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29 mars 2024

Les Grosses Orchades, les Amples Thalamèges, le blog


 

 

 

 

 

 

AMAZONES OU PAS AMAZONES ?

I/V.

 

À propos d’un livre paru aux USA en 2014 et en France en 2017

Calamity Jane

 

 

Le titre de ce livre est inapproprié et repose sur un malentendu, car il n’y est pas question un seul instant des vraies Amazones.

L’opus passionnant de Ms Mayor fera cependant date dans l’histoire des recherches universitaires sinon dans l’histoire tout court. En effet, cette somme d’une érudition véritable ne fait pas réellement avancer la connaissance de l’histoire, parce qu’elle est entachée (lestée ? grevée ? encombrée ?) de trois lacunes majeures (lester d’une lacune, oui, il faut oser…) :

 

1° Ms Mayor confond Amazones et femmes guerrières, qui n’ont (eu) en commun que leur sexe et quelques batailles.

2° Victime de la spécialisation contemporaine que chanta si bien Marilyn, Ms Mayor n’a pour ainsi dire pas la moindre notion sûre en matière de religions comparées. Or, aucune étude sérieuse des peuples de la préhistoire – fussent-ils grecs – ne peut se faire sans une connaissance approfondie de leurs croyances, rites, coutumes et traditions, transmises oralement, c’est-à-dire fidèlement, de génération en génération pendant des millénaires, jusqu’à ce que l’écriture, falsifiable, permette de tout mélanger, délibérément ou pas. En conséquence, Ms Mayor ne sait pas où se situe la ligne de partage entre l’histoire et le mythe, passe indifféremment de l’une à l’autre et traite ainsi assez souvent de l’histoire comme si elle fût du mythe et des fables de la mythologie comme si elles fussent de l’histoire.

3° Ms Mayor n’a pas lu Robert Graves, qui a su si magistralement, après une kyrielle d’autres chercheurs, entreprendre le tri nécessaire entre l’une et l’autre ou plutôt montrer ce qui, dans la fondation des mythes, est dû à l’histoire véritable et ce qui, dans l’histoire, reproduit quelquefois le mythe archétypal, non sans démontrer au passage quelques erreurs de Freud.

 

Le travail (remarquable, répétons-le) de Ms Mayor présente aussi des faiblesses qui lui sont propres. Mieux vaut les mentionner au passage pour bien nettoyer le paysage.

Visiblement, en femme élevée dans le pays au monde qui a poussé le plus loin les tares du patriarcat, elle n’arrive même pas à imaginer que « les hommes » aient TOUT appris des femmes, y compris à faire la guerre, et non l’inverse.

 

 0sh-Tisch la Guerrière « baté » de la tribu des Crow, qui excellait aussi bien aux travaux féminins que masculins, Amérique du Nord, fin du XIXe siècle.

 

L’idée, si profondément intériorisée par elle, qu’il soit glorieux pour des femmes d’arriver à « égaler » les hommes est ce que notre cher et irremplaçable Gustave (Flaubert) appelait « une idée reçue ». Et le propre des idées reçues est d’aveugler les esprits pour les empêcher de voir ce qui crève les yeux. Or, diriger des sociétés et s’entrebattre à main armée sont des faits de culture, pas de nature. Les loups ne se tuent pas entre eux, ni les lions, ni les aigles. Ce sont les humains qui le font et eux seuls, et pas depuis toujours. Ils le font par habitude acquise, grâce à ce cadeau à deux tranchants de notre Mère Nature qu’est notre « libre arbitre ».

