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25 avril 2024

Armistice II/V – Viva Caporetto !


Les Grosses Orchades

 

 

 

 

 

 

 

ARMISTICE

« 11 novembre 1918 »

La mère de tous les leurres

II/V.

 

Théroigne11.11.2019

 

 

« Ce jour-là je sentis obscurément que ma génération avait perdu la guerre »

 

 

 

 

 

C’était le 1er mai 1919. Curzio Malaparte, lui-même invalide de guerre à vingt ans, était présent à Paris, où se déroulait une manifestation de protestation (contre la vie chère) des anciens combattants et des blessés de la guerre. Il les a vus, place de la Concorde « matraqués et chassés à coups de pieds dans le cul » (par la police). « Cette immense, invincible armée de vétérans s’enfuit, se dispersa sur les pavés de l’immense place, où ne restèrent, tristes et lugubres, que bérets, béquilles et drapeaux. Ce jour-là, je sentis obscurément que ma génération avait perdu la guerre »

Ceux qui croient encore que la police des Castaner-Macron-Philippe a inventé quelque chose feraient bien de commencer par lire Mme Lacroix-Riz. Mais pour vraiment comprendre à quel point rien ne change ni ne changera tant qu’on se contentera de manifester, ils pourraient aussi lire Les Gaulois, d’Albert Grenier (par exemple les pages 155-160 de l’édition de poche Payot « Les gaulois chez eux »).

 

Les rescapés de la « Grande guerre ».

Si un bouc-émissaire pouvait avoir deux têtes, il aurait celles de Malaparte et de Céline, l’une tournée vers la foi et la combativité, l’autre vers l’enfer et le nihilisme. Il est impossible, cependant, d’évoquer, ensemble, sur un simple blog et dans le cadre d’un seul post, deux des plus grands et des plus vilipendés écrivains du XXe siècle.

Nous évoquerons donc aujourd’hui, à propos de cet « Armistice », le seul Malaparte, pour diverses raisons dont l’une est qu’il a assisté à la signature du Traité de Versailles. Il s’imposait de le faire en rappelant sa toute première œuvre, écrite à chaud en novembre-décembre 1918 : quelque chose entre son Anabase et son Voyage au bout de la nuit.

 

 

Viva Caporetto !

 

 

Kurt Erich Suckert, enfant surdoué d’un immigré allemand et d’une Italienne, est né en 1898 à Prato, ville vouée à l’industrie de la laine. Il fait ses études secondaires au fameux collège Cicognini de cette ville, sur les bancs mêmes où s’est assis avant lui Gabriele d’Annunzio, un des « grands hommes » de l’Italie à l’époque, dont l’audace militaire, le talent littéraire et les excentricités défraient la chronique en ce début de XXe siècle.

Comme à tous les petits mâles de sa génération – à la notable exception d’Henri Guillemin né en 1903 – on lui a inoculé au berceau le culte de l’empereur, avec la passion de la bravoure et de l’héroïsme guerrier. Sa fréquentation boulimique des auteurs classiques, grecs et latins, ne fera rien pour atténuer la tendance. Comme un très grand nombre d’autres, il se lancera avec enthousiasme – « l’abject enthousiasme » disait le XVIIIe siècle – dans ce que Louis-Ferdinand Destouches, pas encore Céline, qui l’a précédé de deux ans, appellera « un abattoir international en folie ».

Depuis ses quatorze ans, le jeune Kurt milite activement au Parti Républicain de Prato – l’Italie est une monarchie – comme secrétaire de sa section « jeunes ». Ils sont 24 en tout.

En août 1914 – il vient juste d’avoir 16 ans – Kurt Suckert, qui désapprouve fortement la neutralité de son pays, décide de s’engager aux côtés de la France. Certains de ses professeurs, au lieu de le dissuader, l’aideront au contraire à falsifier ses papiers d’identité pour se vieillir et à réunir le prix de son voyage en train. Il fait le mur, passe la frontière à pied à Vintimille et rejoint, en Avignon, la troupe levée par Giuseppe « Peppino » Garibaldi (petit-fils de l’autre) qui s’est déjà illustré aux côtés des Grecs soulevés contre l’Empire Ottoman et est entré dans Mexico avec Pancho Villa.

 

 

 

 

Kurt Suckert à seize ans, en uniforme (chemise rouge) de la légion garibaldienne

 

 

 

Sa première caserne sera le Palais des Papes.

