Au port d’Hendaye, le 22 août 2019. © EP
Les centaines de « protestataires » sont là, des jeunes adultes ou plus âgés, parfois des enfants détendus sur les pelouses ou tables en bois, entre deux airs de musique basque, deux bouchées de riz ou deux gorgées de bière. Evane, piercing fluo au menton, lunettes aux reflets bleus et style vestimentaire gothique, est venue de Bordeaux, « pour faire la fête à Macron ».
Galilée, étudiant parisien de 18 ans chevelu, a écrit son propre slogan sur son gilet jaune, « jeune et insouciant, mais pas jeune con ». Il en est sûr : son « déguisement de scout – spécialement confectionné pour venir à Hendaye – lui a évité les contrôles policiers à bord du train ». Du haut de sa villa ornée de palmiers, un propriétaire en chemise blanche surplombe tout ce petit monde. Celui de l’anti-G7 qui a investi la ville d’Hendaye, encadré par des centaines de forces de l’ordre en alerte au moindre de ses mouvements. Ce jeudi midi, tous ces manifestants sont venus en groupe, d’un seul bloc. Le mouvement de foule dans une ville figée a suscité l’affolement des policiers.
Ils sont pour l’heure 2 000 participants venus de France et d’Europe, d’après les organisateurs. Disséminés dans les différents points de rencontre du contre-sommet altermondialiste, ils veulent réagir au G7 de Biarritz, qui réunira samedi 24 et dimanche 25 août l’élite planétaire « capitaliste et pyromane », disent-ils. L’anti-G7 est l’initiative de 80 associations réunies au sein de deux plateformes : l’Alternative G7, nationale, qui réunit des associations comme Attac, CADTM, Oxfam, CRID, etc., et G7 EZ, qui rassemble des acteurs locaux, à l’image de LAB (un syndicat), Eh Bai (une coalition politique), Bizi (une association écologiste)… Soit, au total, une cinquantaine d’organisations basques.À la tombée de la nuit, les participants altermondialistes se réunissent aux AG pour préparer les manifs de samedi et dimanche, « temps forts de désobéissance civile », clame-t-on ici. Dans la journée, écrasés sous la chaleur, ils déambulent dans les artères de Hendaye et Irun pour rejoindre les stands, les ateliers et les conférences mises en place par les organisateurs. Des dizaines de thèmes : « Ripostons à l’autoritarisme international », « Échanges entre les nations sans États », « Comprendre les luttes kurdes », côté français et espagnol.
Là-bas aussi, on repère partout les policiers voisins, juste après le pont frontalier qui surplombe la Bidassoa. Mêlés aux quelques touristes encore présents qui remplissent des valises de charcuteries, de cava, de cigarettes achetées dans les distributeurs aux airs de machines à sous, des centaines de forces espagnoles et de la « ertzaintza » (la police du gouvernement basque) guettent les manifestants aux airs de festivaliers, identifiables à leurs bracelets G7 EZ, qui signifie « non » au G7 en basque, et leurs gobelets plastique à l’inscription « Kalera » (« dans la rue »).
Car en terre basque, les organisateurs ont eu beau traduire tous les programmes en français, espagnol, euskara, c’est sans nul doute la dernière langue qui domine. Les banderoles flottent, beaucoup de visiteurs n’y comprennent rien : « Atltsasukoak askatu » (pour la libération de jeunes du village d’Altsasu en Navarre) ; « 2019, Kapitalismaoren Jukutriak » (« 2019, arrachage du capitalisme »). « Ce sommet est clairement l’initiative des Basques, ils se sont d’abord rassemblés entre eux en 2018 dans le G7 EZ. Ils sont majoritaires dans l’encadrement. Alors que l’État nous a donné les terrains au tout dernier moment pour les conférences et le logement, ce sont eux qui ont pris la main sur la communication, la logistique, etc. », raconte Sébastien Bailleul, de la plateforme Alternative G7, qui s’est alliée aux Basques en 2019.
Les organisateurs affichent cette hétérogénéité : « Nous assumons de n’être pas toujours d’accord. Mais nous sommes fiers d’être d’accord sur l’essentiel. »
« Ils ont choisi Hendaye et Irun parce que c’était symbolique. » Soit à cheval sur la frontière franco-espagnole, qui n’en est pas une pour les indépendantistes qui rêvent d’un Pays basque uni, de trois millions d’habitants et sept provinces sur les deux pays. Les « Abertzale », comme on dit ici, soit « ceux qui aiment la patrie » basque. « La forteidentité du Pays basque était une particularité qu’il a fallu prendre en compte dans l’organisation. C’est anecdotique, mais il a fallu s’adapter, par exemple sur le vocabulaire », ajoute Sébastien Bailleul. Dans les couloirs du Ficoba, centre de conférences de béton tout en longueur à Irun, on ne dit plus « Pays basque français ou espagnol », mais « Pays basque nord ou sud ». On ne parle plus de « plateforme nationale » mais hexagonale pour mentionner la plateforme Alternative G7.
« Les Basques se désignent comme une plateforme nationale », résume Unai Arkauz Hiriart, membre de Aitzina, mouvement de la jeunesse basque créé en 2013, participant au contre-sommet. Le jeune Basque est plein de fierté quand il évoque sa région. Vingt-cinq ans à peine et il en connaît les luttes passées que les anciens et les livres lui ont contées, les séquelles de ce territoire basque endeuillé par les 829 victimes mortelles du groupe armé ETA, les centaines de blessés, les 4 114 cas de torture et les dizaines de personnes tuées par les groupes paramilitaires.
Depuis l’adieu aux armes en 2018, annoncé par l’ETA, le jeune se sent investi d’une « lutte sans violence », comme d’autres de sa génération, pour l’indépendance. Pour lui, le G7 à Biarritz représente « un affront auquel il faut répondre. Ils représentent l’ultra capitalisme, tout ce qu’on essaye de déconstruire ici ».
À la genèse de la plateforme G7 EZ, en 2018, ils n’étaient qu’une poignée, du Pays basque français, raconte-t-il. Puis, ils ont franchi la frontière terrestre. Côté espagnol, les soutiens de poids sont vite venus. « Avant il y avait une frontière physique mais aussi mentale, des problèmes parfois pour accorder nos violons entre Basques du nord et du sud. Mais là c’était inédit », s’emballe Unai. « Jamais nous n’avions créé une telle plateforme avec des groupes si différents, nous avons fait des réunions pendant un an en trois langues. Cela nous a, contre toute attente, rassemblés », dit-il les yeux brillants, sous l’ombre de sa casquette noire.