Pour Mr. Macron, l’Algérie un problème pratique à résoudre, pas un affect.
8 mai 2017
Par Mohamed Bouhamidi.
In La Tribune dz du 09 mai 2017.
« Politiquement, la faiblesse de l’argument du moindre mal a toujours été que ceux qui choisissent le moindre mal oublient très vite qu’ils ont choisi le mal. » (Hannah Arendt)
Les élections françaises ont porté au pouvoir Mr. Macron. Il fera son premier voyage en Allemagne. Mais son réel premier voyage, il l’a fait en Algérie, en février 2017, pour des raisons qui crèvent les yeux des personnes qui savent regarder. Dans une contribution (1) publiée en février 2017, il énonçait ces raisons sous l’habillage convenable qu’on taille pour les projets léonins.
Il fallait d’abord déblayer les obstacles d’une guerre d’Algérie que les milieux colonialistes à la papa continuaient en France : loi sur les bienfaits du colonialisme, reconnaissance du bout des lèvres de son caractère oppressif, etc.
Mais point d’excuses et surtout pas la reconnaissance du colonialisme comme crime.
Mr. Macron a balayé tout d’une phrase pour laquelle il a eu peu à payer, cette France de papa est déjà un fait du passé. Et il avait conscience qu’en proposant une relecture de l’histoire coloniale en Algérie, il faisait sauter des verrous, ici en Algérie, pour aller plus loin dans la consolidation de la place de la France, non seulement dans notre pays, mais dans la région.
« Depuis des années, des femmes et des hommes d’Algérie et de France, de bonne foi et de bonne volonté, ont proposé de refonder nos relations à travers un partenariat stratégique. Les conditions néanmoins n’étaient pas réunies pour le faire. Les pages de notre histoire commune avaient été tournées trop vite, sans les lire. Des querelles fratricides, des polémiques nationales, à Paris ou Alger, ont bousculé ces plans. Est-ce une raison pour abandonner cette idée ? Je ne le crois pas. Je pense que le moment est venu d’engager, aujourd’hui, notre histoire dans un nouveau pacte collectif. Mais je suis persuadé que ce partenariat ne peut fonctionner qu’à une condition : celle de reposer sur des solutions partagées, sur des coopérations de terrain, autour de projets concrets. »
Voilà un texte dans lequel on reconnaît au moins en partie les idées de Benjamin Stora. C’est tout à fait contraire aux inepties de Patrick Buisson, conseiller de Sarkozy. Mais du point de vue de la reconquête c’est infiniment plus dangereux. Mr. Macron note bien que « des querelles fratricides, des polémiques nationales, à Paris ou Alger, ont bousculé ces plans » et c’est bien ces querelles qu’il faut aujourd’hui éteindre car sans objet concret et réel en dehors de la mémoire. Mais la mémoire n’est jamais un simple souvenir, elle est aussi le verre correcteur qui nous permet de revoir ou de mieux voir le présent.
Pas moins que pour Tocqueville, aux yeux de Macron, l’Algérie est stratégique pour l’influence régionale, voire semi continentale, qu’elle permet pour celui qui la possède ou la domine. Mr Macron, rajoute la fonction langue et beaucoup d’algériens seraient avisés de rajouter ce facteur à la fabrication germanopratine d‘idoles littéraires algériennes dans leur rôles actuel de sous-traitance.
« L’Algérie et la France peuvent travailler ensemble pour la francophonie en Afrique, car l’Algérie est un acteur majeur de la francophonie. »
Pouvez-vous croire que Mr. Macron élève notre pays au statut de partenaire par pure amitié ou alors, est-ce le prix que des dirigeants français de derrière les rideaux et des intellectuels organiques français ont estimé nécessaire de payer pour nous entraîner dans cette sphère linguistique ? Non pour véritablement exercer une influence sur des pays de la francophonie déjà sous la coupe française mais pour renforcer encore plus l’usage de la langue dans notre propre pays.
On sait maintenant que la langue est un élément des choix de consommation et des modèles technologiques.
Sinon demandez aux ex-colonies françaises d’Afrique.