Les jeunes (toute sa section de Prato l’a rejoint) n’ont guère eu le temps de se battre mais plutôt celui de s’entraîner, quand la légion garibaldienne est dissoute : l’Italie vient d’entrer en guerre aux côtés des alliés.

Ils ont décidé de se rejoindre au sein de leur armée nationale, et Suckert profite de la brève parenthèse pour passer son bac. Ils se rejoindront effectivement, feront toute la guerre ensemble et verront tomber une à une, en même temps que des centaines de milliers de leurs camarades, toutes leurs illusions.

Inutile de rappeler ici le parcours héroïque – sainte Testostérone priez pour nous – de Kurt Erich Suckert. Cette guerre sera à tel point LA grande affaire de sa vie que Pierre Assouline a pu écrire, presque sans exagérer : « Malaparte : né en 1914, mort en 1918 ». Ce qui nous intéresse ici, c’est 1918 et son fameux armistice. Kurt, dit Curtino, termine la guerre avec le grade de lieutenant d’ordonnance du général Albricci, qui commande alors le IIe Corps d’armée italien. Il est envoyé en stationnement dans l’Ardenne belge, à Saint-Hubert [où il n’assistera donc pas à la traditionnelle bénédiction des chiens, puisqu’elle a lieu le jour de la fête du saint, le 3 novembre]. Il s’y jette avidement sur tous les livres qu’on veut bien lui prêter, au sujet desquels il prend des notes et dont il conserve soigneusement la liste (voir la note *** de l’essai Martinelli ci-dessous). Il y rédige aussi, sur ordre du général Albricci, un rapport officiel sur la dernière campagne de France de la IIe Armée.

Or, c’est cette IIe Armée qui, en 1917, a subi, à Caporetto, la plus grande défaite militaire italienne depuis que ce pays existe, lorsque les troupes austro-hongroises ont violemment percé ses lignes, défendues par des fantassins mal armés, mal nourris (affamés), aveuglément massacrées depuis deux ans, non tant par l’ennemi que par leur propres chefs, qui allient une incompétence crasse à une féroce incurie. L’irresponsabilité des autorités italiennes, militaires et civiles, n’est pas la seule. Ce sera la pire. Et ce qui va se produire sous peu en Russie se produit alors dans les Alpes : la défaite se transforme en déroute et la déroute en mutinerie de masse. Le ras-le-bol de l’infanterie martyre lâchée dans la plaine vénète ne connaît plus de bornes, les pillages et les viols s’ajoutant au meurtre des chefs qu’on expédie quand ils ont le malheur de vous tomber dans les mains.

De ce traumatisme collectif, l’Italie ne s’est jamais remise. Les populations auxquelles « on » avait seriné sans relâche la fable des soldats de légende, montant au front la fleur au fusil et le patriotisme en sautoir, ne faisant en se jouant qu’une pâtées d’ennemis forcément coupables et inférieurs, prennent de plein fouet dans la figure cette avalanche de bêtes sauvages, rendues folles par les horreurs vécues et l’injustice des sanglantes brimades subies depuis deux ans. Et que font les Hauts Commandements ? Que font les autorités politiques ? Que fait la presse-déjà-tituée » ? Ils mettent la défaite, la déroute et leurs conséquences sur le dos de leurs victimes : tout est de la faute de l’infanterie : lâche, défaitiste, planquée et on en passe.

Suckert et la IVe Armée dont il fait partie – « j’ai eu l’honneur de porter pendant toute la retraite le drapeau de mon régiment » – sont alors envoyés dare-dare sur le front français pour tenter d’arrêter la marche sur Paris du général Ludendorff. C’est là – à Bligny, au Chemin des Dames et ailleurs – qu’ils vont vivre le dernier acte de leur enfer : l’extermination par les gaz, dont lui-même et son frère Alexandre, également rescapé, mourront avant l’âge. Mais c’est à Saint-Hubert, en Ardenne, que le lieutenant d’ordonnace Suckert, occupé à rédiger pour son général un rapport officiel (donc de propagande, ne concernant d’ailleurs que les accomplissements sur le front français) se met a écrire parallèlement d’un seul jet, avec désespoir, avec violence, avec horreur, indignation, répulsion, et comme on se noie, ce qui deviendra Viva Caporetto ! (avec un point d’exclamation d’abord), qu’il croit dû aux chèvres expiatoires (innocentes, ô combien) de la folie générale.