Autre faiblesse, qui découle évidemment de ce qui précède : à partir d’un certain moment, c’est-à-dire à partir de l’épisode plus que douteux et traité comme histoire véritable de la rencontre d’Alexandre le Grand avec une pseudo-Amazone prénommée Thalestris, Ms Mayor se laisse aller avec délices à des fantasmes de midinette, se met à interpréter un mélange d’histoire et de mythe dans un sens de plus en plus hollywoodien, et gratifie son lecteur de productions à grand spectacle d’histoires d’amour édifiantes (selon une morale plus ou moins de la religion réformée) qui vont de Mithridate et de sa « reine des Amazones » Hypsioratéa à une reine Sémiramis qu’aurait adorée Cécil B. DeMille, en passant par un Pompée le Grand chevaleresque au point de renvoyer, au printemps de 65 avant notre ère, des prisonnières scythes étiquetées « amazones », dans leurs foyers, après les avoir fait défiler dans ses triomphes, au lieu de les étrangler suivant la coutume.

On en pleurerait d’attendrissement, si on n’était allergique aux machins du genre gentils-cowboys-et-méchants-Indiens en technicolor. Au fur et à mesure que le livre avance, on glisse de plus en plus dans les apparentements sollicités, au moyen de quelques légendes recueillies chez divers peuples du Caucase, et on se prend à rêver de ce que des poètes aussi intuitifs que Graves ou le Gallois Evan Evans en auraient tiré pour remonter le fil de l’histoire.

Ce qu’il faut mettre au crédit de Ms Mayor, c’est le travail de bénédictin auquel elle s’est livrée pour passer en revue tout ce qu’ont pu dire des « Amazones » les auteurs de l’Antiquité [quoique cela eût déjà été fait dans une large mesure en France par M. Pierre Samuel],  cités avec sérieux et irréprochablement référencés en notes. C’est là un outil de premier ordre mis à la disposition des chercheurs.

Ce qu’elle a fait aussi, c’est interroger les quelques milliers de poteries grecques dépeignant nommément des « Amazones »… ou ce qui en a tenu lieu dans l’imaginaire grec, sans parler des propagandes.

Exemplaire également le rapprochement entre ce que racontent ces poteries, de nombreux siècles après l’extinction des vraies Amazones et ce qu’ont révélé les plus récentes trouvailles archéologiques, dans les territoires où ces fidèles de la déesse-lune arménienne Amaz ont vécu, fondé et tenu des villes, avant d’être définitivement rayées de la surface terrestre par l’impérialisme grec le plus patriarcal qui, cependant, a davantage que tout autre contribué à en préserver la mémoire. Seule l’extermination des Amérindiens par les prédateurs européens peut donner une idée de ce que fut, quelque 1300 ans avant notre ère, le nettoyage par le vide de ce dernier carré de résistance matriarcale que furent les Amazones. Le livre dont il est question ici ne remonte pas au-delà de ± 800 ans avant J.-C.

Pour illustrer le décalage entre le livre de Ms Mayor et la réalité historique, ne prenons qu’un seul exemple : son prologue. Elle y « raconte » le mythe (car c’en est un) d’Atalante, tel que les Grecs nous l’ont transmis, bien qu’il ne fût grec en rien. Est aussi passée en revue de façon très détaillée cette histoire de la vierge chasseresse apparemment rétive au mariage, qui finit par se faire capturer par un moins rapide qu’elle à la course mais bien plus malin stratège, avec qui elle finit par s’unir, à un point tellement offensant pour Zeus (dans un de ses temples…), qu’il les punit tous les deux en les transformant en lions. Et Ms Mayor d’échafauder des hypothèses dont l’insanité l’aurait frappé si elle avait lu Les mythes grecs et La déesse blanche avant de se lancer dans la carrière. Et de s’étonner que Pline l’Ancien ait pu écrire que « le lion ne peut pas s’accoupler avec la lionne » alors que n’importe quel jardin zoologique vous prouvera le contraire, etc…

 

 

Une Katharine Hepburn de 24 ans dans le rôle d’Atalante : Le mari de la guerrière, Broadway 1932

 

 

[Incidente. Que les femmes des toutes premières sociétés humaines (matriarcales) aient été chasseresses paraît suffisamment évident et a été largement démontré n’en déplaise aux fables patriarcales modernes sur la division du travail entre les sexes et l’impossibilité de faire certaines choses quand on doit mettre bas, etc.

