De l’orgueil à l’aveuglement, la route US vers le désordre.

Par Mohamed Bouhamidi In La Tribune du 1er août 2017

 

Un analyste russe Mikhaïl Gamandy-Egorov, vieux routier de la géostratégie analysée pour les médias, se réjouit des sanctions anti-russes. On jurerait qu’il priait chaque jour que la  politique des sanctions reste la seule dynamique possible dans la tête fossilisée des congressistes américains et notamment de J. Mac-Cain. Pour nous, hommes et femmes du Sud, qui avons si souvent affaire aux  américains à travers les guerres, les ingérences et leurs outils de politique des affaires étrangères, leurs si intrusives ONG et si sélectives dans leurs indignations, leurs dénonciations et leurs radars d’où le Yémen a disparu, nous avons une question aussi vitale que celles que  se posent, avec pertinence et intelligence. Pourquoi les hommes et les femmes qui peuplent les institutions politiques  des USA agissent avec cette constance dans l’affirmation humiliante de leur suprématie et tiennent si peu compte de ce que peuvent provoquer comme réaction d’orgueil leurs propre Hubris, cette démesure de l’affirmation de puissance ?

 

La question n’est pas pour nous que géostratégique. Elle relève de nos coutumes tribales, de nos composantes ethnologiques qui nous conseillent si fortement de préférer les arrangements à la guerre car rien de vraiment bon ne sort de la guerre et, en cas de guerre, de ne jamais humilier et rabaisser le vaincu afin de le ménager sinon comme futur allié du moins comme non-belligérant. Comment se débrouillent les américains pour afficher et exhiber leur puissance à l’endroit d’une Russie, qui sur le terrain de l’expédition militaire syrienne, de la remontée du rouble ou de la nouvelle dynamique des secteurs agro-alimentaires,  a démontré sa résilience, la réalité de son statut de puissance et enfin  les tangibles alliances internationales efficientes et efficaces ? Mais comment se débrouillent-ils en parallèle pour faire grogner leurs propres amis, les européens qui ne comprennent pas que des mesures aussi stratégiques et aussi lourdes pour leurs économies et pour leur commerce soient discutées et votées sans le moindre souci de connaître leur opinion ? Le choc a de quoi surprendre,  car les consensus non écrits, et non dits en dehors des cercles fermés comme ceux de Bilderberg ou à peine murmurés dans les messes de la globalisation comme celle de Davos, stipulaient que les capitalismes nationaux devaient fusionner dans une gouvernance mondiale, qui effacerait enfin l’identité nationale restrictive du libre déploiement du profit, du marché et du capital lui-même. Ces questions restent à méditer pour nous. Pourquoi ces dirigeants de l’Union Européenne grognent aujourd’hui et élèvent le ton jusqu’à menacer de contre-mesures les USA.

 

Sérieux ou pas Macron a évoqué l’idée de contre-législations, ce qui serait un retour vers l’idée de nation. Mais alors ces contre-législations, afin que Macron reste cohérent avec ses propres constructions mythologiques ou mythomaniaques, devraient être européennes. On sent la ruade, mais il devra ferrailler pour trouver un consensus avec les pays baltes sectateurs des USA ou encore la Pologne. Tiens la Pologne celle des plombiers que raillaient les Français dans les années quatre-vingt, quand ils oubliaient que le «premier plombier polonais» s’appelait Marie Curie, comme ils ont oublié que c’est leur colonialisme qui a déraciné le peuple racisé de leurs banlieues. Notons quand-même que le fait principal est que Macron ou Merkel tiennent désormais pour inacceptable l’universalité des lois américaines et leur extraterritorialité. Dans les faits, l’application des législations américaines en dehors des USA signifie simplement que tous les territoires de notre monde sont sous législation US et donc sous protectorat ou sous souveraineté US, en fonction bien sûr des différents rapports de forces locaux. Dans cette affaire, ne croyez pas à l’apparence de la puissance, ce serait un leurre, mais alors un vrai. Dernière leçon de choses, le Liban. Les USA font chou blanc à vouloir imposer une quarantaine du Hezbollah, mais dans la dernière bataille décisive que le Hezb a mené à El Nosra, prolongement milicien du principal levier de la «diplomatie» arabe des Saoud, le terrorisme. Ils échouent même à empêcher Samir Geagea, chef des Forces Libanaises, une milice chrétienne de reconnaître que la bataille du Jurd de Arsel a engendré des effets positifs (1).  Surprenant dans la bouche d’un ennemi à la haine endurcie du Hezbollah. Mais Geagea ne pouvait s’opposer et surtout pas s’aliéner les chrétiens qui le soutiennent et qui sont sérieusement soulagés de voir la menace terroriste disparaître, qui les menaçait autant que les chrétiens syriens. Et d’autant que le parti chrétien rival mené par Michel Aoun défendait la politique de résistance et de lutte contre le takfirisme. La base chrétienne de Geagea aurait eu, vous le pensez bien, un urgent intérêt à rejoindre qui peut lui sauver la peau.  Les demandes US de bloquer les comptes du Hezbollah sont aussi passées dans les méandres du marais des décisions libanaises. Pourquoi ce rappel ? Car les amendes infligées aux banques européennes et parfois aux entreprises ont procuré, entre 2009 et 2016,  plus de 321 milliards de dollars, avec un pic de 77 milliards en 2014. Un examen plus attentif de la destination de ces amendes montre qu’elles vont essentiellement à l’Etat de New York.   On peut lire sur l’édition de L’express-L’Expansion du 10 novembre 2016 (2),  donc à une date très proche et qui expliquerait que le cumul de l’Hubris US avait commencé à énerver les européens et surtout  deux jours après l’élection de Trump, cette interrogation sibylline   : «BNP, Volkswagen, Deutsche Bank… les sanctions financières sont devenues une manne pour la justice et un puissant instrument de domination des Etats-Unis. Et si l’Europe se dotait des mêmes outils ?

