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18 novembre 2024

Pourquoi la Russie ne soutiendra jamais le régime algérien comme la Syrie


Publié par Gilles Munier sur 25 Octobre 2019,

Catégories : #Algérie, #Hirah

Par Abdou Semmar (revue de presse : Algérie Part – 23/10/19)*

C’est un vieux cliché qui est bien enraciné dans les mentalités : l’Algérie est un allié traditionnel pour la Russie et le régime de Poutine soutiendra jusqu’au bout le régime algérien. Il s’avère que ce cliché n’a aucun fondement dans la réalité politique car pour la Russie, l’Algérie n’est guère un allié aussi stratégique qu’on le pense. Bien au contraire, il ne représente pas plus qu’un bon client pour l’industrie de l’armement russe. Mais sur le plan politique, la Russie a de nombreux reproches à faire à l’Algérie et ce dans plusieurs dossiers stratégiques. 

D’abord, la Russie n’a jamais apprécié particulièrement Abdelaziz Bouteflika et le régime qu’il avait façonné en Algérie durant ces 20 dernières années. “Pour Moscou, Bouteflika est un pro-occidental. Un beau-parleur qui faisait de nombreuses promesses, mais tient rarement sa parole”, témoigne à Algérie Part un ancien militaire et diplomate algérien qui a longtemps travaillé à Moscou au sein de la représentation diplomatique algérienne. “Oui, l’Algérie achète beaucoup d’armes aux russes, mais elle a toujours bloqué les compagnies pétrolières russes qui voulaient pénétrer le marché algérien. Gazprom, le géant russe, n’a jamais été reçu par un officiel de haut rang en Algérie. Une fois Chakib Khelil avait même prétexté un voyage à l’étranger pour ne pas recevoir une délégation de Gazprom qui demandait à le rencontrer. Cette attitude avait scandalisé les russes”, confie notre source qui demeure jusqu’à aujourd’hui bien introduite dans les arcanes secrètes de la coopération algéro-russe.

“Pour les russes, le signal était clair : l’Algérie réservait tous ses hydrocarbures aux français et américains. Il n’était pas question de changer ce principe. Et Poutine en personne n’avait jamais apprécié le double-discours algérien : d’un côté, on prétend aimer la Russie, de l’autre côté on offre tout aux occidentaux”, indique encore notre source qui nous raconte un épisode particulièrement compliqué dans l’histoire des relations algéro-russes. Un épisode qui concerne la fameuse dette russe.

En mars 2006, Vladimir Poutine s’est rendu à Alger pour boucler les négociations sur le remboursement par l’Algérie de sa dette envers la Russie. Un sujet épineux et ô combien complexe. Les négociations furent dures et compliquées même si en marge de la visite de Poutine à Alger à cette époque, le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov et son homologue algérien Mohammed Bedjaoui avaient signé un accord sur le règlement de la dette militaire contractée par l’Algérie dans les années 1960 et 1970 et estimée 4,7 milliards de dollars. Le montant de la dette effacée par la Russie représente environ 25% de la dette totale extérieure algérienne, qui se montait à 16 milliards de dollars au début de l’année 2006. La question de la dette était au cœur de la visite du chef d’Etat russe, à l’invitation du président Abdelaziz Bouteflika.

Une semaine auparavant, le ministre des Finances algérien et le gouverneur de la banque d’Algérie étaient à Moscou pour négocier cette dette militaire. Les discussions, qualifiées de « difficiles » par la presse russe, avaient achoppé sur le taux de change. Les Russes souhaitaient calculer la dette sur le rouble historique, les Algériens sur le rouble actuel, au plus bas (10 000 roubles pour 1 dollar). Du coup, aucun chiffre précis n’était avancé jusqu’ici, le montant étant compris entre 1 et 5 milliards de dollars. Il semblerait que, comme le souhaitaient les Russes dès le départ, la dette ait été effacée en échange de ventes d’armes. Le directeur général du constructeur aéronautique, Mig, Alexeï Fedorov, avait annoncé plus tard que les deux pays avaient signé des contrats de livraisons d’avions de combat, pour plus de 3,5 milliards de dollars.

