Libye : Saïf al-Islam Kadhafi se rêve président
25 mars 2018
Saïf al-Islam Kadhafi se verrait bien président de la Libye, en digne successeur de son père. Une volonté qu’il a communiquée dimanche, depuis la Tunisie, par la voix de son représentant, Ayman Bouras, lors d’une conférence de presse. « Saïf al-Islam Kadhafi a décidé de se présenter aux prochaines élections présidentielles », a-t-il déclaré. Sa candidature sera « officiellement enregistrée lors de l’ouverture des inscriptions sur les listes électorales […] afin de sauver la Libye […], d’établir la paix et la stabilité ». Le fils du « guide » libyen pourrait donc représenter le Front populaire pour la libération de la Libye (FPLL) à la prochaine élection présidentielle, prévue aux alentours du mois de septembre 2018.
Ancien partisan de l’ouverture de la Libye
Une annonce qui ne surprend pas dans le pays puisque, déjà en décembre dernier, Bassem al-Hashimi al-Soul, l’un des hommes-clés de l’entourage du fils de Kadhafi, avait déclaré au quotidien Egypt Today : « Le programme de Saïf al-Islam imposera plus de sécurité et de stabilité, adaptée à la Libye, et en coordination avec toutes les factions du pays. » Saïf al-Islam Kadhafi semble donc vouloir de nouveau incarner la logique successeur de son père à la tête du pays, une option longtemps envisagée avant la guerre de 2011. En effet, ce titulaire d’un doctorat de la London School of Economics a toujours été le plus « visible » des enfants de Muammar Kadhafi.
Il incarnait même, à l’époque, un certain réformisme, jouissant de son image de jeune homme ouvert et dynamique, tranchant avec la vision de plus en plus fermée de son père. L’homme était même perçu par les observateurs comme l’artisan du rapprochement entre son pays et l’Occident. Officiellement retiré de la politique intérieure de la Libye en 2010, il se montre pourtant intransigeant avec les partisans de la révolution de 2011, et adopte la clandestinité quelques mois après son déclenchement.
Un candidat sous mandat d’arrêt
Sa volonté de se présenter aujourd’hui à l’élection présidentielle est donc claire, mais la concrétisation de son projet est, elle, peu probable. Et en premier lieu parce que l’homme de 45 ans « est toujours officiellement sous un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale. Un mandat qui n’a toujours pas été exécuté », souligne Kader Abderrahim, maître de conférences à l’IEP Paris et auteur du livre Daech, histoire, enjeux et pratiques de l’organisation de l’État islamique. Et si Saïf al-Islam Kadhafi est passé jusque-là entre les mailles du filet de la CPI, il reste, en outre, « condamné pour crimes contre l’humanité par le Parlement de Tripoli », précise-t-il. Toutefois, ces deux mandats d’arrêt ne l’empêchent pas de se prononcer sur une candidature, du moins pas encore. Car c’est le futur code électoral, pas encore établi, qui tranchera. Une close empêchant tout candidat sous mandat d’arrêt devra y figurer pour empêcher Saïf Kadhafi de se présenter. « Une règle interdisant à tout proche de Muammar Kadhafi de déposer une candidature » est également envisageable, pour Kader Abderrahim. Une mesure qui mettrait un coup d’arrêt à toute ambition du fils.
Mais, plus que du fait de la future loi électorale, le fils de Muammar Kadhafi pourrait par ailleurs voir son désir présidentiel avorter en raison du chaos qui règne dans le pays. En effet, la Libye est un État divisé en deux : à l’est, il est contrôlé par les forces du général Khalifa Haftar, qui s’appuie sur le Parlement de Tobrouk ; à Tripoli, c’est le Gouvernement d’unité nationale qui dirige la région, avec à sa tête Fayez el-Sarraj, reconnu par la communauté internationale. Et au beau milieu de cette division s’ajoutent les combattants de l’État islamique, disséminés dans plusieurs provinces du pays. « Si la situation n’est pas réglée dans les six mois, ça n’a pas de sens d’organiser une élection », soutient Kader Abderrahim.
Mais, malgré ces évidentes entraves à une possible candidature, le fugitif se prépare à toute éventualité. « Saïf Kadhafi a des soutiens, des relais. Malgré les différents mandats d’arrestation à son encontre, il se déplace librement, tisse son réseau. Il prend contact avec les chefs de tribus et de clans, les grandes familles libyennes autrefois protégées par son père, affirme Kader Abderrahim. En agissant comme il le fait, il tente de récupérer la légitimité perdue de la famille Kadhafi. » Reste à savoir si cette quête saura toucher les Libyens.