C’est une plaisanterie qui fait son effet en ce moment dans les dîners d’affaires parisiens, entre le café et le cognac, pour son goût légèrement amer: « Vous savez comment on appelle le nouveau pont qui surplombe la rivière Hudson, à New York? Le pont BNP’’» Plus de deux ans après la condamnation de la banque française par les autorités américaines, la rancoeur est encore tenace.  L’amende (8,97 milliards de dollars, soit 6,45 milliards d’euros) figure en haut du tableau de chasse des plus grosses sommes versées par des entreprises étrangères aux autorités américaines. Une partie du vaste pécule a donc atterri dans les caisses de l’Etat de New York pour financer des grands projets d’infrastructures. Au risque de pousser l’espièglerie, on pourrait ajouter qu’elle a permis de payer l’agrandissement des bureaux du ministère de la Justice de l’Etat et des tablettes dernier cri aux policiers new-yorkais! L’origine du crime? La violation de l’embargo américain contre Cuba, l’Iran et le Soudan, entre 2000 et 2010. «Quand bien même on accepte l’idée qu’une banque française puisse être condamnée pour un embargo décidé unilatéralement par les Etats-Unis, les sommes en jeu sont hors de proportion avec le bénéfice qu’en a tiré la BNP», peste un financier parisien. On note dans ce passage pourtant timide et dont on a arrondi les angles, une sorte de début d’énervement et le Trump n’arrangeait pas la perspective et avec son «América first».  321 milliards de dollars c’est plus que le montant du Fonds souverain libyen créé par Kadhafi sur conseil de Blair, ce n’est pas loin du Fonds Qatari, etc. etc.

Proxénétisme géostratégique

Nous pouvons alors comprendre que cet assentiment européen à l’application des législations US sur le sol n’était qu’une rançon d’un projet infiniment plus large. L’Europe n’avait  pas élevé la voix tout au long de ces années de proxénétisme géostratégique. Elle n’a pas non plus protesté  quand Victoria Nuland occupée à organiser le Maïdan ukrainien avait décidé que Arseni Iatseniouk, surnommé «Yats» par elle-même, prendrait le pouvoir. Et que dans son échange de femme qui a fait ses «humanités» elle a rétorquait, début février 2014, à une remarque de l’ambassade US à propos de l’Union Européenne : «And, you know… Fuck the EU» (3). Ah, celle belle et vieille Europe qui a inventé les techniciens de supérieurs de sol pour désigner les femmes de ménage, a traduit, que l’Europe aille se faire foutre. Le si peu que je connais du Jazz me convainc que la traduction fidèle à la lettre et à l’esprit est plutôt que «l’Europe aille se faire baiser». Merkel et je ne sais plus quel autre ont trouvé les termes employés inadmissibles, mais pas contesté le fait lui-même.