C’est son tout premier livre. Seul, quelqu’un de très jeune pouvait le faire ainsi (Céline ne publiera le Voyage au bout de la nuit qu’en 1932, à 38 ans). Véritable dépucelage littéraire. Au bordel (le plus grand du monde). Mais ce n’est pas seulement le premier livre de Malaparte, c’est aussi le meilleur. Il en publiera ensuite plus d’une vingtaine (sans compter les inédits) dont au moins deux chefs d’œuvre. Pourtant, celui-là restera son préféré, celui dont il sera toujours le plus fier.

Contentons-nous de dire que, son livre encore à l’état de manuscrit, l’auteur, qui n’a pas suivi son général rentré en Italie, choisissant de s’inscrire à un concours ouvert aux jeunes officiers désireux d’entrer dans la carrière diplomatique. D’abord déplacé à Landau, en Allemagne, il finit par atterrir à Varsovie, en Pologne., comme attaché militaire à l’ambassade d’Italie. C’est à Varsovie, en 1920, qu’il met la dernière main à son manuscrit, après avoir assisté à la défaite de Lev Trotski, à la tête de l’Armée Rouge, par le général Weygand. Et c’est en 1921, dès son retour à Prato, qu’il fait imprimer son livre à compte d’auteur.

Aussitôt sorti, Viva Caporetto ! est saisi par les autorités et détruit. Il le fait incontinent réimprimer à Rome, par un véritable éditeur cette fois. Republication également saisie et détruite Il le fait alors réimprimer une troisième fois – par le même éditeur – sous un autre titre : La révolte des saints maudits, assorti de plusieurs textes de présentation additionnels. Cette troisième version (deuxième édition) est également saisie, cette fois par le gouvernement de Mussolini, en dépit du fait que l’auteur soit entretemps devenu une des plumes du fascisme.

 

 

 

 

 

Le Pr. Luigi Martellini, éditeur d’Œuvres choisies de Malaparte pour la collection Méridien de Mondadori, a consacré, à l’histoire de ce livre, un important essai que nous reproduisons ici :

 

 

 

 

 

Curzio Malaparte :

 

La révolte des saints maudits

Luigi MARTELLINI

Università della Tuscia-Viterbo1

l.martellini@unitus.it

 

RÉSUMÉ

Cet article retrace la genèse historique, politique, idéologique et littéraire de La révolte des saints maudits, premier texte écrit par Kurt Erich Suckert (Curzio Malaparte) après la défaite italienne de Caporetto et publié en plusieurs éditions toutes saisies d’abord par Giolitti, puis par Nitti et Mussolini. La thèse de l’écrivain (engagé volontaire et invalide de guerre) est que Caporetto ne fut pas une défaite militaire mais une révolte des fantassins des tranchées, causée par le désespoir, la misère insupportable, l’indifférence de la classe dirigeante et du Haut Commandement, les massacres inutiles, la faim, la brutalité, la lutte d’une classe (qui n’avait pas voulu la guerre et qui la faisait) contre la classe dominante (celle des privilégiés qui l’avaient voulue et qui n’y prenaient pas une part active).

 

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URL de cet article : http://blog.lesgrossesorchadeslesamplesthalameges.fr/index.php/la-revolte-des-saints-maudits/

 

 

 

 

 

 

N’en déplaise au Pr. Martellini, dont ni la compétence no l’honnêteté ne sont en cause, il est impossible de se contenter de La révolte des saints maudits, comme de « la version ultime voulue par Malaparte », à l’exclusion de toute autre, précédente, qui serait à considérer comme nulle et non avenue puisque écartée par l’auteur lui-même.

Viva Caporetto (avec ou sans point d’exclamation) et La révolte des saints maudits sont deux livres différents, avec un noyau commun. Et les auteurs de ces deux livres ne sont pas les mêmes. Le jeune homme de 23 ans, qui a changé le titre du premier et l’a complété de textes nouveaux, n’était plus celui de 20 ans qui avait accouché en moins de six semaines d’un brûlot unique.  Celui de 23 ans était riche d’une autre expérience, d’autres lectures, d’autres rencontres, et il avait fait, entretemps, des choix qui n’étaient pas nécessairement ceux d’un homme plus éclairé.

