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28 mars 2024

Le Haut commissaire aux droits de l’homme de l’ONU est revenu à la charge sur la situation catastrophique des migrant et réfugiés en Libye.


Par Aboubacar Yacouba Barma  | 
Le Haut commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme, Zeid Ra'ad Al Hussein
Le Haut commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Zeid Ra’ad Al Hussein (Crédits : un.org)
Le Haut commissaire aux droits de l’homme de l’ONU est revenu à la charge sur la situation catastrophique des migrant et réfugiés en Libye. Avec des propos très critiques, Zeid Ra’ad Al Hussein a mis en cause la politique européenne en matière de gestion migratoire qui aggraverait la situation, tout en appelant la communauté internationale à agir d’urgence afin d’atténuer la souffrance des migrants, qualifiant celle-ci «d’outrage à la conscience de l’humanité».

C’est certainement l’ampleur de la désastreuse situation qui l’a imposé, mais ce mardi 14 novembre, le Haut commissaire des Nations Unies pour les droits de l’homme (UNHRC) a mis les pieds dans le plat de l’Union européenne. Dans un communiqué publié par son cabinet, Zeid Ra’ad Al Hussein a tenu à exprimer «sa consternation face à la forte augmentation du nombre de migrants détenus dans des conditions horribles dans les centres de détention libyens». Par la même occasion, le Jordanien a mis en cause la politique de l’UE en matière d’aide aux gardes-côtes libyens pour intercepter les migrants et autres réfugiés et qu’il a qualifiée «d’inhumaine». Selon le Haut commissaire onusien, «la souffrance des migrants détenus en Libye est un outrage à la conscience de l’humanité. Ce qui était une situation déjà désastreuse est maintenant devenu catastrophique».

«Le système de détention des migrants en Libye doit être irrémédiablement réparé. Seules des alternatives à la détention peuvent sauver la vie et assurer la sécurité physique des migrants, préserver leur dignité et les protéger contre d’autres atrocités», a déclaré Zeid Ra’ad Al Hussein

Selon l’UNHRC, l’UE et l’Italie aident les gardes-côtes libyens à intercepter les bateaux de migrants en Méditerranée, y compris dans les eaux internationales et cela en dépit des inquiétudes exprimées par les associations de défense des droits de l’homme. A travers cette approche, le Haut commissariat estime que c’est plutôt une pratique qui condamnerait davantage de migrants à une détention arbitraire et indéfinie, au travail forcé, à l’exploitation et à l’extorsion. «Les personnes détenues n’ont aucune possibilité de contester la légalité de leur détention et n’ont pas accès à l’aide judiciaire», poursuit la même source.

«Les interventions croissantes de l’UE et de ses Etats membres n’ont jusqu’à présent rien fait pour réduire le nombre d’abus subis par les migrants. Notre surveillance montre une détérioration rapide de leur situation en Libye», précise l’UNHRC.

Dépénalisation de la migration irrégulière

Pour Zeid Ra’ad Al Hussein, «la communauté internationale ne peut pas continuer à fermer les yeux sur les horreurs inimaginables subies par les migrants en Libye et prétendre que la situation ne peut être corrigée qu’en améliorant les conditions de détention». Il a par conséquent appelé à la dépénalisation de la migration irrégulière afin d’assurer la protection des droits de l’homme des migrants.

L’appel risquerait d’être mal perçu, notamment au niveau de l’UE pour qui la réduction drastique des nombres de migrants arrivants par la Méditerranée démontre l’efficacité de sa politique. Sauf que les migrants, eux, sont pris en otage dans un cercle vicieux en Libye où ils deviennent des proies pour les contrebandiers et autres trafiquants en plus des conditions difficiles dans lesquelles ils sont détenus.

Afin d’étayer ses arguments, le Haut commissaire aux droits de l’Homme a rappelé les statistiques du Département libyen de la lutte contre les migrations illégales (DCIM), d’après lesquels 19 900 personnes étaient détenues dans des installations sous son contrôle début novembre. Ils étaient environ 7 000 à la mi-septembre, lorsque des autorités ont arrêté des milliers de migrants à Sabratha, un centre de trafic à environ 80 kilomètres à l’ouest de Tripoli.

Cependant, c’est le constat dressé par une mission d’observateurs des droits humains de l’ONU qui, du 1er au 6 novembre, a visité quatre installations du DCIM à Tripoli et semble avoir irrité l’organisme onusien. Au cours de leurs séjours, les observateurs ont en effet interrogé «des détenus qui avaient fui les conflits, la persécution et l’extrême pauvreté des États d’Afrique et d’Asie».

«Les observateurs ont été choqués par ce qu’ils ont vu : des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants émaciés et traumatisés, empilés les uns sur les autres, enfermés dans des hangars sans accès aux nécessités les plus élémentaires et dépouillés de leur dignité humaine». UNHRC.

Le constat sur le terrain est en effet des plus accablants, car comme le relève le Haut commissariat, beaucoup de détenus ont déjà été exposés à la traite, aux enlèvements, à la torture, au viol et à d’autres violences sexuelles, au travail forcé, à l’exploitation, à la violence physique, à la famine et à d’autres atrocités. Des exactions commises par des trafiquants et des contrebandiers et qui ont été étayées par des témoignages poignants des migrants qui racontent leurs calvaires dans les centres de détention.

L’UE et ses membres à la barre

Le Bureau des droits de l’homme de l’ONU a donc exhorté les autorités libyennes à prendre des mesures concrètes pour éradiquer les violations des droits humains et les abus dans les centres sous leur contrôle, pour éloigner ceux qui sont raisonnablement soupçonnés de violations, pour enquêter et poursuivre les responsables. Il a également demandé à ce que les migrants ne soient pas détenus et que tous les centres soient ouverts. «Nous ne pouvons pas être un témoin silencieux de l’esclavage moderne, du viol et autres violences sexuelles, et des homicides illégaux au nom de la gestion des migrations et de la prévention des personnes désespérées et traumatisées sur les côtes européennes», a déclaré Zeid.

Ce n’est pas la première fois que l’ONU ou une de ses agences, notamment le Haut commissariat aux réfugiés, alertent sur les conditions désastreuses des réfugiés et migrants en Libye, lesquels sont détenus en captivité dans plusieurs lieux situés, notamment à Sabratha et aux alentours, la plupart du temps dans des fermes, des maisons et des entrepôts.

Ce n’est aussi pas la première fois que la politique européenne en matière de gestion migratoire des Etats membres de l’UE est mise au pilori, comme en juin dernier lorsque le même UNHRC a qualifié les hospots, les centres d’enregistrements et de tris des migrants et réfugiés, de «vastes zones de confinement forcé». A l’époque, c’était en Europe que ces centres se sont multipliés et en dépit des inquiétudes de l’ONU et des organisations internationales des droits de l’homme, l’UE n’a pas revu sa stratégie et la France est en train de tenter l’expérience au Niger, au Tchad et en Libye.

En mai dernier, l’Italie a auparavant signé un accord avec la Libye, le Tchad et le Niger ayant comme objectif d’endiguer le flux de migrants en renforçant les contrôles aux frontières et en créant de nouveaux centres d’accueil dans les pays africains. A chaque fois, en contrepartie d’espèces sonnantes et trébuchantes…

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