Retailler le costume mais garder le tissu
On pourrait croire que sauter le verrou de la qualification du colonialisme comme crime augurerait d’une autre politique. Grossière erreur. Dans sa contribution, serrée, excellemment écrite, condensé d’une politique de coopération ciblée avec le langage adapté, Mr. Macron ne propose qu’une forme développée de ce qui a été déjà réalisé sous les présidents précédents Mr. Jacques Chirac inclus.
Premièrement, parler aux algériens comme si les défis qu’affronte la France étaient nos propres défis. Ce faisant les dirigeants français n’appliquent que cette vieille leçon que les algériens sont hyper sensibles à la flatterie, non par défaut dans « notre essence » mais parce que notre vieille culture tribale est celle de la parade des champions. Les pieds-noirs s’en étaient si bien aperçu qu’ils ont inventé l’expression triviale de « nous gonfler la gandoura » pour nous « avoir ».
Macron ne nous propose pas mieux ou plus que Sarkozy/Juppé qui voulait nous entraîner dans les sables libyens ou Hollande/Fabius qui voulaient nous enliser dans le désert Malien. Mais il le propose avec moins d’inélégance :
« Nos deux pays sont en effet confrontés aux mêmes défis. Les défis sécuritaires, d’abord, avec la menace terroriste, l’instabilité régionale au Moyen-Orient, au Machrek et au Sahel. Les défis économiques et sociaux ensuite, avec le besoin de mener des réformes pour retrouver les leviers d’une croissance plus juste et plus équitable, et le rééquilibrage de nos balances commerciales. Les défis écologiques également, pour faire face au dérèglement climatique et conduire ensemble une transition énergétique indispensable au 21ème siècle. »
Il ne pédale pas dans la semoule. Depuis des années beaucoup de voix algériennes naïves ou intéressées appellent le gouvernement algérien à jouer ce rôle de puissance régionale, qui aurait définitivement détruit notre Etat et épuisé ses ressources. Mr. Macron parle en sachant déjà que ses paroles rencontreraient des échos forts et bénéficieraient de relais puissants.
Sans aucun état d’âme, Mr. Macron nous propose d’élargir son shopping des cerveaux algériens. D’une part, nous souffrons déjà d’une politique nationale d’expulsion des cerveaux algériens via les bas salaires qui font qu’un médecin des hôpitaux gagne moins en un mois qu’un gardien de parking sauvage en une semaine, ou qu’un ingénieur ou un technicien ou une enseignante gagnent moins qu’un manœuvre de chantier payé à 2000 dinars minimum la journée quand des super-diplômés gagnent autour de 1500 dinars/jour.
D’autre part, la propre crise que vivent les pays européens leur rend nécessaire d’aller chercher des personnels qualifiés dont nos pays du Tiers-Monde ont payé la formation.
« Nous devrions également renforcer nos instituts de formation franco-algériens. Plusieurs universités existent déjà dans différents domaines : le commerce, le droit, les langues, les études d’ingénieur. D’autres secteurs devraient être encouragés, comme la médecine ou le journalisme. Les étudiants algériens pourront être invités à poursuivre des études en France, en particulier au niveau des mastères et des doctorats. L’objectif conjoint est de renforcer le savoir et les capacités entre nos deux pays. Pour cela, je proposerai au gouvernement algérien la création d’un Office franco-algérien de la Jeunesse, à l’instar de ce qui existe entre l’Allemagne et la France, pour favoriser la mobilité entre les deux rives de la Méditerranée. »
Quel aveu que la coopération a déjà pris en charge les cursus et les programmes dans nos propres universités. Vous comprenez le silence massif des historiens (sauf Corso) à propos de Madame Bengana-Furon ?
Vous pouvez lire la contribution entière de Mr. Macron mais je ne pouvais laisser dans l’ombre le cœur du projet : le contrôle de notre pensée, de nos émotions et de notre parole. Mr. Macron n’envisage pas moins que de mettre en place les outils de la propagande et du contrôle généralisé de nos têtes.