L’Europe suivra les USA, perdra beaucoup d’argent, mais ni elle, ni les Etats-Unis ne voudront voir qu’ils affaiblissaient en profondeur les courants russes pro-occidentaux qui tenaient en mains la plupart des décisions et des politiques économiques. En trois années de sanctions, aucun courant pro-occidental ne peut plus défendre comme avant l’idée d’une route vers l’Ouest et vers le paradis US-UE.  Si l’Hubris a aveuglé les USA sur la réalité de leur rapport avec la Russie revenue au premier rang de l’ordre mondial, qu’en serait-il de nous, si entre-temps nous n’avons pas développé  une «immunisation» ou un «antigène» comme disent les résistants du Moyen-Orient et comme a su le réaliser l’Iran tout en se développant ? Alors notre réponse à la question de comment comprendre la furie US, est tout simplement que la raison a si peu à voir dans la conduite de la politique sur laquelle s’exercent les puissants facteurs des besoins et des nécessités économiques. Nous pouvons comprendre que ces nécessités et ces besoins s’exacerbent en temps de crise prolongée, composée elle-même de crises de plus en plus rapprochées, et qui rendent fous les hommes qui dirigent les USA. Et qui obligent la sélection des hommes et des femmes idoines à cette période de folie, des fous menteurs, assassins comme Blair, Obama, Hollande , Sarkozy ou Victoria Nulland et Hillary Clinton les allumées du meurtre et les hystériques. L’aveuglement des USA les aura poussés à saper l’amitié complaisante des européens de l’ouest. Ce n’est pas peu comme performance.

Les contre sanctions russes ont mis KO debout les USA. Par réciprocité les effectifs des diplomates US en Russie devront être ramenés au nombre des diplomates russes aux USA, cela fait une sacré différence et, cerise sur le gâteau, les américains devront choisir eux-mêmes quels diplomates ils devront rapatrier. Une vraie rigolade, rapatrier plus de 700 diplomates US contre 31 diplomates russes expulsés. Imaginez le désordre dans le travail au quotidien de la CIA, qui est l’essentiel du travail des ambassades US quel que soit le pays concerné. Avouez que cela doit être jouissif pour de nombreux fonctionnaires des AE  russes qui refoulaient leur dépit devant l’impassibilité de Poutine. Au fait, comment on appellerait un coup pareil aux échecs ?   Mais lisez quand même un extrait de l’analyse de Mikhaïl Gamandy-Egorov sur l’art de produire le contraire de l’effet désiré (4).  «Au-delà de la fierté nationale, les Russes savent aussi analyser et comparer et peut-être sur beaucoup de points mieux qu’en Occident. En effet, les citoyens russes refusent l’hypocrisie des élites occidentales qui affirment que les années de honte postsoviétiques étaient les meilleures de l’histoire russe. Ces mêmes années où une grande partie de la population vivait d’une façon indigne pour un pays comme la Russie, lorsque le marasme économique était ambiant et les règlements de comptes mafieux quotidiens. Et c’est aussi à cette période peu glorieuse de l’histoire contemporaine de la Russie, qu’une classe ultralibérale et largement pro-occidentale s’est enrichie de façon spectaculaire et le plus souvent criminelle.

Puis changement de cap, politique comme économique. Tout en restant attachée à l’économie de marché, la Russie post années 2000 a limité l’approche ultralibérale du gouvernement précédent. Le niveau de vie moyen a alors augmenté considérablement. La Russie a retrouvé non seulement le statut de grande puissance internationale du point de vue de ses capacités défensives, et notamment nucléaires, mais s’est à nouveau retrouvée dans le Top 10 des puissances économiques mondiales. Évidemment, certains ‘’analystes’’ du mainstream n’ont pas manqué de dénigrer les résultats obtenus, affirmant qu’ils étaient dus presque uniquement aux prix élevés des hydrocarbures….

L’essentiel étant que les représentants d’un large nombre de secteurs de l’économie russe prient pour la poursuite des sanctions et contre sanctions. En premier lieu le secteur agroalimentaire russe, qui a su tirer profit des occasions qui s’offraient à lui du fait des sanctions. Mais il est loin d’être le seul et désormais, la Russie mise à fond sur les exportations, créant même une sérieuse concurrence aux entreprises occidentales. »

 

M. B.

 

 

 

  1. https://french.almanar.com.lb/511806

 

  1. http://lexpansion.lexpress.fr/actualite-economique/le-racket-geant-des-amendes-economiques-infligees-par-les-etats-unis_1848745.html

 

  1. http://www.huffingtonpost.fr/2014/02/06/victoria-nuland-ukraine-union-europeenne_n_4740136.html

 

 

  1. https://fr.sputniknews.com/points_de_vue/201707261032384577-sanctions-russie/

Chronique destinée à La Tribune du 1er août 2017.