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24 avril 2024

G7 et anti-G7 à Biarritz: deux mondes sous très haute surveillance


Médiapart

 

 PAR ELISA PERRIGUEUR ET MATTHIEU SUC

La 45e édition du sommet du G7 se tiendra du 24 au 26 août à Biarritz. Le contre-sommet altermondialiste pacifique se tiendra dans les communes de Hendaye, Urrugne et Irún, en Espagne. Des renforts exceptionnels ont été déployés pour ces rendez-vous par les autorités, qui redoutent des débordements.

 

 

Il y aura deux mondes et deux visions du monde sur les rivages nord de la côte basque la semaine du 19 août. Dans le premier : le G7, ses hommes d’État, ses délégations, réunis pour une 45e édition dans une zone ultra-sécurisée de Biarritz du 24 au 26 août. Sur le site internet du « groupe des 7 » – qui réunit le Japon, les États-Unis, l’Allemagne, l’Italie, la France, le Canada et le Royaume-Uni –, on peut voir Emmanuel Macron, tout sourire et cheveux au vent, et ce titre annonçant le thème principal : « Un sommet contre les inégalités ».

Dans le deuxième univers, les organisateurs du contre-sommet corollaire : l’anti-G7, à l’initiative de quelque 80 organisations rassemblées au sein de groupes d’opposants, l’un local, G7 EZ ! – « NON au G7 ! » en basque – et l’autre national, Alternatives G7. Ce sommet se tiendra à Hendaye, Urrugne et Irún, en Espagne, à 30 kilomètres des hôtels chics de Biarritz, du 19 au 26 août. La réduction des inégalités comme thème principal du G7 ? Une « provocation » des « 7 pyromanes du G7 » au vu du contexte mondial, rétorquent les organisateurs pacifiques de l’anti-G7. En réponse, ils veulent alerter sur cette « opération de communication de l’oligarchie mondiale », dénoncer le « capitalisme sauvage ».

L’objectif du président Macron sera surtout de sécuriser le premier monde. Le dispositif sera « extrêmement lourd » et « inédit », clamait-il lors d’une visite préparatoire en mai à Biarritz. La sécurité, selon lui, est « un enjeu majeur pour la réussite de l’événement ». Des mesures exceptionnelles sont mises en place. Les gares de Bayonne, Guéthary, Boucau, Biarritz et Hendaye (Deux-Jumeaux) seront fermées au public du 23 au 26 août. Trois matchs de Ligue 1 de football ont été reportés afin de mobiliser les effectifs. Leur nombre officiel n’est pas communiqué. Plusieurs élus locaux évoquent 5 000 à 10 000 membres des forces de l’ordre pour le Pays basque. Quelque 1 000 policiers espagnols également devraient se ranger de l’autre côté, le long de la frontière. Celle-ci restera ouverte, mais les contrôles seront renforcés.

Biarritz, en avril 2018. © REUTERS
Biarritz, en avril 2018. © REUTERS

À ces effectifs s’ajoutent les protections rapprochées des chefs d’État. Les agents de la CIA sont déjà là pour Trump. Des militaires français ont aussi commencé à se positionner dans les montagnes basques.

La traduction d’une fébrilité certaine, comme nous l’ont confié des sources dans divers services de renseignement, à l’approche du sommet. « Le choix du lieu et du moment est catastrophique, déplore un gradé. On se retrouve à Biarritz, qui est une cuvette, avec, en plus de la ville, la mer à surveiller et ce, en pleines vacances, avec une affluence de touristes. C’est du pain béni pour d’éventuels black blocs… »

Il s’agit de surtout de sécuriser la fameuse « zone rouge », qui s’étire le long de la côte biarrote et où l’élite mondiale se rencontrera au casino, au centre de congrès de Bellevue, à la grande plage, dans les grands hôtels. Quelque 5 000 visiteurs sont attendus pour ce sommet, dans ce secteur dit de « protection renforcée » ultra-restreint. La circulation et le stationnement y sont interdits. Les personnes étrangères aux délégations officielles ou les non-résidents ne seront pas autorisés à y pénétrer.

Carte de la zone rouge prévue pour le G7 à Biarritz. © Ville de Biarritz
Carte de la zone rouge prévue pour le G7 à Biarritz. © Ville de Biarritz

Les  riverains seront contraints de se déplacer à pied sur présentation d’un badge, distribué par la préfecture, ainsi que d’une pièce d’identité. Les déchets ne seront pas ramassés du 23 au 26 août. Pour cela, les résidents devront se rendre dans le second périmètre voisin, toujours dans Biarritz, la « zone bleue », dite « de protection », à l’accès lui aussi restreint mais où la circulation reste autorisée.Un dispositif hors norme qu’assume le maire MoDem de la ville, Michel Veunac, à la tête d’une majorité municipale éclatée. Une opposition au G7 à Biarritz s’était pourtant matérialisée très tôt avec la plateforme « G7 EZ ! », créée en novembre et constituée de près de 50 partis, syndicats et divers collectifs regroupant la sphère nationaliste basque mais aussi des personnalités de la gauche locale et du monde altermondialiste.