Bref, un niveau largement supérieur à ce qu’ont pu réaliser jusqu’à présent l’ambassade de France à Alger et les services extérieurs du Ministère français des A.E :
« Et puis, dans ce partenariat stratégique fondé sur des solutions concrètes, je crois dans la culture, dans les arts et l’audiovisuel. A travers le cinéma, les industries créatives ou même l’édition numérique, l’Algérie et la France ont mille projets à construire. Je soutiens en particulier un grand projet inspiré des liens anciens entre nos artistes et nos techniciens audiovisuels et de l’exemple européen. Nous pourrions poser les fondations d’une plateforme de diffusion franco-algérienne, pour la télévision et en ligne, en partenariat avec les chaînes existantes, à l’image de la chaîne ARTE. Nous avons toutes les compétences pour le faire en Algérie et en France. Au-delà, les secteurs du design, de la mode, de la gastronomie sont aussi des sources de coopération et de créativité inépuisables entre nos pays. De nombreux projets pourraient être accompagnés autour d’artistes, d’artisans et de « jeunes pousses » talentueuses.
Nous le voyons : les perspectives d’un nouvel âge franco-algérien ne manquent pas. Cette vision partagée, nous pouvons la promouvoir ensemble. J’y serai particulièrement attentif et engagé. Et je remercie très chaleureusement l’Algérie et tous les Algériens de m’accueillir pendant cette étape politique si importante pour la France, et pour notre avenir. »
Moi, j’ai eu froid dans le dos quand j’ai lu cette proposition.
Mémoires
Mais contre les projets d’hier et, ceux de Sarkozy/Hollande ou de Mr. Macron, le chant de mai 1945 veille dans ma tête.
Je ne sais pas vraiment si la commémoration des massacres du 8 mai 1945 ont été à la hauteur du crime et de l’événement. Dans ma tête je n’en retiens que quelques vers plus puissants que n’importe quel sarcophage de l’oubli :
« Ô mon deuil pour les Sétifiens
Morts pour la liberté.. .»
Ou encore
« Sur les monts des Babors
La France nous a bombardés au canon… »
Avant même que nous sachions les nommer, ce chant, que les voix des femmes portaient au ciel de nos imaginaires d’enfants, nous initiait, dans la représentation par la mort et le sang, à l’idée ou l’identité Algérie.
Ce crimes contre l’humanité – 45.000 morts, un immense territoire pris dans l’étau de la répression, de Kherrata à l’Ouest du théâtre des opérations jusqu’à Guelma à son Est – enracina un trait de caractère de la colonisation française en Algérie : la participation des civils pieds-noirs aux actions de guerre qu’on nous menait.
En fait c’est le trait dominant de toute colonie de peuplement. En temps de crise les colons, comme communauté, vont au charbon. Cela souligne le caractère exceptionnel et la haute qualité morale des pieds-noirs qui ont pris le parti de devenir Algériens et indigènes.
De ces massacres n’est pas née seulement la conviction de la nécessité de la violence révolutionnaire et de l’inanité s’une solution politique.
De ces crimes est né aussi, rescapé du meurtre, Kateb Yacine et le fond de sa littérature qu’aujourd’hui encore, on essaye d’escamoter sous l’étendard littéraire flamboyant de Nedjma, qui enterrerait « Le cadavre encerclé ».
Le sang de mai déjà ensemençait novembre. (2)
Le général qui avait mené la répression avait averti le gouvernement français : il lui donnait dix ans de paix, dix ans pour essayer de bricoler une solution à l’impossible équation de maintenir notre peuple sous la servitude coloniale.
Les dirigeants français ont eu neuf ans pour perfectionner le trucage électoral.
Les femmes ont eu neuf ans pour nous chanter le deuil.
Il peut venir, Mr. Macron.
Nos mères savaient, ce que disait Aragon, que nous avons été jusqu’à présent gouvernés « par la ruse ou le bâton ».
Leur chant de deuil a vaincu les sarcophages de l’oubli, nos chant d’espoirs ne se sont pas encore tus.
L’Algérie, nos enfants l’auront dans leur tête avant même de connaître son identité.
Oui, vraiment Mr. Macron, vous pouvez venir avec vos ruses et certainement votre bâton.
M. B
1 – https://www.tsa-algerie.com/relations-algero-francaises-ce-que-disait-emmanuel-macron-en-fevrier/
Cette chronique a été écrite pour La Tribune dz du 09 mai 2017