Accord USA-Russie, désescalade post moderne

 

Par Mohamed Bouhamidi In La Tribune du 18 juillet 2017.

Times of  Israël  a publié hier, lundi 17 juillet, un article informant, sans trop de détails,  du refus par Israël de l’accord Russie-USA sur une désescalade des activités militaires au sud de la Syrie. Appréciez au passage, la sophistication toujours plus poussée du langage. Et il ne s’agit ici que d’un maquillage de la réalité, dans le style  de nommer «techniciens de surface» les femmes ou les  hommes de ménage des aéroports, supermarchés ou hôpitaux. Il ne s’agit vraiment pas de maquiller la réalité de leur condition sociale, aux travailleurs des bas d’une échelle sociale, censée avoir disparu avec l’ère post-industrielle. Cette même sophistication a obscurci la perception des enjeux syriens, tant que l’initiative restait entre les mains des puissances qui agressaient l’Etat national syrien, par le biais de leurs forces proxy et supplétives.

Le cas le plus intéressant a été l’usage de la formule : «Il n’y a pas de solution militaire en Syrie ». Les opinions publiques pouvaient comprendre que les puissances provocatrices, essentiellement celles de l’Otan plus les pays du Golfe, appelaient à une solution politique, voire à une solution raisonnable et rationnelle. A l’épreuve des faits politiques, de Conférence internationale des «amis» de la Syrie à une autre Conférence, de déclarations des pays tuteurs de «l’opposition» syrienne avant des négociations à Genève en négociations de Genève,  il apparaissait clairement que cette formule voulait dire : Assad doit partir. «Il n’y a pas de solution militaire» voulait dire tout simplement, «vous n’avez aucune chance de battre l’opposition» et Assad doit partir.

La solution politique est celle qui a été décidée d’avance, par les USA et la cohorte de 80 pays qui les suivent  avec plus ou moins d’engagement : démantèlement du «régime», c’est à dire dans les faits démantèlement de l’Etat syrien. Le mot régime signifiant, démantèlement des composantes humaines et structurelles de cet Etat. Une sorte de dé-Sadamisation, telle qu’elle s’est déroulée en Irak, avec les conséquences que vous connaissez.  Ethnicisation  et confessionnalisation  de la perception et de la pratique de la politique, boostées par les  tortures et les gestions carcérales, déshumanisantes, déstructurantes, avec viols réciproques imposés aux détenus, attaques de chiens sur détenus dénudés et entravés. Bref, de quoi fabriquer en série des gens assoiffés de vengeance aveugle, absolue, totale et totalisante.  Ce n’est pas un accident que les cadres dirigeants de Daech soient d’anciens officiers de l’armée Irakienne passés par les prisons US installées en Irak ou renvoyés à l’oisiveté des radiés des effectifs.    Les monstres Daech ne sont  pas nés que de la déraison wahhabite. La même expression a été utilisée par  l’Iran et par la Russie : «Il n’y a pas de solutions militaire en Syrie». En clair, ces deux puissances, régionales ou pas, rétorquaient aux USA mais aussi à la France et à l’Angleterre, principaux tuteurs de l’entreprise terroriste en Syrie, qu’elles ne les laisseraient pas vaincre Assad. Quoique que cette formule, en clair-obscur,  dans la bouche des Iraniens et des Russes signifiait, qu’ils étaient prêts à discuter avec leurs «partenaires» Américains,  les autres puissances occidentales, la Turquie,  ou les pays du Golfe, de tous les problèmes qui pouvaient les préoccuper. Si pour les opinions publiques totalement désinformées et tenues dans l’ignorance des faits les plus marquants ou les plus révélateurs de l’évolution de la situation en Syrie comme les visites répétées des dirigeants du Golfe à Moscou, les mordus de géopolitique ou les observateurs, comme on le dit dans le langage courant, essayaient de comprendre quels points communs pouvaient encore exister entre Moscou et Riyad, Moscou et Doha, pour que se multiplient les visites arabes à Moscou. Les Russes se sont expliqués à leur manière.  Ils désignent comme partenaires les USA, qui leur multiplient les coups fourrés pour ne pas dire les coups bas, les accords à double sens, les ententes grosses comme des couleuvres, justement parce qu’ils souhaitent qu’ils deviennent leurs partenaires et non leurs adversaires, dans la lutte contre les  terroristes. Les Russes sont loin d’être des naïfs ou des gogos  des  soldes de fins de séries dans les marchés du dégriffé.  Et avec les pays du Golfe, ils ont des questions communes essentielles à régler pour le commerce du pétrole et du gaz.  Et ces questions sont réellement stratégiques pour les Russes, précisément à propos des USA, qui tiennent à couper le gaz russe de tout nouveau marché potentiel en Europe ou en Méditerranée. C’est vous dire la place que peut tenir la Turquie dans les calculs russes, que tient l’Iran pour les mêmes raisons et à  moyen terme, le gaz du Qatar. Ah ! ce gaz du Qatar, qui a fait rêver, voire fantasmer les Turcs et dont le gazoduc devait passer par Homs avant de relier la sud ouest de la Turquie, et être vendu en Europe, avant que les USA ne mettent en place leur ligne d’approvisionnement en gaz américain liquéfié, et aussi avant qu’Israël ne se sente en position d’approvisionner le Sud de l’Europe, etc. etc.