Dès février, cinq représentants de G7 EZ !, dont une élue Front de gauche ainsi qu’une militante La France insoumise, avaient rencontré l’édile MoDem afin de lui réclamer l’annulation du sommet, qualifié de « petite sauterie ». Ils l’avaient interpellé sur son « inutilité »« les mesures sécuritaires envisagées et les prétendues retombées économiques locales ». En vain. Face à la fronde locale, Michel Veunac se justifiait encore le 29 juillet dans les colonnes de L’Opinion« Je ne connais pas un maire qui aurait refusé cette offre ! […] Moi j’ai fait le pari de l’ouverture et de la renommée mondiale ».

De quoi provoquer l’ire des politiques locaux, qui dénoncent une « bunkerisation » de la commune balnéaire de 25 000 habitants, qui passe généralement à plus de 100 000 résidents en période estivale. Le commerce local dépend de la réussite de cette saison. Or, « l’organisation du G7 au mois d’août a découragé un certain nombre de vacanciers de venir, d’où une baisse de fréquentation et donc de chiffre d’affaires en amont du sommet. Les contraintes lourdes dues à la mise en place du dispositif de sécurité vont plomber l’activité des acteurs », dénonce François Amigorena, ancien adjoint, devenu opposant à Michel Veunac. Il s’insurge par ailleurs comme d’autres élus de « n’être informé de rien autour de ce sommet ». 

Max Brisson, sénateur LR, temporise : « Les élus locaux n’ont pas à être informés, le G7 est une affaire d’État. Ici, ce qui se décide, c’est la gouvernance du monde. Les problèmes de containers ou autres sont dérisoires. » Pour Nathalie Motsch, ex-adjointe de Michel Veunac et conseillère municipale, ce manque d’informations excède les élus, mais surtout les riverains. « La population aurait pu accepter un niveau de contrainte à la hauteur de l’événement, dit-elle. Ce qui est lourdement vécu, c’est l’absence totale de proximité et d’information de la part de la mairie tout au long de ces derniers mois. Les Biarrots découvrent chaque jour, par la presse essentiellement, de nouvelles restrictions… ».

En dehors du secteur sécurisé biarrot, en forme de demi-lune ouverte sur l’Atlantique, d’autres communes, comme Bayonne, sont elles aussi soumises à des mesures d’exception. « Du 19 août au 26 août, dans le périmètre [restreint – ndlr] du quartier des Arènes, il nous faudra présenter une pièce d’identité et qu’un justificatif de domicile ou un certificat d’employeur. Cela pose un problème pour mes clients qui veulent venir me voir en toute discrétion », résume l’avocate Colette Capdevielle, ancienne députée socialiste et conseillère municipale de Bayonne.

C’est ici que se situe le tribunal de grande instance. Lui aussi est transformé en place forte à l’occasion du G7. Des algécos sont disposés près du bâtiment. Ils serviront à héberger des personnes avant leur comparution éventuelle, confirme le procureur de la République de Bayonne, Samuel Vuelta-Simon.

Celui-ci précise aussi que le Centre de rétention administrative (CRA) d’Hendaye a été vidé de ses occupants pour servir aux gardés à vue. Autour de celui-ci, un périmètre de sécurité avec contrôles d’identité a également été délimité. Selon la municipalité, la dizaine de jeune résidents du centre éducatif fermé (CEF) ont été éloignés mais les bâtiments devraient rester vides. Trente fonctionnaires de justice seront envoyés à Bayonne, dont une dizaine de procureurs venant de Pau, Mont-de-Marsan, etc. Comme le révélait France Bleu Pays basque, jusqu’à 75 avocats du barreau de Bayonne participeront à une permanence pénale 24 heures sur 24, du 19 août au 1erseptembre.

« Nous serons jusqu’à 75 durant les jours les plus intenses et 54 après le sommet, contre 8 à 10 avocats en temps normal, précise Me Emmanuel Zapirain, qui fait partie des permanents. Nous avons projeté 50 à 100 interpellations par jour (en sachant que toutes les arrestations et gardes à vue ne mènent pas à une comparution immédiate), des estimations effectuées en fonction de ce que nous voyons lors des manifestations de “gilets jaunes”, des rassemblements, etc. C’est une expérience inédite à Bayonne. Il devrait y avoir un dispositif similaire mais moindre à Dax et à Pau. Cela implique d’alléger nos activités et de nous rendre disponible. » En face du tribunal, la maison de l’avocat, un bâtiment des années 1930, a été réquisitionnée pour l’occasion. Les avocats pourront y dormir. Au cas où.

Ces derniers mois, une divergence sur les modes d’action est apparue entre les militants politiques et associatifs d’une part et les militants les plus radicaux d’autre part qui souhaitent se mobiliser contre le G7. Les premiers rejettent la violence et prônent le déroulement d’un contre-sommet pacifique, comme ils viennent de le rappeler à l’occasion d’une conférence de presse, le 12 août.« Nous sommes dans un contexte de répression policière, qui nous incite à ne pas baisser la tête. Nous nous sommes beaucoup plus impliqués pour organiser ce sommet qu’à Deauville [le précédent sommet du G7 en France en 2011 – ndlr] et nos actions seront pacifiques. Nous ne dégraderons rien, nous ne participerons pas à la surenchère », précise à Mediapart Aurélie Trouvé, porte-parole d’Attac et de la plateforme Alternative G7.

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