Or, on peut soutenir que l’humanité ne s’est pas tant divisée alors en mâles et femelles qu’en nomades et sédentaires. Je ne sais plus qui a dit que les nomades sont toujours libertaires et les sédentaires toujours conservateurs… autre évidence qui a poussé Byron à remettre en question le mythe (nomade) d’Abel et de Caïn, et même à le qualifier d’imposture. Parce que le sédentaire Caïn, agriculteur (l’agriculture étant une des multiples inventions matriarcales), faisait à son dieu offrande non sanglante des prémices de ses récoltes, alors que l’éleveur Abel en faisait au sien (le même ?) de toujours sanguinolentes, soient les premiers-nés de ses troupeaux. Pour le poète, c’est Abel qui, poussant devant lui ses moutons et ses chèvres, ne pouvait qu’envahir – et dévaster – les champs de son  « frère », écartant sa résistance de bouseux d’un couteau expert comme l’ont démontré des dizaines de générations de « cow-boys » de la steppe européenne, pour ensuite écrire l’histoire à la manière des vainqueurs : « Caïn m’a tuer ».]

 

 

Je signale en passant, pour être complète, que, si Ms Mayor traque les femmes guerrières dans beaucoup de pays –jusqu’en Chine – elle ne dit pas un mot des Libyennes, qui ont pourtant bien davantage que d’autres le droit d’ancienneté dans la carrière, puisqu’on sait qu’Athéna, sous le nom de Neith, avant d’émigrer en Grèce, est « née sur le lac Tritonis » – lequel se trouvait dans la Libye actuelle, entre Tripoli et la Thèbes d’Égypte – « chez les femmes-chèvres ». Elles se sont pourtant maintenues, en société patriarcale, jusqu’en 2011. Sans doute n’en parle-t-elle pas parce que son pays venait, quand elle a écrit son livre, de les rayer brutalement de la surface du globe. Je ne désespère pas de pouvoir réparer ici cette lacune.

 

 

Sur un chapitre qui nous en dit plus long qu’il ne croit.

 

Le chapitre XVII des Amazones, « Bataille pour Athènes » commence ainsi :

 

« Au moment de leur âge d’or, les mythiques Amazones, toujours à la recherche de nouveaux territoires, auraient envahi l’ouest et le sud, partant à la conquête de grandes zones autour de la mer Noire et en Asie Mineure, comme l’avaient fait, auparavant, les Scythes historiques. Les Grecs imaginaient une grande bataille dans laquelle Athènes elle-même avait été la cible des objectifs impériaux et de la colère des Amazones. Cette bataille terrifiante, qui signera leur échec après une ultime contre-attaque désespérée de Thésée et des Athéniens “ne fut pas, à ce qu’il paraît, une guerre de femmes, mais une affaire très sérieuse”, écrit Plutarque dans sa biographie de Thésée. Selon le récit grec, l’armée d’invasion de la reine des Amazones, Orithie, avait submergé le nord de la Grèce et mis le siège devant l’Acropole. Une victoire des Amazones aurait signifié une profonde humiliation et peut-être même la fin de la jeune cité athénienne.

Le cours de la bataille a été décrit avec de minutieux détails par Clidemus, un historien [?? ndA] de l’Attique (ve ou ive siècle av. J.-C.) dont l’oeuvre est malheureusement perdue ; il ne nous reste que quelques citations chez Plutarque qui a pu aussi consulter de nombreuses autres œuvres perdues… etc.etc.» p. 328

 

Ah, Plutarque !…

Ms Mayor atteint là des sommets dans l’art du méli-mélo et de l’amalgame.

