Interview du professeur Jamal Mimouni par Naïma Djekhar (revue de presse : El Watan – Extrait – 21/1/18)*
Le professeur Jamal Mimouni, diplômé de l’université de Pennsylvanie (Etats-Unis), enseigne au département de physique de l’université Frères Mentouri (Constantine1). Il estime qu’avec le lancement du satellite Mohammed VI-A, le Maroc a pris une avance sur ses rivaux régionaux en matière d’observation et de renseignement …(…)…
Question : La conquête de l’espace n’est pas une vue de l’esprit, elle est réelle et beaucoup de pays ont investi ce domaine. Même sur le plan régional, on peut saisir les prémices d’une rivalité avec le lancement, il y a deux mois, d’un satellite marocain qui a d’ailleurs fait couler beaucoup d’encre…
R: Effectivement, depuis l’ouverture de l’ère spatiale en octobre 1957 avec le lancement de Spoutnik par l’Union soviétique (URSS), le spatial est devenu une entreprise qui, au-delà de son aspect humain, a des enjeux économiques, scientifiques, technologiques, mais aussi géostratégiques pour ne pas dire militaires.
La possession d’un satellite de reconnaissance, d’observation et de renseignement par le Maroc est un épisode à portée régionale. Le lancement de ce satellite, baptisé Mohammed VI-A, est le fruit d’un accord secret passé en 2013 entre le roi du Maroc et le président Hollande. Il a été conçu, construit et lancé par la France de sa base spatiale de Kourou en Guyane.
Il sera suivi d’un deuxième satellite du même type cette année. Ce premier satellite de renseignement (ou espion en langage courant) dans sa mission principale et construit par plusieurs consortiums français est capable de prendre en haute résolution atteignant les 70 cm des images de n’importe quel point du globe. Il sera notamment utilisé, selon un responsable marocain, pour la «surveillance des frontières» et la bénigne «lutte contre l’immigration clandestine».
En fait, ses capacités le désignent pour être une arme redoutable en tout conflit armé dans la région. Il est à noter aussi que le ministère de la Défense des Emirats arabes unis a commandé à la France deux satellites espions du même type que ceux des Marocains pour ses différents terrains d’intervention dans le monde arabe et dans la Corne de l’Afrique, et qui devraient tous deux être lancés en 2019. Notons cependant qu’il serait naïf de penser que leur utilisation n’est pas l’objet de restrictions quant à la prise de vues de régions «sensibles» en Europe, aux Etats-Unis et au-dessus d’Israël.
Le financement de ce programme pour la bagatelle comprise entre 350 à 500 millions de dollars (ce dernier chiffre étant l’estimation la plus courante) n’est pas connu, mais un montage financier avec certains pays du Golfe n’est pas à exclure. Il est important de placer cette affaire dans un contexte plus large, celui de la prise en charge financière par l’Arabie Saoudite, suite à un accord signé en janvier 2016 avec le Maroc, du développement d’une industrie de l’armement marocaine à hauteur de 22 milliards de dollars, dont les partenaires industriels sont quasiment tous Français.
Rappelons aussi le financement en 1975 par certains pays du Golfe de l’achat des chasseurs Mirages par le Maroc au début de la crise du Sahara occidental et plus récemment des Rafales, et ce pour soi-disant préserver «une parité militaire» dans la région.
Tout cela pointe vers une certaine duplicité algérienne dans ses rapports avec la France. Cette transaction secrète concernant les satellites espions marocains est un geste dont le moins que l’on puisse qualifier d’inamical, et en toute logique, aurait dû avoir des conséquences quant à nos rapports commerciaux et politiques avec l’ancienne puissance coloniale.
Pourtant, aucun signe de mécontentement algérien n’est apparu lors de la visite subséquente du président Macron à Alger en décembre dernier. L’Algérie semble donc être entrée dans une politique d’apaisement, voire d’effacement tous azimuts, et les dossiers communs ne sont pas traités avec notre propre intérêt en vue et la fermeté nécessaire avec nos «amis» français et nos «frères» du Golfe.
Quant à la rumeur que le lancement d’Alcomsat-1 est la réplique algérienne pour le lancement du satellite espion marocain, elle est absurde. D’abord, parce qu’Alcomsat-1 était prévu en 2014 et fut retardé pour des raisons diverses dans le calendrier de lancement des fusées chinoises Longue Marche-3. Mais aussi et surtout parce que c’est un satellite de communication avec aucune capacité d’imagerie optique, contrairement au satellite marocain.
Il est donc sur une orbite équatoriale dite géostationnaire à 36 000 km d’altitude, contrairement aux satellites espions ou de télédétection qui eux sont placés sur des orbites quasi polaires basses (700 km pour le satellite marocain) et peuvent donc défiler au-dessus de toute la surface du globe.
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