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28 décembre 2024

Le nombre de morts au Yémen est cinq fois plus élevé que nous le pensons


France-Irak Actualité : actualités sur l’Irak, le Proche-Orient, du Golfe à l’Atlantique

Analyses, informations et revue de presse sur la situation en Irak, au Proche-Orient, du Golfe à l’Atlantique. Traduction d’articles parus dans la presse arabe ou anglo-saxonne, enquêtes et informations exclusives.

Publié par Gilles Munier sur 12 Novembre 2018,

Catégories : #Yémen, #Arabie, #MBS, #Trump, #Macron

L’absence de chiffres fiables concernant le nombre de morts au Yémen a permis jusqu’à présent aux puissances étrangères de rejeter plus facilement les accusations portées contre elles de complicité dans ce désastre humanitaire.  

Par Patrick Cockburn (revue de presse – Information Clearing House – 29/10/18)*

Une des raisons pour laquelle l’Arabie saoudite et ses alliés ont pu éviter un tollé général concernant leur intervention au Yémen tient au fait que le nombre de victimes est largement sous-estimé. Le chiffre communément rapporté parle de 10 000 morts en trois ans et demi de conflit, un chiffre étrangement bas à la vue de la férocité des combats.

Un décompte par un groupe indépendant montre aujourd’hui qu’en fait 56 000 personnes ont été tuées au Yémen depuis le début 2016. Ce chiffre augmente de plus de 2000 chaque mois alors que les combats s’intensifient autour du port de Hodeidah, sur la Mer Rouge. Il n’inclut pas le nombre des morts provoqués par la malnutrition ou des maladies tel que le choléra.

« Nous estimons à 56 000 le nombre de civils et de combattants tués entre janvier 2016 et octobre 2018 », déclare Andrea Carboni, qui suit l’évolution de la situation au Yémen pour le compte du Armed Conflict Location and Event Data Project (ACLED) – un organisme indépendant autrefois associé à l’Université de Sussex – qui étudie les conflits en cherchant à déterminer le nombre réel de victimes. Il ajoute qu’il s’attend à voir ce chiffre grimper entre 70 000 et 80 000, une fois qu’il aura finalisé ses recherches sur les victimes jusqu’à présent non recensées qui sont mortes avant l’invasion menée par l’Arabie saoudite au Yémen en mars 2015 et la fin 2015.

Le chiffre souvent repris de 10 00 morts vient en fait d’un représentant de l’ONU qui parlait des morts civils au début de l’année 2017, et est resté inchangé depuis. Cette statistique périmée, tirée du système informatique de santé yéménite, parcellaire et endommagé par la guerre, a permis à l’Arabie saoudite et les Emirats Arabes Unis (EAU) – qui dirigent une coalition de pays fortement soutenue par les Etats-Unis, la Grande- Bretagne et la France– d’ignorer ou de minimiser les pertes humaines.

Le nombre de victimes augmente tous les jours alors que les forces de la coalition tentent de couper Hodeidah de la capitale Sanaa. Oxfam a déclaré cette semaine qu’un civil était tué toutes les trois heures dans ce conflit, et qu’entre le 1 août et le 15 octobre, 575 civils avaient été tués dans la ville portuaire, dont 136 enfants et 63 femmes. Une attaque aérienne mercredi a tué 16 personnes dans un marché à Hodeidah alors que d’autres attaques avaient touché 2 bus au poste de contrôle houthi, tuant 15 civils dont quatre enfants.

Nous n’avons que peu d’information sur le nombre réel de victimes au Yémen car l’Arabie saoudite et les EAU rendent l’accès difficile aux journalistes étrangers et autres témoins impartiaux. En comparaison avec la guerre en Syrie, les gouvernements américain, britannique et français ne cherchent pas à attirer l’attention sur les destructions causées au Yémen, offrant ainsi une protection diplomatique à l’intervention saoudienne. Mais leur aveuglement affiché face à la mort de tant de Yéménites commence à leur causer une publicité négative, due par ailleurs à l’avalanche de critiques internationales suite au meurtre prémédité du journaliste Jamal Khashoggi le 2 octobre à Istanbul, meurtre reconnu par les autorités saoudiennes.

