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24 avril 2024

 La chambre forte de Guéant


Médiapart

Devenu directeur de la campagne présidentielle de 2007, le bras droit de Nicolas Sarkozy a loué entre le 21 mars et le 31 juillet 2007, c’est-à-dire durant la campagne présidentielle, une chambre forte à l’agence Opéra de la BNP. Claude Guéant s’y est présenté à sept reprises pendant cette période. Le personnel de la banque a concédé devant les enquêteurs qu’il était rarissime qu’un particulier loue un coffre-fort d’une si grande taille. Il fallait manifestement beaucoup de place : un homme pouvait entrer debout sans se baisser dans le coffre…

Nicolas Sarkozy et Claude Guéant, le 27 mars 2012. © Reuters
Nicolas Sarkozy et Claude Guéant, le 27 mars 2012. © Reuters

« Il s’agissait de stocker en sécurité, ce qui n’était pas le cas au siège de campagne, des archives personnelles appartenant à M. Sarkozy et à moi-même, provenant de nos fonctions au ministère […] Je pense aux discours que M. Sarkozy avait pu faire », a assuré en garde à vue le plus sérieusement du monde Claude Guéant.

Dans un récent ouvrage de deux journalistes du Monde, Gérard Davet et Fabrice Lhomme, La Haine, les années Sarko (Fayard)Claude Guéant a précisé que parmi les fameux documents qui prenaient tant de place, « il y avait certes des discours de Sarkozy, mais il y avait aussi des documents classifiés du ministère de l’intérieur, sur des affaires corses, de terrorisme, des affaires arrivées en début de campagne, sur des mises en cause de Nicolas Sarkozy, notamment l’affaire de son appartement de Neuilly-sur-Seine… Bref, j’avais rassemblé toutes les pièces pour le disculper de toute mise en cause ».

Problème : quand il a été interrogé sur ce coffre géant – et quand il acceptait encore de répondre aux questions –, Nicolas Sarkozy a répondu, démuni : « Je ne savais pas qu’il y avait cette location avant de l’apprendre par la presse. »

Les policiers lui ont rappelé que, directeur de campagne pendant l’élection de 2007, Claude Guéant était probablement l’un des hommes les plus occupés de France. Et ils s’interrogent : « Pour quelles raisons Claude Guéant a-t-il pris le temps, durant cette période si dense pour lui, de se rendre dans cette chambre forte à sept reprises entre mars et juillet 2007 ? » Nicolas Sarkozy a répondu : « Je n’en ai aucune idée. Il ne m’en informait pas. » Étrange pour un directeur de campagne qui dit l’avoir loué pour entreposer des documents censés assurer sa défense en cas de mises en cause.

De nombreux membres de l’équipe de campagne de Nicolas Sarkozy, entendus au sujet du coffre-fort de Guéant, ont d’ailleurs observé un silence embarrassé sur les déclarations du directeur de campagne, quand ils n’ont carrément pas mis en cause son alibi, subodorant que le coffre était selon toute vraisemblance garni d’argent liquide.

L’argent en espèce et son « usage immodéré » par Claude Guéant, selon les mots d’un rapport de police, c’est en effet une longue histoire. D’après le dossier judiciaire, Guéant a ainsi disposé entre 2003 et 2013 d’au moins 325 000 euros en cash – il s’agit des sommes dont les policiers ont pu retrouver la trace –, alors que sur la même décennie il n’a retiré de ses comptes en banque que 2 450 euros et qu’il a reconnu la perception de 110 000 euros détournés des caisses du ministère de l’intérieur et pour lesquels il a été condamné en première instance et en appel.

Reste donc un minimum de 211 550 euros au sujet desquels Claude Guéant a opposé une seule réponse face aux magistrats : « J’exerce mon droit au silence. »

 Les enveloppes de la campagne

Les policiers de l’Office anticorruption ont également pu établir que d’importantes sommes en espèces, jamais déclarées aux autorités de contrôle, avaient inondé la campagne présidentielle, comme finira par le reconnaître en audition le trésorier Éric Woerth, actuel président de la commission des finances de l’Assemblée nationale.

Tout en essayant de minimiser les montants en jeu, alors que certains témoins ont parlé de « centaines d’enveloppes », Éric Woerth a affirmé que les sommes provenaient de dons anonymes envoyés par voie postale. Ses explications ont été jugées « captieuses » par la police, c’est-à-dire qu’elles visent délibérément à tromper, le chef du courrier de l’UMP de l’époque ayant réfuté ces affirmations.

En septembre 2017, la police a évoqué dans un rapport de synthèse « l’absence de sincérité des comptes de campagne » et l’« ampleur de la circulation d’espèces en marge de la campagne ».

 Les liasses du conseiller Boillon

Il appelait Kadhafi « papa », lequel lui donnait du « mon fils ». Conseiller de Nicolas Sarkozy au ministère de l’intérieur puis à l’Élysée, Boris Boillon a été interpellé en juillet 2013, gare du Nord, à Paris, avec 350 000 euros et 40 000 dollars en espèces non déclarés.

Boris Boillon © Reuters
Boris Boillon © Reuters

Très proche de la dictature libyenne – il a même forcé la main d’une préfecture pour donner la nationalité française à la femme du directeur de cabinet de Kadhafi – Boris Boillon a affirmé que les fonds provenaient d’un business personnel en Irak, où il s’était reconverti dans le privé après y avoir été ambassadeur. Le diplomate a expliqué qu’il avait été rémunéré là-bas en espèces par un entrepreneur local parce que le système bancaire irakien fonctionne mal.

