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19 avril 2024

« Kadhafi coche toutes les cases du héros ou de l’anti-héros rêvé pour biographe »


ENTRETIEN. Dans « Kadhafi », Vincent Hugeux nous fait entrer dans l’univers peu commun du « Guide ». Il s’est confié au « Point Afrique ».

Propos recueillis par
Publié le
| Le Point Afrique
Le Colonel Muammar Kadhafi, ici le 12 juilllet 2009 à Rome. © AFP/Christophe Simon
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Qui était vraiment Kadhafi ? Dans la biographie qu’il lui consacre, Vincent Hugeux, journaliste à L’Express, lève bien des voiles sur le parcours tumultueux d’un homme qui aura marqué l’histoire africaine et internationale pendant les 42 années où il a régné sur la Libye, de 1969, année du coup d’État par lequel il a renversé la monarchie, à 2011, année de sa mort dans les environs de Syrte. Entretien.

Le journaliste et auteur de « Kadhafi », une biographie saisissante sur le « Guide » libyen. © VH

Le Point Afrique : Pourquoi vous êtes-vous lancé dans l’écriture de ce livre ?

Vincent Hugeux : Rendons à César… Tout est parti d’une intuition de Benoît Yvert, directeur des éditions Perrin, avec qui j’avais eu le plaisir de travailler à plusieurs reprises, notamment pour Reines d’Afrique, Le roman vrai des Premières Dames, paru en 2014, puis ressorti l’an dernier en poche dans une version enrichie et actualisée. De fait, Muammar Kadhafi coche toutes les cases du héros – ou de l’anti-héros – rêvé pour biographe en quête d’acteur. À commencer par celle du parcours tumultueux. Tout y est : la filiation incertaine, l’épopée révolutionnaire, les chimères panarabe puis panafricaine, la prétention universaliste, la violence, la « rédemption » tardive, l’épilogue barbare, l’héritage chaotique. Avec, à foison, des énigmes, des volte-face, des lubies, des foucades, des calculs, du bruit et de la fureur. Par ailleurs, l’arène libyenne ne m’était pas totalement étrangère. J’avais eu l’occasion de me rendre à plusieurs reprises en Jamahiriya (l’État des masses), avant de couvrir, pour L’Express, la longue agonie du régime, de Benghazi à Tripoli, via Misrata. De même, ma fréquentation assidue de l’Afrique subsaharienne m’a souvent conduit à mesurer l’emprise du Colonel sur une frange significative de la classe politique et de l’intelligentsia du continent. De quoi intriguer tout esprit un rien curieux.

En quoi est-il important que tous les mystères qui entourent un personnage comme Kadhafi soient percés ?

Tous ne le sont pas ; et l’on ne saurait exclure que certains ne le soient jamais. Pour autant, dissiper le halo de brume qui flotte autour d’un « Guide » si déroutant, sa psyché, ses obsessions, son verbe, ses écrits, ses embardées tactiques, contribue à démythifier l’intéressé. À quoi bon ergoter sur sa folie réelle ou supposée ? Y aurait-il chez lui, au-delà des apparences, une forme de rationalité ? Et enfin, la question à un million de dinars : un dément aurait-il pu régenter d’une main de fer, 42 années durant, un pays aussi fragmenté et hétérogène que la Libye ? Aurait-il maîtrisé à ce point l’alchimie tribale ? Par ailleurs, les décennies Kadhafi racontent aussi, en creux, un peu de l’histoire du monde arabo-africain, mais aussi un peu de la nôtre. Que l’on songe à la fascination qu’exerce d’emblée l’austère putschiste sur la France pompidolienne, et au tango heurté qu’il dansera avec Valéry Giscard d’Estaing, François Mitterrand, Jacques Chirac puis, bien entendu, Nicolas Sarkozy…

Qui était vraiment Kadhafi ?

D’abord, un Bédouin, fier de ses racines modestes et qui, jusqu’à son dernier souffle, préférera le désert à la ville, la tente – certes climatisée – aux « murs qui enserrent les âmes ». Ensuite, un nationaliste panarabe, disciple zélé jusqu’à l’outrance de l’Égyptien Gamal Abdel Nasser, et qui juge très tôt le « bac à sable » libyen trop étriqué pour ses ambitions planétaires et sa fameuse « Troisième théorie universelle ». Mais les années Kadhafi tissent aussi l’histoire d’une « dystopie », une utopie qui tourne mal. La chronique d’une dérive politique et personnelle. Du jeune officier idéaliste au tyran bouffi. Du séducteur au prédateur sexuel. Du lecteur de Montesquieu à l’internaute accro aux thèses complotistes. De l’esprit avide de savoir à l’autiste claquemuré dans ses obsessions, entouré d’une cohorte de courtisans, convaincu d’incarner à lui seul son peuple et sa patrie.

Que dire de Kadhafi et du terrorisme ? De quoi a-t-il été vraiment responsable ?

Muammar Kadhafi a été, jusque dans les années 1990, la providence des freedom fighters – combattants de la liberté – de toutes obédiences, poseurs de bombe compris. Il a été le bienfaiteur des insurgés, des Irlandais de l’IRA aux Kanaks néo-calédoniens, des tribus indiennes rebelles d’Amérique du Nord aux indépendantistes corses du FLNC. Statut assumé et revendiqué. La responsabilité de la Jamahiriya, adepte du terrorisme d’État au point d’envoyer des escadrons de tueurs aux trousses des dissidents en exil, est notamment engagée dans plusieurs attentats mémorables : celui, en 1986, de la discothèque berlinoise La Belle, prétexte aux raids dévastateurs ordonnés en représailles par Ronald Reagan, alors président des États-Unis ; mais aussi et surtout, bien sûr, le crash du DC-10 d’UTA dans le désert du Ténéré, survenu après celui du Boeing de la Pan Am à l’aplomb de Lockerbie (Écosse). Même si l’honnêteté commande de reconnaître, s’agissant de ce dernier épisode, que l’implication de la Libye s’avère moins incontestable. Pour Kadhafi, le terrorisme constitue un outil parmi d’autres, un vecteur d’influence. Que l’on abandonne dès lors qu’il tend à vous fragiliser. Voilà pourquoi le Guide, aux prises sur ses terres avec de puissants maquis islamistes, se prévaut d’avoir dénoncé précocement le péril al-Qaïda. Voilà pourquoi il condamne les attentats du 11 Septembre. Voilà pourquoi il coopère activement avec les services de renseignement occidentaux. Son instinct de survie politique lui dicte alors de passer au plus vite sur l’autre rive de « l’Axe du Mal ».

 

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