Elle affirme avec aplomb un impérialisme des Amazones « au temps de leur splendeur » tout en les qualifiant (on n’est jamais trop prudent) de « mythiques ». On ne saurait pas qu’il s’agit, avec les Amazones, d’histoire presque inconnue d’il y a trois mille ans, on se croirait en plein exceptionnalisme US. S’étant mise à couvert par un « les Grecs imaginaient », elle fonce tête baissée dans le récit (très détaillé) de cette « grande bataille », qui fit d’Athènes « la cible de la colère » expansionniste de ces dames, expliquant qu’elle avait été provoquée par un méfait, à leur encontre, de Thésée, qui, aux dernières de nos nouvelles, n’est pas un personnage historique mais un mythe. Et de décrire avec moult détails circonstanciels le siège « selon l’histoire grecque » de l’Acropole, dont la chute aurait constitué « une profonde humiliation et peut-être même la fin de la jeune cité athénienne ». Fichtre.

 

[Accordons-nous une petite parenthèse et prenons l’exemple de Thésée : Donc, Thésée n’est pas un personnage historique, c’est un mythe. Mais un mythe rend toujours compte de quelque chose qui s’est réellement produit – progressivement, sur un certain nombre de siècles, voire de millénaires –. Thésée est le mythe secrété par l’imaginaire grec pour attester du passage à une société patriarcale, aristocratique et guerrière, à la faveur de la prise du pouvoir en Grèce par les envahisseurs achéens, et de leur expansion impérialiste en Méditerranée, qui a débuté par un affrontement décisif avec les Crétois. D’où l’histoire du fabuleux « Minotaure » qu’il fallait vaincre. (Les rois sacrés de Cnossos s’affublaient, dans certaines cérémonies religieuses, d’une tête de taureau, en l’honneur de leur déesse-mère de la fécondité, qui était une « vache en chaleur » ou Pasiphaé, titre que portaient les reines-prêtresses de ce pays.) D’où le mythe d’Ariane introduisant l’étranger dans la place mythe qui, d’ailleurs, se répétera bien plus tard en Italie, avec celui de Tarpéia (toutes des salopes !) introduisant les Romains dans sa ville étrusque (je mets un post it sur le buffet pour que Théroigne vous raconte ça quand elle en sera à l’Étrusque de la guerre 14-…).

Ms Mayor parle sans rire des Amazones comme des « filles d’Arès ». Qui était Arès ? Le dieu de la guerre olympien des Grecs. C’est-à-dire un des dieux mâles que se sont inventé les Achéens, lorsqu’ils ont dépouillé la grande Aphrodite de ses pouvoirs pour les « splitter » entre plusieurs mâles. Aphrodite, déesses de toutes les violences, fut ainsi supplantée par Zeus, dieu des violences du ciel, par Poséidon, dieu des violences maritimes et souterraines, par Arès, dieu des violences guerrières, par Aidoneos ou Hadès, dieu de la violence faite par la mort à la vie et par Eros, dieu des violences amoureuses, dont ils ont fait son fils, on ne sait pourquoi. Ils ont bien fait aussi d’Arès son amant. Alors que les derniers matriarcaux la voyaient en « épouse » d’Héphaïstos, demi-dieu des violences maîtrisées par les hommes…  Que les Grecs aient fait de leurs ennemies disparues des « filles » de leur dieu Arès pour rendre hommage à leur bravoure, on le comprend sans peine, mais qu’une anthropologue du XXIe siècle s’y laisse prendre à ce point ne donne pas une idée grandiose de l’état de nos cerveaux. ]

 

Comme il est absolument certain qu’il n’y eut jamais d’invasion de la Grèce par des Amazones – Hérodote, pour ne citer que lui, n’eut pas manqué de nous en informer, ne fût-ce que par ouï-dire – il ne reste qu’une seule éventualité : les Grecs l’ont inventée. La question titillante à 1.000 €, est : POURQUOI ? Et comment se fait-il que le récit fantasmé regorge d’indications précises sur les différents lieux de l’empoignade supposée, et ce jusqu’au travers des broderies chères à Diodore de Sicile et à Plutarque ?

