

 

 

 

Et Vernochet ne craint pas de souligner tout le bénéfice idéologique des attentats horribles de ces dernières années labellisés islamistes que tire Israël, en passe de devenir le dernier  pays à renforcer Daech contre le gouvernement syrien légitime. A quoi servent les sanguinaires d’inspiration wahhabite de cette étape ? A disqualifier les Arabes, certes, mais aussi à attiser partout où ils passent une guerre civile éventuelle. En effet, les fusillades imputées à Merah ou une prise d’otages comme celle de l’hyper casher dans la foulée de l’opération Charlie, et l’incapacité des polices locales à faire face aux attentats, poussent, nous dit-on, les juifs à émigrer. Culpabiliser les Européens est un vieux réflexe ashkénaze, le culte de la Shoah visait à cela, à empêcher le bon sens dans chaque pays d’Europe de relever la tête et de voir l’écran de mensonges qu’on avait dressé devant eux, à coup de fantômes d’Hitler, de morts vivants assoiffés de sang impur, de spectres d’atroces ci-devant d’opérette. De nos jours, la mémoire artificielle de la Shoah, sur lequel l’Etat juif (comme il se désigne lui-même) a longtemps prétendu fonder sa légitimité, a bien perdu de sa puissance d’intimidation ; ces temps-ci, le Conseil de sécurité de l’ONU fait de la résistance contre les colonies illégales en Palestine ; un rapport de l’ONU a même tenté d’accuser Israël d’apartheid. Les intellectuels critiques juifs et / ou israéliens sont de plus en plus écoutés, tandis que l’écoute des BHL, Marek Halter, Bernard Guetta et autres Keppel tonitruants se fait plus distraite. Les petits soldats du Mossad ont beau faire étalage de leur talent de limiers sur les traces de leur gibier favori, dit islamiste radical, en refusant toute recherche sur les causes de la recrudescence des attentats, ils se démasquent comme propagateurs de ferments de guerre civile et de haine contre les musulmans. Avec eux, les djihadistes (au sens premier, large et noble, des chevaliers combattant contre le consumiérism)  reprennent le rôle d’épouvantails, bien pratique, dévolu à Hitler depuis sa défaite en 1945, dans la presse.

Le « paradigme d’Auch » comme disent les lycéens régulièrement envoyés visiter Auschwitz, et régulièrement déçus dans leur attente, est en train de tomber en désuétude, et conjointement, la réduction « ad hitlerum » de toute pensée critique perd sa prégnance. C’est ce que montre par exemple l’extraordinaire succès de l’inespéré Il est de retour, film allemand de génie, par David  Wnendt, qui fait de Hitler un nouveau Don Quichotte attendrissant face au véritable pouvoir dictatorial, qui est celui des médias, tournés en ridicule comme autant de moulins à vent, qui peuvent de loin paraître de redoutables géants, mais ne font guère que brasser le vent de la propagande (indispensable cependant pour actionner la meule, le broyeur implacable).

Le monde post shoatique et débarrassé de la terreur qu’alimente le pouvoir sioniste sera-t-il un monde plus juste et plus pacifique ? Le pouvoir sioniste voit le nationalisme comme l’idéologie devant fatalement conduire au crime d’Etat, alors qu’il donne l’exemple lui-même d’un nationalisme outrancier. L’Europe des nations s’est bel et bien entretuée pendant des siècles et s’attribuait le droit de soumettre par la force la plus brutale tous les peuples plus faibles. Peut-être qu’une fois désactivée la puissance sioniste et celle de ses médias pour envenimer et exacerber toutes les tensions, les Etats occidentaux, devenus plus modestes mais forts d’une nouvelle légitimité,  reviendront à une certaine sagesse. En tout cas, les esprits libres et combatifs comme Viguier et Vernochet, même s’ils se plaisent, l’un à idéaliser certains aspects du passé, l’autre à schématiser à grand renfort de diabolisation des séquences complexes, auront aidé chacun à retrouver le fil conducteur de la raison soumise au réel, et non pas prétendant s’y substituer. Il faut saluer le courage de leurs éditeurs qui nous donnent là des outils précis et solide, foumillants de découvertes.

 

 

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