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26 avril 2024

SARKOZY /KADHAFI : LES CONTREPARTIES FRANÇAISES


MÉDIAPART LIBYE
LES7DU QUÉBEC

voici la fin de l’article. Donc Kadhafi essayait bien de se protéger avec la bombe, et il avait sûrement raison….

 Les contreparties françaises

Quand il a été mis en examen en mars 2018, Nicolas Sarkozy s’est indigné auprès des juges d’instruction : « Vous avez indiqué que j’ai travaillé en vue de favoriser les intérêts de l’État libyen. Comment peut-on dire que j’ai favorisé les intérêts de l’État libyen ? »

La question n’est pas anodine. Car derrière tout pacte de corruption, il y a la rencontre secrète d’intérêts convergents. Celui qui donne attend quelque chose en retour de celui qui reçoit. Dans l’affaire des financements libyens, cet enjeu juridique est au cœur de la mise en examen pour « corruption passive » de l’ancien président français.

Interrogé par les juges pour savoir si l’argent envoyé par les Libyens était bien arrivé aux sarkozystes, Abdallah Senoussi a d’ailleurs répondu : « Les résultats qui en ont découlé en sont l’illustration. » Il parle ici des fameuses contreparties d’État.

Car c’est un fait, une « Vérité » même : entre 2005 et 2011, la France de Nicolas Sarkozy a outrageusement favorisé les intérêts du régime libyen. Comme on l’a déjà vu, il y a eu les tentatives de blanchiment judiciaire d’Abdallah Senoussi et la vente de matériel d’espionnage à la dictature libyenne. On peut ajouter au moins trois autres contreparties possibles.

1) La visite. La première envisagée est aussi la plus visible. Il s’agit de l’invitation en grande pompe, à Paris, en décembre 2007, de Mouammar Kadhafi, à qui la France a déroulé le tapis rouge comme aucune autre démocratie ne l’avait fait à cette date-là. Une immense victoire pour Kadhafi, qui se voyait ainsi légitimé aux yeux du monde entier par le pays de la Déclaration des droits de l’homme. Rien ne fut refusé au tyran pendant ses six jours de visite, ni la tente bédouine plantée dans les jardins de la République ni la visite privée du château de Versailles.

Kadhafi devant le tableau «Louis XIV» du peintre Hyacinthe
Rigaud (1701), à Versailles, en décembre 2007. © Reuters
Kadhafi devant le tableau «Louis XIV» du peintre Hyacinthe Rigaud (1701), à Versailles, en décembre 2007. © Reuters

La réception de Kadhafi, jadis considéré comme l’un des principaux soutiens et architectes du terrorisme anti-occidental, avait suscité beaucoup d’indignation à gauche et des silences gênés dans les rangs de la majorité de l’époque.

Nicolas Sarkozy, qui parle aujourd’hui de Kadhafi comme d’un « dictateur infâme »pour tenter d’éloigner le soupçon d’un financement illégal, balayait d’un revers de la main les arguments de ceux qui s’indignaient des égards de la France pour l’homme fort de Tripoli. Au lendemain de l’arrivée de Kadhafi en France, le 8 décembre 2007, Nicolas Sarkozy déclarait au sujet du tyran : « Il a sa personnalité, son tempérament. Ce n’est pas moi qui vais les juger. »

Une semaine plus tard, à la fin de la visite tant controversée, le chef de l’État n’en démordait pas et moquait ses adversaires : « C’est bien beau les leçons de droits de l’homme et les postures », disait-il.

2) Des armes. Sous la présidence de Nicolas Sarkozy, pour bon nombre d’industriels français, la Libye de Kadhafi n’était pas une dictature, mais un client potentiel.

L’ancien vice-président d’EADS et grand connaisseur de la Libye, Philippe Bohn, a décrit dans un ouvrage paru l’an dernier, Profession : agent d’influence (Plon), une anecdote qui, à elle seule, en dit long sur les courbettes de l’Élysée pour satisfaire les moindres besoins du régime Kadhafi en 2007.

La scène a lieu en décembre 2007, trois jours avant l’arrivée de Kadhafi en France. Philippe Bohn, alors en poste à EADS, est à Paris avec l’un des fils du Guide, Saadi, responsable des forces spéciales et autorisé à parler ventes d’armes au nom de son père.

