Algérie-Libye : réunion du Conseil National de Sécurité
Par Nordine Grim (revue de presse : Algérie Eco– 28/12/19)*
Les informations en provenance de Libye doivent être suffisamment graves pour justifier une réunion du Conseil National de Sécurité qui se réuni pour la première fois après l’éclipse physique de l’ex président Bouteflika en 2012. Même si c’est l’état-major militaire qui prend l’initiative d’organiser cette réunion et d’en fixer l’ordre du jour, c’est toujours au chef de l’Etat que revient la prérogative de convoquer les membres du Conseil et d’en assurer la présidence. Dans le cas présent c’est Abdelmadjid Tebboune qui entame son mandat présidentiel par cette réunion d’une importance particulière.
Il faut dire que dans ce conflit qui oppose le gouvernement de Faiez Serraj, officiellement reconnu par l’Organisation des Nations Unies, au belliqueux du maréchal Haftar, qui gouverne de fait la région pétrolière de Benghazi, il y a vraiment de bonnes raisons de s’inquiéter, ne serait-ce que du fait que derrière l’une et l’autre parties en conflit, il y a des nations qui se disputent d’immenses intérêts, à la fois, matériels (pétrole et gaz) et géostratégiques (confrontation entre les alliés turques et qataris d’obédience frères musulmans et ceux, à tendance salafiste, regroupant les Émirats Arabes, l’Égypte et l’Arabie Saoudite). Les grandes puissances (USA, Russie, Chine et France) pourvoyeurs d’armes, ne sont évidement pas loin de ce bourbier qui risque de s’achever par une reconfiguration territoriale de la région, tant les positions des belligérants semblent inconciliables. .
La visite expresse du président turque Recep Tayyip Erdogan en Tunisie avec laquelle son pays n’a pas pourtant de frontières et les déclarations inquiétantes du ministre de l’intérieur tunisien qui a affirmé que « Si Tripoli tombe, Tunis et Alger tomberont à leur tour », sont en effet de nature à jeter le trouble au sein du commandement algérien, qui sait pertinemment que de gros ennuis peuvent surgir à tous moments de cette immense espace frontalier. Le syndrome de l’attaque terroriste du complexe gazier de Tiguentourine, partie du territoire libyen est encore présent dans l’esprit des officiers algériens qui ne voudraient certainement plus jamais revivre un tel cauchemar.
Ils savent qu’il faut beaucoup se méfier de ce pays voisin qui n’arrive pas à se stabiliser depuis la fin tragique du potentat Maamar Kadhafi qui l’avait dirigé trois décennies durant d’une main de fer, en apprivoisant les tribus qui se livraient d’interminables guerres. La disparition du dictateur qui unissait les libyens par la force, ouvrira malheureusement la boite de pandore dont le couvercle avait longtemps été fermé, pour donner lieu à des luttes fratricides qui continuent aujourd’hui à déchirer le pays livré à de multiples phalanges guerrières, parmi lesquelles, dominent tout de même deux forces politico-militaires qui se disputent violemment le pouvoir central. Il s’agit, on l’a compris, de l’armée nationale libyenne du maréchal Haftar qui contrôle la Cyrénaïque et celle du gouvernement d’union nationale, commandée par le président Faiez Serraj qui ne contrôle qu’une partie de la région de Tripoli, mais qui bénéficie tout de même de la précieuse reconnaissance de l’ONU. Le premier est soutenu par les Émirats Arabes Unis, l’Arabie Saoudite, l’Égypte, la France et la Russie qui lui fournissent des armes en échange d’un pétrole abandon et bon marché.
Le second n’a pour soutien que la Turquie et le Qatar, qui disposent tout de même d’un important pouvoir de nuisance, notamment quand d’aussi gros intérêts sont en jeu. Contrairement aux soutiens du gouvernement Serraj, dont les yeux sont essentiellement braqués sur les immenses gisements gaziers découverts en méditerranée orientale, ceux qui épaulent Haftar visent beaucoup des objectifs géostratégiques. Il s’agit, entre autres, de répandre les doctrines salafiste et wahhabite dans toute l’Afrique du Nord, à commencer par l’Algérie que le conflit libyen pourrait déstabiliser, s’il venait à s’intensifier et à déborder de la frontière algero-libyenne que l’armée algérienne protège efficacement.
Depuis qu’Haftar a lancé sa bataille pour la prise de Tripoli, les choses sont devenues plus inquiétantes pour les forces armées algériennes, qui sont toutefois restées calmes mais vigilantes, notamment depuis que le gouvernement libyen très affaibli a été contraint de faire appel à la Turquie qui, forte de l’accord d’assistance sécuritaire et maritime qui la lie au gouvernement Serraj, ne s’est pas faite prier pour promettre un renfort immédiat de 2000 soldats turques, en échange de droits d’exploitation des immenses gisements gaziers off-shore qui se trouvent à la frontière maritime libyenne. Une aubaine pour cette puissance industrielle qui ne dispose pas de cette précieuse énergie fossile. Un violent conflit armé est donc réellement à craindre dans les tous prochains mois, avec tous les dégâts collatéraux possibles sur la Tunisie et l’Algérie voisines. .
En dépit de la précipitation des événements dus à l’offensive contre Tripoli et la promesse d’Erdogan d’envoyer un contingent de 2000 soldats dans la région, l’Algérie reste malgré tout sereine. Elle continue à reconnaitre le gouvernement Serraj comme seul représentant de la Libye, conformément à une résolution de l’ONU et persiste à défendre son option pour un traitement politique du conflit. Les autorités militaires algériennes ne semblent pas considérer l’envoi de troupes turques en Libye comme un danger imminent, sachant qu’elles seront stationnées à Tripoli pour la défendre contre les soldats d’Haftar. Du fait de la vaste étendue du territoire libyen elles ne voient pas encore clairement qui, de Serraj ou d’Haftar, pourra contrôler la totalité de la Libye, aujourd’hui détenue par une multitude de milices et de seigneurs de guerre impossibles à fédérer,
Cette montée de fièvre dans ce pays voisin que la réunion du Conseil National de Sécurité a rendu public au lendemain du décès du chef d’Etat-major militaire et dans un contexte d’interminables manifestations populaires qui réclament de profonds changements au niveau de la gouvernance du pays, arrive à point nommé pour tempérer les ardeurs du Hirak, qu’on invitera très certainement les prochains jours à faire preuve de patriotisme, mais aussi et surtout, pour faire accepter le principe de l’utilité des dépenses militaires (plus de 10 milliards de dollars par an) qui commençaient à susciter bien des commentaires sur la toile, dans certains journaux et dans une partie de la classe politique.
*Source : Algérie Eco