 

 

« La mythique bataille pour Athènes. Les Amazones prirent position sur l’Aréopage et le mont des Nymphes. Les Athéniens attaquèrent leur position au Lycée, à l’Ardette, au Palladium et au mont des Muses. Les murs et les différentes structures ont été ajoutés pour faciliter l’orientation dans la topographie d’Athènes. © Michèle Angel »

 

 

C’est que, probablement, cette bataille pour Athènes fut réelle. Comme le furent des tas d’autres, qui opposèrent pendant des siècles TOUTES les villes grecques les unes aux autres, aux Mèdes, aux Perses, et tutti quanti.

Dans ce cas, si on veut bien laisser de côté pour un instant les Amazones et ne garder que le déroulement des « faits », on a l’impression de tomber en plein dans une Commune de Paris athénienne de l’Antiquité, autrement dit dans l’affrontement interne de deux parties d’une population. Quelles deux parties ? Non pas, ici, le peuple contre la bourgeoisie mais les femmes contre les hommes. Autrement dit, « l’invasion d’Athènes par les Amazones » avoue entre les lignes un soulèvement bien réel des femmes d’Athènes contre la société la plus machiste qui ait jamais existé, preuve qu’elles ne se sont pas laissé réduire sans combattre (combien de fois et pendant combien de siècles ?) avant d’être vaincues.

Les Amazones – les vraies – c’est, répétons-le pour enfoncer définitivement le clou, le dernier carré irréductible du matriarcat (hommes et femmes d’abord) voué à la disparition. La bataille d’Athènes, c’est un soulèvement des mères contre les pères, à l’intérieur d’un patriarcat déjà existant. Les femmes guerrières de Ms Mayor ont bien existé, c’est vrai, près d’un demi millénaire après la disparition des « Dames-Lunes à cheval » de Robert Graves, dans des sociétés patriarcales nomades qui ne pouvaient subsister qu’ainsi : les deux sexes participant à égalité à toutes les activités communes, à l’exception d’une seule, l’exercice du pouvoir.

On ne se lasse pas de citer M. Jacob_Dellacqua (« cent mille ans de matriarcat, dix mille ans de patriarcat »). Il est certain, même si la quasi-totalité de nos contemporains et contemporaines n’est pas prête à l’admettre, que les « mères » ont tout inventé et tout appris aux futurs « pères » : à se tenir sur deux jambes, à marcher, à parler, à subvenir à leurs besoins, à se tenir en santé, à communiquer par le langage, à écrire [il n’y a nulle part de dieu de l’écriture, seulement des déesses : le Thot du panthéon égyptien n’est pas un homme, c’est un ibis, et une appropriation tardive], à faire pousser des choses, à chasser, à apprivoiser d’abord des ânes ensuite des chevaux, à les monter, à fonder des villes, à fondre le fer, etc. etc., et sans doute aussi à se battre, personne n’est parfait. Peut-être, pour certaines de leurs inventions, auraient-elles mieux fait de s’abstenir, mais, admettons-le une fois pour toutes, chez les humains de quelque sexe qu’ils soient : tout ce qui est imaginable est faisable et sera fait.

Or, pour les pères, il ne suffisait pas d’avoir remporté sur les mères une victoire totale, il fallait aussi que l’ordre antérieur n’eut jamais été, que la société nouvelle eût existé de tout temps, fût « l’ordre naturel des choses ». D’où la nécessité d’occulter toute réalité qui dérangeait, dans cette « histoire » en fer de lance (début-déroulement-fin) qui n’existe que depuis eux (l’histoire des mères était circulaire ou, si on veut, cyclique ; elle se répétait à l’infini sans apparemment progresser, à l’imitation des saisons : « éternel retour », etc.)

Aujourd’hui, les pères sont en train de découvrir avec douleur – voire égarement – que le progrès censé animer leur histoire pourrait bien n’être qu’un leurre. Cette désillusion engendrera-t-elle une espèce d’embryon de sagesse ? Chi lo sa ?