“A l’époque, Poutine n’avait pas du tout apprécié la roublardise de Bouteflika. Les russes avaient senti que les Algériens voulaient les arnaquer sur l’histoire de la dette. Et l’incompréhension était difficilement surmontable. Au final, Poutine avait accepté un deal avec Bouteflika. Mais à ses proches conseillers, il n’avait pas caché sa déception vis-à-vis de ce pays que la Russie avait aidé à maintes reprises dans son histoire”, relate notre source qui continue de fréquenter jusqu’à maintenant les cercles politiques russes.

Mais aujourd’hui Bouteflika a été chassé du pouvoir. La Russie va donc pactiser avec l’actuel régime militaire qui le remplace ? Non, loin s’en faut. Et pour cause, Moscou est au courant de toutes les évolutions de la situation politique en Algérie. “Les services russes sont très puissants et connaissent tous les militaires algériens qui sont au pouvoir aujourd’hui. La majorité écrasante de nos généraux ont été formés dans les académies russes. Moscou connait parfaitement leur profil, leurs forces et leurs faiblesses. Mais la Russie n’a pas oublié que c’est l’armée algérienne qui avait placé Abdelaziz Bouteflika au pouvoir. Et les dirigeants russes savent très bien que les généraux algériens ne sont guère semblables aux dirigeants syriens ou iraniens : ils ont une peur bleue de l’Occident”, décrypte toujours notre source d’après laquelle la Russie considère encore officiellement l’institution militaire algérienne comme trop “malléable” par l’Occident. En témoigne, la proximité troublante avec le haut commandement militaire de l’OTAN ou le Commandement des États-Unis pour l’Afrique (en anglais United States Africa Command ou AFRICOM).

Même en ce qui concerne les échanges avec les services secrets algériens, les russes ne font pas totalement confiance. “Le général Toufik était perçu lui-aussi comme un pro-occidental qui ouvrait toutes les portes à la CIA et la DGSE. Ceux qui l’ont remplacés depuis 2015 à la tête du DRS n’ont pas changé les dogmes du renseignement algérien : ils collaborent activement avec les services occidentaux. La Russie, en tant que grande puissance rivale de l’Occident, ne peut pas parier sur un régime qui fait preuve de tant de  duplicité”, nous assure notre source.

En guise de conclusion, l’Algérie est loin d’être le cheval de course sur lequel la Russie va parier tous ses sous pour s’imposer en Afrique du Nord. Face au Hirak, Poutine et ses conseillers préfèrent observer et patienter. D’ailleurs, contrairement à ce que laissent croire les mass médias, Moscou était la seule grande capitale qui avait refusé de cautionner le 5e mandat de Bouteflika, un projet soutenu au départ et porté par l’Armée algérienne, et ensuite la feuille de route proposée ensuite pour prolonger le règne de Bouteflika lorsque les élections présidentielles d’avril 2019 ont été annulées.

“Lorsque Ramtane Lamamra était venu le 19 mars à Moscou pour vendre la feuille de route du régime Bouteflika, Serguei Lavrov, les deux hommes se connaissent et sont amis, n’avait pas caché son étonnement dans les coulisses. Il avait expliqué à Lamamra qu’un homme comme lui devrait penser à succéder à un Abdelaziz Bouteflika malade et impuissant au lieu de fournir des efforts pour maintenir en vie un président politiquement mort. Dans l’embarras, Lamamra n’avait pas trouvé de réponse convaincante à fournir à son homologue russe. Quelques semaines plus tard, lorsque l’armée algérienne dégagera Abdelaziz Bouteflika, Moscou apprendra que Lamamra était pressenti dés le départ pour se présenter aux élections présidentielles d’avril 2019. Mais c’est l’Etat-Major de l’armée algérienne qui avait refusé de valider cette option. Du côté russe, la déception fut encore une fois grande”, raconte enfin notre source diplomatique qui continue de travailler dans les réseaux clandestins et parallèles proches du Kremlin pour tenter d’effacer cette déception afin de revitaliser les relations algéro-russes.

*Source : Algerie Part

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