Faiz Al Sarraj reçu par le président Tebboune
Par Younès Djama (revue de presse : Tout Sur l’Algérie – 6/1/20)*
L’armée turque progresse vers la Libye. Pourquoi Ankara s’implique-t-elle en Libye ?
Akram Kharief, journaliste à manadefense.net, spécialisé en défense et sécurité : Ankara a envoyé des troupes pour littéralement sauver le Gouvernement d’union nationale libyen (GNA) de Faiz Al Sarraj. Aujourd’hui, 95% du territoire libyen est conquis par l’Armée national libyenne (dirigée par le Maréchal Haftar, Ndlr), il ne reste que quelques poches qui sont connectées au gouvernement central : al-Zawiya, Tripoli et Misrata à l’est du pays. Ces trois villes sont sous l’étau de l’Armée nationale libyenne. En envoyant des troupes, Ankara espère stabiliser le front et empêcher que l’armée nationale libyenne prenne possession de la capitale et renverse le gouvernement al-Serraj.
Pourquoi la Turquie intervient-elle militairement ?
Il faut comprendre que le gouvernement Al-Serraj est reconnu par la communauté internationale et par l’ONU comme le gouvernement légitime. Lequel gouvernement a signé depuis quelques semaines un accord de défense commun avec la Turquie à la faveur duquel le gouvernement s’autorise à demander de l’aide militaire à la Turquie dans le cas d’une agression. Sur le plan légal c’est plus ou moins accepté, sauf que depuis 2011 il y a une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU qui interdit les exportations d’armes vers la Libye, ce qui pose réellement problème. Historiquement, aussi, l’intérêt de la Turquie en Libye est grand. La Libye était le dernier territoire ottoman en Afrique (l’Algérie et la Tunisie étaient des régences). Il faut ajouter le facteur de la proximité. Par ailleurs, depuis 2011 et la révolution libyenne, les Turcs ont énormément investi dans la communauté de Misrata et surtout les Frères musulmans établis à l’Ouest du pays. Il y a donc un conflit avec les salafistes qui se traduit sur le terrain par la guerre.
Quel est l’impact de cette intervention militaire turque sur l’Algérie ?
Personnellement, je considère qu’il n’y a pas d’impact militaire sur la région. Il faut savoir que la guerre en elle-même se limite à Tripoli, il ne faut surtout pas s’imaginer que la Libye est dans le chaos et qu’elle est plongée dans une guerre civile généralisée. L’ensemble du pays est pratiquement conquis par l’Armée nationale libyenne y compris aux frontières algériennes et il ne se passe absolument rien. Probablement, il y aurait une coopération entre l’Algérie et les forces de Haftar qui sont aux frontières. Donc, il n’y aura pas d’impact sur l’Algérie. La Tunisie pourrait probablement être impactée notamment sur la question des réfugiés en raison de la proximité avec la Libye.
Quels sont les enjeux géostratégiques autour de la crise libyenne ?
Il y a beaucoup d’intérêts. En premier lieu, il y a le partage des immenses gisements gaziers qui se trouvent en Méditerranée, convoités par la Turquie qui lorgne aussi le pétrole libyen. Il y a aussi une guerre de religion qui se joue entre les salafistes proches de Haftar et les Frères musulmans qui sont du côté du gouvernement al-Serraj. Il s’agit d’un enjeu idéologique très important, il y a carrément une guerre de religions qui se joue aujourd’hui de manière frontale entre salafistes et Frères Musulmans. Pour l’Égypte, faire tomber le gouvernement al-Serraj et lutter contre les Frères musulmans en Libye relève de la sécurité intérieure. Autre élément : l’établissement de bases étrangères notamment celle des Émirats arabes unis d’Al Khadim dans l’est libyen et les deux bases américaines.
*Source : TSA