L’absence de chiffres fiables concernant le nombre de morts au Yémen a permis jusqu’à présent aux puissances étrangères de rejeter plus facilement les accusations portées contre elles de complicité dans ce désastre humanitaire, et cela en dépit des appels répétés de représentants de l’ONU au Conseil de Sécurité de l’ONU pour prévenir une famine créée de toute pièce par l’homme et qui menace aujourd’hui 14 millions de Yéménites, soit la moitié de la population.

La crise s’est empirée avec le siège de Hodeidah – la ville étant un centre d’approvisionnement de l’aide humanitaire et de débarquement des importations – forçant 570 000 personnes a fuir leur maison depuis la mi juin. Le chef des Affaires Humanitaires de l’ONU Marl Lowcock a tiré la sonnette d’alarme le 23 octobre déclarant que «  les systèmes immunitaires de millions de personnes en état de survie depuis des années s’effondrent littéralement, les rendant plus vulnérables à la malnutrition, le choléra et autres maladies, en particulier les personnes âgées ».

Le nombre exact de personnes qui meurent affaiblies par la faim est difficile à déterminer car la plupart de ces morts surviennent à la maison et ne sont pas enregistrées. Cela est particulièrement vrai au Yémen, où les centres de santé gouvernementaux ne fonctionnent plus et les gens sont trop pauvres pour utiliser ceux qui marchent encore.

Les morts causés par les combats devraient être plus faciles à comptabiliser et à publier. Le fait que cela ne soit pas fait au Yémen montre le peu d’intérêt que ce conflit suscite au sein de la communauté internationale. Andrea Carboni déclare qu’ACLED a réussi à déterminer le nombre de morts civils et militaires morts lors d’opérations au sol ou de bombardements en s’appuyant sur la presse yéménite, et dans une moindre mesure étrangère. ACLED a utilisé ces sources, après avoir analysé leur crédibilité, pour calculer le nombre de morts. Là où les chiffres divergent, le groupe utilise les chiffres les plus conservateurs et tend à prendre en compte plus ceux qui endurent les pertes que ceux qui les causent.

Il est difficile de faire la différence entre les cibles civiles qui sont délibérément attaquées et les non combattants qui meurent parce qu’ils sont victimes de tirs croisés, ou se trouvaient proches d’une installation militaire lorsque celle-ci est touchée.

Une étude par le professeur Martha Mundy – Strategies of the Coalition in the Yemen War: Aerial Bombardment and Food War – conclut que la campagne aérienne menée par l’Arabie Saoudite visait délibérément les lieux de production et d’entreposage alimentaire. Environ 220 bateaux de pêche ont été détruits le long des rives yéménites de la mer Rouge, et la pêche a été réduite de moitié.

L’ACLED a commencé à comptabiliser les morts alors que la guerre avait déjà commencé, ce qui explique qu’il cherche aujourd’hui à déterminer le nombre de morts en 2015. Son rapport est daté de janvier ou février 2019.

Andréa Carboni ajoute que la tendance est à la hausse. Le nombre total de morts par mois avant décembre 2017 s’élevait à moins de 2000 personnes, mais il est passé au-delà depuis. Presque tous les morts sont yéménites, bien que le chiffre recense 1000 soldats soudanais morts combattant au sein de la coalition.

L’affaire Khashoggi a engendré un plus grand intérêt international pour la guerre au Yémen ainsi que le rôle de l’Arabie saoudite et du prince héritier Mohammed ben Salman dans le conflit. Mais nous n’assistons cependant pas à une diminution de l’aide militaire américaine, britannique et française apportée au royaume et aux émirats, même s’il y  a peu de chance que la coalition ne remporte une victoire décisive.

Nous avons mis trop longtemps à établir la véritable « addition du boucher » dans la guerre au Yémen, mais elle pourrait aider à faire pression sur les puissances étrangères pour mettre un terme à la boucherie.

*Source : Information Clearing House

Traduction et Synthèse : Z.E pour France-Irak Actualité

 

Cet article a été publié à l’origine par « The Independent

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