Pour l’instant, les esprits, même les plus brillants parmi les mâles – à l’exception de quelques-uns, bénis soient-ils – ne sont pas prêts à regarder sans frémir cette réalité en face. C’est au point que M. Malaparte, dont il fut question ici récemment, dans les chapitres où il se déchaîne si violemment contre cette homosexualité qui à la fois le fascine et le révulse, en vient à classer les Athéniens (pères de la démocratie, pas vrai ?) parmi ceux dont l’homosexualité fut une réaction « de l’esprit » à la tyrannie. Cette société qui institutionnalisa la pédérastie ne lui paraît pas du tout avoir instauré une des formes de tyrannie les plus achevées qui aient existé [les femmes au gynécée pour la reproduction, les petits garçons pour la bagatelle et les hétaïres parce qu’il faut bien pouvoir aller se plaindre à quelqu’un], mais, comme son Italie fantasmée des XIV et XVe siècles, avoir été la réaction instinctive des malheureux mâles à « la tyrannie », à une perte brutale de leur liberté. Tyrannie de qui ? Des mythiques Amazones de Ms Mayor ?

Il faut dire que la déesse principale des ancêtres étrusques de MM. Malaparte et Pasolini s’appelait Turan, d’où nous est venu le mot « tyran » et que les mystères de l’ADN nous sont encore pour la plupart inconnus.

Nous mettrons donc au crédit de Ms Mayor qu’elle nous a, fût-ce involontairement et de manière indirecte, apporté la preuve que les femmes grecques de la haute Antiquité ne se sont pas laissé réduire sans combattre, et même qu’elles ont été vaincues par les moyens déloyaux qui ont cours encore aujourd’hui pour venir à bout de la spontanéité des peuples et de la démocratie qui en est une expression au moins approximative.

 

 

[À propos de MM. Malaparte et Pasolini, mais aussi Rabelais, Saint-Just, Baudelaire, Powys, Léautaud, Proust, Céline, Simenon, pour ne rien dire du fils de Folcoche, il y aurait une belle étude à faire sur le rapport entre ne fût-ce que les plus grands écrivains et leur mère, aujourd’hui encore, aujourd’hui surtout.]

 

 

Quand elles ne faisaient pas trop la différence entre leurs petits et ceux des animaux

d’après ce qu’il en reste aujourd’hui

 

Femme allaitant une antilope (Inde-Népal)

 

Au Myanmar, femme allaitant deux bébés tigres en danger de mort (souvent les animaux allaités sont des orphelins)

 

En Nouvelle Guinée (chiots)

 

Au Zimbabwe

 

 

Une femme Awa Guaja – tribu presque éteinte du Brésil – allaitant un petit singe en même temps que son fils.

 

 

Une autre femme Awa Guaja allaitant un rat

 

En Afrique : bébé et porcelet orphelin frères de lait.

 

Là, c’est sur l’Orénoque (Venezuela ou Colombie) et c’est un autre petit porc.

 

 

Chez les Bishnoï du Rajasthan, bébé et faon

 

 

Un autre petit faon

 

 

Chevrettes et chevreaux chez les mêmes

 

 

Petit singe, en Inde.

 

 

Le petit frère du tigre

 

Là, c’est en Malaisie et le bébé-singe revient de loin

 

 

Oui, c’est en Amérique du Nord

 

Cette mère allaite deux bébés tigres

 

Là, c’est un petit chien

 

Encore un  porcelet

 

Mais les animaux plus grands y ont droit aussi.