Ce qui me paraît sûr, à moi, c’est que La révolte des saints maudits ne renie, ne corrige ni n’amende en rien le livre original. Les textes ajoutés ne l’ont pas été pour se mettre à l’abri ni pour contourner la censure, mais pour convaincre à tout prix, pour persuader que ce qui est dit dans le livre est la vérité. Malaparte n’a-t-il pas lui-même écrit, quarante ans plus tard : « dans ce livre, je suis tout entier, de la tête aux pieds, ce que j’étais alors et ce que je suis devenu ensuite, comme homme et comme écrivain »

C’est pourquoi je trouve que Les belles lettres ont eu raison de retenir, pour l’édition française, la toute première version accessible du texte (la première de Rome) et sous son titre d’origine : Viva Caporetto !  Avec le point d’exclamation.

Rien n’empêche d’autres éditeurs de publier aussi la version ultérieure, avec les changements qu’elle comporte (abondance de biens nuirait-elle ?). En juger autrement reviendrait à jeter aux oubliettes la première édition de Pantagruel, sous prétexte que Rabelais  – par souci esthétique ou pour éviter le bûcher – a modifié son texte pour les éditions ultérieures. À ce compte, il faudrait renoncer à jamais à la merveilleuse série d’invectives à la Sorbonne, autrement dit nous appauvrir considérablement. Qu’aux diables ne plaise !

Juste pour rire : imaginons Rabelais ou Malaparte très vieux, atteints de la maladie d’Alzheimer et révisant l’une ou l’autre de leurs œuvres…

 

 

 

 

 

 

Ce n’était pourtant pas la première fois

 

 

Le Caporetto de l’Antiquité

 

L’Étrusque absolu qu’a été Curzio Malaparte (bien plus encore que l’autre face de la médaille, Pier Paolo Pasolini) ne semble pas avoir vu (les autres non plus), dans l’événement qui l’a marqué à vie, la répétition un peu cafouilleuse du Caporetto de ses ancêtres toscans.

Pourtant, la chute de la Dodécapole – en autant de sièges successifs, au ± IVe siècle avant J.-C. et ensuite – n’a pas été une petite affaire sans conséquences, et pourrait même avoir été une grande première dans l’histoire des peuples.

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La descendance de Garibaldi en guerre

 

 

Garibaldi photographié par Nadar

 

 

On connaît ou on devrait connaître l’histoire du légendaire Giuseppe Garibaldi, héros du Risorgimento, père de l’unité italienne et « Héros des deux mondes ». On devrait d’autant plus la connaître qu’il est né à Nice et que Victor Hugo, Alexandre Dumas et Georges Sand, pour ne citer qu’eux, ne lui ont pas ménagé leur admiration. On ne connaît pas, ou alors beaucoup moins bien, celle de sa descendance.

Or, Garibaldi a eu trois femmes et plusieurs enfants.

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Quelques livres de et sur Malaparte…

…et quelques études en vrac (en italien et en français)

sur un événement qui a précédé de trois semaines ceux de Saint Petersbourg

 

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Éditeurs italiens et célébrations

 

 

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Armistice 11/11/1918

(la mère de tous les leurres)

 

Serbie : I/V  – À la guerre comme à la guerre – Gatalika

Italie-France II/V – Viva Caporetto ! – Malaparte

France – III/V – La bataille pour le Styx – Céline

Angleterre – IV/V – Àdieu à tout ça ! – Graves, Sassoon

D’ici et d’ailleurs – V/V – Quelques-uns des autres

 

 

 

 

 

En avant pour la prochaine :

 

 

L’art de la guerre

 

4 novembre, voir Naples et mourir

 

Manlio Dinucci – il manifesto – 4.11.2019

Traduction : Marie-Ange Patrizio

 

 

 

 

C’est Naples, et non pas Rome, qui le 4 novembre a été au centre de la Journée des Forces Armées. Sur le Front de mer Caracciolo ont défilé 5 bataillons.

 

Mais le point fort a été l’aire d’exposition inter-forces, qui a reçu pendant cinq jours Piazza del Plebiscito surtout des jeunes et des enfants. Ils ont pu monter à bord d’un chasseur bombardier, conduire un hélicoptère avec un simulateur de vol, admirer un drone Predator, entrer dans un char d’assaut, s’entraîner avec des instructeurs militaires, pour aller ensuite au port visiter un navire d’assaut amphibie et deux frégates (FREMM). Une grande « Foire de la guerre » montée dans un but précis : le recrutement.

 

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Forza Evo ! Sursum corda

 

 

 

 

Mis en ligne le 11 novembre 2019

 

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