Pourtant toute cette crise syrienne devait se résoudre en trois coups de cuillères à pot.  La «réussite libyenne» était là, toute proche, qui confirmait bien qu’un retard dans l’exécution ne signifiait pas l’échec, même si dans le cas syrien, faute d’une motion à plusieurs interprétations, du Conseil de sécurité de l’ONU , qui donnait une «couverture» légale à une destruction systématique des système Dcva syriens par les USA afin de permettre aux aviations française et anglaise de se risquer au dessus d’un pays désarmé. Nous étions donc, dans un système de communication et de guerre réelle, entièrement investis par les questions tactiques. Comment réaliser le but stratégique de détruire la Syrie, quel degré de pression militaire et de terreur exercer pour faire céder l’Etat syrien, à quel niveau d’horreur et de panique la population accepterait de passer de l’ère de la Nation à l’ère du canton confessionnel ou ethnique, quelles forces terroristes canaliser, gérer, fonctionnaliser dans ce but ? Cette question tactique est devenue par la puissance de son intensité la question stratégique : comment engager des forces chaque fois plus importantes  sans en arriver à l’engagement des moyens stratégiques synonymes d’un dérapage d’une troisième guerre mondiale,  qui quitterait les formes diffuses que lui voient beaucoup d’analystes. Daech était cette force que les USA géraient pour créer ce sunnistan sur des territoires syro-irakiens avant de le reconnaître comme «fait accompli» qui se départirait de sa violence et de sa cruauté que les impératifs de la conquête l’avaient «obliger»  à exercer. Mossoul et Deir ez-Zor étaient bien sûr l’épicentre de cet Etat qui couperait pour un très long temps à venir les routes iraniennes vers le Liban et Israël.

Revenons à notre histoire de langage. La meilleure explication de la naïveté russe a été donnée par un analyste syrien. Les Russes ont montré une grande patience face à toute la duplicité américaine dans leurs bombardements des positions syriennes, dans la formation d’une armée kurde noyau d’un futur Etat kurde allié d’Israël comme l’est Barzani, les tentatives d’attirer les Druzes et les tribus du Sud de la Syrie vers la formation d’un Etat sunnite du Sud, la formation d’une zone tampon sur le Golan avec les terroristes de Nosra et de Daech. Cette patience a consisté à contraindre les américains à n’utiliser que des moyens tactiques dans leurs implications sur le terrain. Plus les milices terroristes échouaient à atteindre leurs buts, notamment après l’entrée russe dans les combats, plus les USA s’impliquaient directement. Les bottes US sur le terrain syrien foisonnent  en ce moment. C’était une prévision des alliés syriens que les ratées des proxy et supplétifs allaient entraîner les tuteurs dans la lutte sur le terrain.  C’est un moment critique pour les Russes, les Iraniens, le Hezbollah et les Syriens. L’analyste syrien a utilisé le terme de  «surplus de forces» américaines. Il fallait empêcher les USA d’utiliser le surplus de forces dont ils disposent. Et cette démarche est politique, pas militaire. Contenir les Américains dans ce schéma tactique qu’eux-mêmes ont mis en place pour détruire l’Etat syrien, permet de mettre des garde-fous à une intrusion plus destructrice et plus menaçante pour la paix mondiale, plus chargée des nuages de la guerre, comme Hollande et Fabius auraient voulu que cela soit quand la  frustration de leur échec a tournée à la rage hystérique. La démarche politique incluait bien sûr la dimension militaire et quand plus aucune perspective d’accord n’a été possible en 2016, les forces alliées de la Syrie ont libéré Alep puis ont engagé leurs forces dans la jonction avec les forces irakiennes.