 

 

Les petits veaux par exemple

 

Chez les Yanomami (Brésil et Vénézuela)

 

Elles allaitent aussi des animaux en Occident (surtout des chats et des chiens orphelins) mais ne se soucient pas trop qu’on le sache. Peut-être des siècles d’immixtion dans leurs consciences les ont-ils rendues prudentes…

 

 

 

Commentaires oiseux sur l’édition française, histoire de mériter mon surnom

 

La rareté et la qualité des images sont un atout majeur du livre dans sa version U.S. Elles sont indiscernables dans l’édition en français, rappelant hélas le légendaire « combat de nègres dans un tunnel » et c’est grand dommage. Dû à quoi ? Pauvre qualité de l’impression ? Papier bouffant ? Les deux ? Une réédition devrait s’en préoccuper.

On notera aussi l’absence de quelques photos (en couleurs sur papier glacé dans l’original) grâce auxquelles, pourtant, on apprend qu’il existe en Amérique des sociétés équestres où des jeunes femmes s’entraînent au tir à l’arc sur cheval au galop – flèche du Parthe incluse – et que, de nos jours encore, des jeunes femmes ou filles du Kazakhstan chassent à l’aigle, elles aussi sur des chevaux au galop (guider, d’une main, un cheval lancé à fond de train derrière une proie véloce, tout en maîtrisant de l’autre un aigle de six kilos qu’il faut faire s’envoler quand et comme il convient n’est certes pas à la portée de la première femme venue susceptible de devoir accoucher de temps en temps, mais du premier homme venu non plus). Preuves :

 

L’archère US Katie Stearns, montant Tasha (Ranch de la Flying Duchess, Arlington, Washington – photo Richard Beard)

 

 

L’archère Roberta Beene, des Rogue Mounted Archers, sur Tempo, exécutant un tir du Parthe à ± 23 miles/heure sur un arc à pression de tirage de 34 livres – photo communiquée par Darran Wardle, www.mountedarchers.org

 

 

La chasseresse à l’aigle Magpal Abrazakova, 25 ans et son aigle Akzhelke, 10 ans. Kazakhstan – photo Shamil Zhumatov, pour Reuters, 2013

 

Contentons-nous de constater que ces sports pourtant spectaculaires ne sont pas des disciplines olympiques. Tiens, tiens…

 

 

Un dernier mot sur l’édition en français :

 

Elle est précédée d’une préface de Mme Violaine Sébillotte Cuchet, qui trouve que :

 

« Adrienne Mayor a donc bien raison de tenter l’aventure. L’enquête sur les femmes combattantes, que l’on pourra par extension désigner comme les filles des Amazones, mérite d’être poursuivie y compris si l’on croit – malgré Adrienne Mayor –  que les Amazones des poètes et des peintres de la Grèce antique n’ont pas eu d’autre existence que fictionnelle. »

 

Cette condescendance de l’université, c’est-à-dire de la « Science », à l’égard de l’« Art », m’a amenée à conclure cette première tranche de mes « Amazones ou pas Amazones ? » sur une citation de Robert Graves, qu’il faudrait afficher au fronton de toutes les poussinières à écoliers limousins, comme « Liberté-Égalité-Fraternité » à celui de toutes les mairies.

 

« des assertions mythographiques parfaitement raisonnables pour les quelques poètes encore capables de penser et de s’exprimer en sténographie poétique ne sont que nonsens ou enfantillages pour la plupart des clercs.

[…]

« Ce qui est plaisant, c’est que plus le cerveau d’un clerc est prosaïque, plus il est supposé capable d’interpréter la signification de l’ancienne poésie ; c’est qu’aucun n’oserait prétendre à une quelconque autorité sur plus d’un seul sujet nettement délimité, par peur d’encourir l’aversion et la méfiance de ses collègues. Ne bien connaître qu’une seule chose est le fait d’un esprit barbare : la civilisation n’existe pas sans un rapport plein de grâce entre toutes les variétés d’expérience et un système central de pensée humaniste.