Non seulement les enquêteurs ont retrouvé une ancienne interview dans laquelle l’ambassadeur Boillon vantait les mérites du système bancaire irakien, mais l’entrepreneur en question a formellement démenti cette remise d’espèces. Pire : les documents comptables présentés par Boillon pour justifier ce cash ont, d’après les enquêteurs, été fabriqués postérieurement à son interpellation.

Mais ce n’est pas tout. L’étude des billets – neufs et dont les numéros se suivent pour l’essentiel – a permis d’établir qu’ils n’ont jamais intégré le circuit commercial réel. En un mot, l’argent ne venait pas d’Irak mais d’ailleurs. Et d’après l’enquête, les billets ont, selon toute vraisemblance, été livrés à une institution ou un État après leur impression.

L’essentiel des billets retrouvés sur Boillon – 257 400 euros en billets de 100 – provient de la Banque centrale de Finlande qui les a fabriqués, en juin 2003. Les enquêteurs ont logiquement déduit dans un rapport de synthèse de septembre 2016 que ces billets n’ont pas circulé pendant dix ans, ceux-ci ayant été découvert sur Boillon en juillet 2013 avec leur bande d’enliassement d’origine. D’autres billets ont été fabriqués en 2008 par la Banque centrale d’Italie.

Selon le JDD, manifestement désireux de sauver chaque sarkozyste du bourbier libyen, c’est la preuve que « l’argent de Boris Boillon ne venait pas de Kadhafi », comme l’hebdomadaire l’a écrit en titre d’un récent article. Il est en vérité impossible de conclure de la sorte, comme il est impossible de conclure dans un sens inverse.

Prenons l’exemple des billets finlandais. Rien ne permet de savoir quand, entre 2003 et 2013, et encore moins par qui ces billets ont été remis à Boris Boillon, qui ne les a manifestement pas touchés ; s’agissait-il d’un reliquat ? D’ailleurs, les enquêteurs écrivent dans leur rapport de 2016 : « Il n’a donc pas été possible de déterminer le suivi des billets, après leur impression et leur livraison aux banques centrales identifiées ».

La seule certitude, c’est que Boris Boillon a menti quant à leur provenance. L’autre certitude, c’est que les juges de l’affaire libyenne disposent de la déposition d’un témoin protégé, un dignitaire libyen enregistré sous le matricule 123, selon lequel plusieurs millions d’euros ont été remis « directement » à Boris Boillon et Claude Guéant, à Syrte en Libye. Pour prouver qu’il connaît bien Boris Boillon, qui dément lui aussi tout financement libyen, le témoin sous X a donné aux enquêteurs les deux numéros de téléphone belge de Boillon. Ce sont les bons.

 Les « relations liquides » de Hortefeux

Depuis des années, dans diverses procédures judiciaires, des témoignages ont affleuré sur de possibles remises d’espèces à Brice Hortefeux.

Cela ressort par exemple d’un texto assassin que l’ancienne ministre de la justice sous Sarkozy, Rachida Dati, avait envoyé à Brice Hortefeux en septembre 2013. Le message débutait par un tonitruant « Salut le facho ! » et se poursuivait par : « Je vais dénoncer l’argent liquide que tu as perçu pour organiser des rdv auprès de Sarko lorsqu’il était président, des relations tout aussi liquides que tu as eues avec Takieddine. »

Questionné par la police sur ce SMS, Brice Hortefeux a répondu : « Mes relations avec Rachida Dati sont notoirement cycliques et elle a elle-même dit qu’il s’agissait de “conneries”, ce que je confirme. »

« Takieddine a-t-il remis des espèces ? » lui ont tout de même demandé les policiers. Brice Hortefeux a démenti.

Pourtant, l’ex-femme de Ziad Takieddine, Nicola Johnson, entendue il y a plusieurs années dans le volet financier de l’affaire Karachi, avait un autre souvenir des relations entre son ex-époux et Brice Hortefeux : « En 2005, nous vivions avenue Georges-Mandel [à Paris, ndlr], avait-elle expliqué sur procès-verbal. Je me trouvais à l’étage. Ziad est arrivé énervé dans la chambre et il m’a dit qu’il fallait qu’il trouve de l’argent car Brice et Thierry étaient en bas. J’avais cru comprendre que cet argent était pour Brice, mais je ne l’ai pas vu lui remettre. Je ne savais pas non plus pour quelle raison il rémunérait Brice. »

La scène avait manifestement marqué l’ex-épouse de Takieddine. « Ce jour-là, je m’en rappelle, car Ziad fouillait dans sa mallette, dans le coffre-fort et dans son bureau. Il a rassemblé une somme d’argent, mais je suis incapable de vous dire le montant. » Brice Hortefeux avait alors vigoureusement démenti.

Il a dû en faire de même devant les policiers de l’affaire libyenne, mais cette fois suite aux déclarations de son ex-femme à lui, Valérie Hortefeux. En perquisition à son domicile puis dans un coffre en banque, les enquêteurs ont découvert près de 55 000 euros en espèces. Valérie Hortefeux a indiqué qu’une partie de l’argent pouvait provenir de son ex-mari. « Je n’ai jamais remis d’espèces à ma femme », s’est défendu Brice Hortefeux.

« Pourquoi raconte-t-elle ça ? » s’interrogent les policiers. L’ancien ministre de l’intérieur sèche : « Je n’en connais pas la raison, mais c’est totalement faux. »

En étudiant la provenance des billets saisis, les enquêteurs ont découvert que certains avaient été fabriqués en 2001 et 2007. « Comment expliquez-vous que votre épouse soit en possession de billets si anciens ? », demandent-ils à Hortefeux. Qui ne sait pas : « Je n’ai aucun élément d’explication si ce n’est pour rappeler que je ne lui ai jamais remis d’espèces. »

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