La perspective d’une victoire militaire – tiens, tiens ! – a obligé les USA  à discuter d’une solution politique.

Revoyons les fondamentaux. Le projet du Grand Moyen-Orient devait l’émietter et mettre des cantons  ethno-confessionnels en guerre permanente entre eux et sous tutelle d’un fournisseur d’armement et de protection, le même pour tous et isoler l’Iran et le maintenir à 1 800 km en avion,  avant de la détruire.  Cela avait bien commencé, avouons le. L’Irak était détruit, divisé, martyrisé par le terrorisme wahhabite, brisé par la politique de Bremer.  La deuxième vague de ce projet a commencé avec Libye et s’accomplit dans sa plénitude avec la destruction de la Syrie. Au bout du compte les forces iraniennes sont à quelques dizaines de kilomètres de la frontière d’Israël. Au lieu de l’émiettement, une force arabe supranationale est née dans l’alliance Hachd ech Chaâbi, armée syrienne, Hezbollah libanais en plus d’une bonne partie de l’encadrement de l’armée irakienne, des forces Nudjabas et Hezbollah irakiens. Ce n’était pas le schéma prévu. Les techniciens de surface ont nettoyé le sol syrien de l’essentiel des forces hostiles et  terroristes. La Turquie a compris, bien que tardivement, que les risques de démembrement ne l’épargneraient pas dès la naissance d’un Etat kurde en Syrie. Pire pour Israël, l’Iran, la Russie et la Turquie se retrouvent alliés à Astana. Israël ne pouvait être contente de ce voisinage iranien proche inquiétant, de ce renversement historique qui fait des campagnes guerrières américaines le meilleur terreau à l’influence iranienne, de ce rassemblement de forces philosophiquement intelligentes, stratégiquement lucides, tactiquement habiles, militairement adaptées aux guerres de 4e ,5e  génération ou plus. Non vraiment l’accord  Russie-USA est un succès diplomatique important. Il a fait admettre aux USA que leurs buts premiers de destruction sont irréalisables et les ont fait replier sur de nouvelles positions tactiques autrement plus modestes. En langage arabe, les Russes ont laissé aux américains «l’eau du visage», leur ont préservé la face. C’est un acte important car pour la première fois les USA admettent qu’ils doivent parler et négocier avec d’autres Etats. Plusieurs experts expliquaient que la plus grande difficulté pour la paix était de gérer l’orgueil américain, l’orgueil d’une puissance quelle qu’elle soit, à admettre son déclassement alors qu’elle dispose encore de capacités destructrices inégalées. Hillary Clinton, au rire hystérique à la mort Kadhafi, Victoria Nulland et les néocons sont l’image parfaite de cet orgueil agioté. Pour ces experts, il fallait que Chinois et Russes fassent atterrir les USA en douceur de leur nuage. Avec cet accord, ils n’ont pas encore atterri, loin de là, mais ils volent désormais à une altitude moins haute, moins hautaine. Israël a bien raison de ne pas aimer un accord qui laisse les Iraniens et le Hezbollah camper à quelques kilomètres de sa frontière en Syrie.

Pour une fois, les mots post-modernes utilisés ne créent pas la perception de la réalité. La désescalade, c’est arrêter d’avancer. SVP.

 

M. B.

Chronique écrite pour la tribune du 18 juillet 2017.