[…]

« Mais que tant de clercs ne soient que des barbares, est au fond sans importance, dès lors que quelques-uns d’entre eux sont prêts à mettre leur savoir de spécialistes à la disposition des quelques penseurs indépendants, c’est-à-dire des poètes, qui essaient de maintenir la civilisation en vie. Le clerc est un carrier, pas un architecte, et tout ce qu’on attend de lui, c’est qu’il casse proprement ses pierres. Son travail est l’assurance du poète contre l’erreur factuelle. Il n’est que trop facile, hélas, au poète, dans ce monde en pleine pagaille livré aux à peu près, de se fourvoyer dans la fausse étymologie, l’anachronisme ou l’absurdité mathématique, en s’efforçant d’être ce qu’il n’est pas. Son affaire, c’est la vérité. Celle du clerc, c’est le fait. Le fait ne peut être éludé. On pourrait dire autrement que le fait est une tribune représentative sans droit législatif, mais avec droit de veto. En somme, le fait n’est pas la vérité, mais un poète qui croit pouvoir se passer du fait ne peut trouver la vérité. »

Robert Graves, La déesse blanche

 

 

 

Flèche du Parthe à ma mode :

Dans un ouvrage mentionné par une note en bas de page (Hommes et femmes dans l’Antiquité grecque et romaine. Le genre : méthode et documents, Colin, Paris, 2011), Mmes Violaine Sébillotte Cuchet et Sandra Boehringer soutiennent par exemple qu’il n’a pas existé, dans l’Ionie antique, patrie d’Homère, de Sapho et patrie d’origine de la jeune sicilienne auteur de l’Odyssée, de bardes ambulants au féminin, alors qu’elles apportent elles-mêmes les preuves du contraire, ce dont j’espère pouvoir vous entretenir un jour à propos de Samuel Butler, de sa célèbre thèse et de ceux qui n’ont pas craint de la prendre au sérieux, dont George Bernard Shaw mais pas que.

 

 

Pour les anglophones et compte tenu des bémols ci-dessus (répétons-le, les Amazones « égales des hommes » de Ms Mayor sont à lire, il faut juste savoir ce qu’elles ne sont pas).

 

 

Prof. Adrienne Mayor of Stanford visited Google’s Cambridge, MA office to discuss her book, “The Amazons : Lives and Legends of Warrior Women across the Ancient World”. It is the first comprehensive account of warrior women in myth and history across the ancient world, from the Mediterranean Sea to the Great Wall of China.

Adrienne Mayor is an independent folklorist/historian of science who investigates natural knowledge contained in pre-scientific myths and oral traditions. Her research looks at ancient “folk science” precursors, alternatives, and parallels to modern scientific methods. She is Research Scholar, Classics and History and Philosophy of Science, at Stanford.

 

 

Et voilà déjà que le livre suivant de l’auteur vient de sortir : sur les robots ! Ce sera pour plus tard.

 

 

Sans rapport avec ce qui précède mais parce que je viens de le lire* et que chaque gorgée est d’ambroisie…

 

Paul-Heinrich Dietrich baron d’HOLBACH

Essai sur l’art de ramper à l’usage des courtisans… et autres conseils des classiques pour survivre en politique

Paris, J’ai Lu, 2015

Collection : Librio philosophie n° 1096

96 pages – 2 €.

 

En moins de cent pages et pour deux euros : d’Holbach, Machiavel, La Bruyère, La Fontaine, le duc de Saint-Simon, le cardinal de Retz et, feu d’artifice final : Chamfort ! Dont cette fusée :

 

« Les courtisans et ceux qui vivaient des abus monstrueux qui écrasaient la France, sont sans cesse à dire qu’on pouvait réformer les abus sans détruire comme on a détruit. Ils auraient bien voulu qu’on nettoyât l’étable d’Augias avec un plumeau. » (1795)

 

qui pourrait servir de réplique aux détracteurs des Gilets Jaunes. Quoi qu’il en soit, si vous n’achetez pas ce petit livre et si vous n’en faites pas votre bréviaire d’au moins une semaine, vous êtes des nuls.

________________

* Début 2018…

 

 

 

 

 

Mis en ligne le 19 janvier 2019

 

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