Il rapporte : « Presque secrètement, je suis chargé de convoyer Saadi Kadhafi à l’Élysée, le vendredi 7 décembre à 20 heures, dans le bureau du secrétaire général Claude Guéant […]. Dans le bureau de Guéant, nous ne sommes que quatre à avoir pris place autour d’une table : Saadi Kadhafi, émissaire mandaté par son père, l’amiral Édouard Guillaud, chef d’état-major particulier du président de la République, le secrétaire général de l’Élysée et moi-même. Ambiance studieuse. Avec Saadi, nous allons, dans un saisissant dialogue, finaliser la shopping list du Guide pour sa visite officielle. Guéant attaque en se tournant vers moi :
– Alors, Philippe, on commence par quoi ?
– Peut-être les Rafale 
[avions de guerre – ndlr], M. le secrétaire général.
– Ah, c’est généreux de votre part, ce n’est pas votre maison 
[les Rafale sont fabriqués par Dassault – ndlr]. Bon, alors, on en met combien ?
Je me tourne vers Saadi qui intervient. Guéant reprend, en s’adressant à Édouard Guillaud :
– Très bien, amiral. Vous notez, 14 Rafale, et maintenant ?
J’annonce :
– Les hélicoptères Tigre.
Guéant à nouveau :
– Là, c’est chez vous. Cher Saadi, quels seraient vos besoins ? »

Aucun des marchés évoqués ce jour-là ne sera finalement conclu. La guerre, engagée dans de troubles conditions trois ans plus tard, a en effet mis un terme aux négociations. Mais cela n’a pas été le cas pour tous les contrats d’armement.

En perquisitionnant au siège d’EADS, les enquêteurs ont mis la main sur des documents confirmant la vente en 2007 par la filiale MBDA de missiles Milan antichars pour un montant total de 168 millions d’euros. Le matériel a été livré à la Libye entre 2008 et 2010, selon diverses sources.

3) Le nucléaire. C’était une obsession de l’Élysée : vendre du nucléaire à Kadhafi. En 2012, Nicolas Sarkozy l’a démenti, mais plusieurs documents démontrent le contraire. Dès la première conversation téléphonique officielle entre Sarkozy élu et Kadhafi, le 28 mai 2007, le président français déclarait ainsi au Guide libyen : « Je souhaite donner une nouvelle dimension à nos relations bilatérales, par exemple par rapport à l’énergie nucléaire, et, si vous acceptez, je suis prêt à envoyer une mission d’exploration pour étudier ce sujet… »

Un courrier à en-tête de la présidence de la République, adressé le 20 juillet 2007 par Claude Guéant à Kadhafi et retrouvé dans l’ordinateur de Ziad Takieddine, prouve l’étendue de la coopération franco-libyenne. « Je souhaite vous confirmer que la France attache une importance primordiale au développement d’un partenariat privilégié avec votre pays », écrit ainsi le numéro 2 de l’Élysée. Qui propose un renforcement de la coopération bilatérale dans trois domaines : le « développement technologique », la « défense » et… le « nucléaire civil ».

Anne Lauvergeon, ex-PDG d'Areva, a dû quitter la tête du
groupe nucléaire en juin 2011. © Reuters
Anne Lauvergeon, ex-PDG d’Areva, a dû quitter la tête du groupe nucléaire en juin 2011. © Reuters

Cinq jours plus tard, le 25 juillet, la France et la Libye signaient un mémorandum de coopération nucléaire, dont l’article 3 visait à la réalisation « de projets de production d’énergie nucléaire et de dessalement de l’eau ainsi que d’autres projets de développement liés à l’utilisation pacifique de l’énergie atomique ».

En 2012, l’ancienne patronne d’Areva, Anne Lauvergeon, a quant à elle raconté dans un livre, La Femme qui résiste (Plon), que cette décision de l’Élysée de vendre du nucléaire à la dictature libyenne s’était faite contre les recommandations d’Areva. Anne Lauvergeon parlera même de « pressions » de la présidence. « La France et la Libye de Mouammar Kadhafi ont signé à l’été 2007 un accord de coopération nucléaire après la libération des infirmières bulgares. Tout de suite, les pressions de l’Élysée commencèrent pour vendre des centrales nucléaires au dictateur libyen », écrit Anne Lauvergeon.

Elle poursuit : « Était-ce raisonnable ? Non. Clairement non. Pourquoi ? Qui dit réacteur nucléaire dit Autorité de sûreté nucléaire. Ce gendarme doit pouvoir, si la sûreté est en cause, ordonner l’arrêt de la centrale. Avec un dictateur tel que Kadhafi, on peut parier que le patron de l’autorité de sûreté, dans le meilleur des cas, part en prison. Dans le pire, on peut craindre qu’il ne soit exécuté. Ce n’est donc pas responsable de vendre une centrale dans de telles conditions. Le nucléaire, ce n’est pas anodin. On ne peut pas vendre n’importe quoi à n’importe qui. »

Entendue par les juges en 2018, Anne Lauvergeon a confirmé son réquisitoire et indiqué que le géant du nucléaire français n’avait « pas été associé » à l’accord de coopération signé avec Tripoli en 2007. Un accord « atypique » voulu par l’Élysée, a-t-elle dénoncé.

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