1. Campagne de dons – Janvier 2020

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par Steve Brown.

D’abord, le contexte. Lorsque les États-Unis ont abandonné l’accord avec l’Iran, les importations de pétrole de la Turquie sont parties à la dérive en raison des nouvelles sanctions imposées par le Trésor US sur les exportations de pétrole iranien. En décembre 2018, la Turquie a été forcée de chercher ailleurs ses importations de pétrole, la Libye étant le choix le plus logique en raison de son prix et de sa proximité, malgré la violence qui y régnait. Les rebelles de Misrata, alliés à la milice Fajr Libya en charge du plus grand port de libre-échange de Libye, ont organisé les exportations de pétrole de Zawiya et Syrte vers l’Italie[1] et la Turquie, à des prix favorables.

Rappelons que la Tripolitaine (ouest) et la Cyrénaïque (est) sont en guerre, et que la Cyrénaïque possède ses propres terminaux de production et de stockage de pétrole à l’est alors que la plupart des revenus (pour les deux belligérants) du conflit libyen sont réglés par la Compagnie Nationale Libyenne de Pétrole (NOC). Mais peu de cela importe pour le marché d’importation de pétrole de la Turquie et la Turquie a signé un accord pour un corridor énergétique avec la Libye. Puis, en avril 2019, l’offensive de l’Armée Nationale Libyenne (ANL) contre le Gouvernement d’Accord National (GAN) de Tripolitaine a commencé, ce qui a entraîné la chute de Syrte au début de cette année.

L’incursion de la Turquie dans le pétrole libyen s’est heurtée à des difficultés dès juin 2018. La Turquie s’est opposée aux accords pétroliers de l’ANL sans supervision de la NOC, alors que le mandat de la NOC était d’appliquer l’embargo sur les armes de l’ONU en ne déboursant des fonds que pour l’usage civil du gouvernement. Ensuite, l’offensive de l’ALN en avril a donné lieu à des frappes aériennes sur Misrata et l’ouest, ce qui a eu un impact sur les importations de pétrole de la Turquie. La chute de Syrte et les frappes de l’ALN sur les bureaux de la NOC et le terminal pétrolier de Zawiya à la fin de 2019 ont porté un coup sérieux aux ambitions pétrolières de la Turquie en Libye.

L’avancée de l’ALN du Chef de guerre Haftar a été aidée par les Émirats Arabes Unis, l’Égypte et la France. Puis, l’Algérie a connu un changement de leadership et a rejoint la mêlée. L’Algérie s’est alignée sur le GAN contre l’ALN de Haftar (rappelons que Haftar est soutenu par la France) tandis que l’Algérie condamnait publiquement le déploiement des troupes turques. L’Algérie est une puissance pétrolière et a des intérêts pétroliers dans l’ouest de la Libye également et exerce plus d’influence dans la Mena que ce que l’on croit communément, généralement en arrière-plan.

Aujourd’hui, après la chute de Syrte, les forces de l’ALN s’approchent de Tripoli. L’ALN avait pris la plus grande partie de la Tripolitaine avec seulement quelques poches du GAN restantes. La situation du GAN était donc précaire en novembre. Il semblait que la victoire de l’ALN était assurée et que la guerre civile en Tripolitaine en serait le sinistre résultat. Puis, avec une certaine urgence, la Turquie a promis de déployer des troupes pour soutenir l’ALN. Des rumeurs disaient que les troupes algériennes assureraient la sécurité de sa frontière et de ses intérêts pétroliers en Libye également.

En janvier, l’extrême gravité de la situation est apparue. La menace frisait le désastre humanitaire. La Tripolitaine s’attendait à des destructions causées par Haftar, tandis que l’Europe, la Turquie et la Grèce seraient confrontées à une nouvelle vague de migrants libyens. L’Algérie doit prévoir la nécessité de fermer sa frontière étendue par la force des armes et d’aider la Tunisie, ce qui exacerbe les tensions avec le Maroc. Seule une puissance respectée, dotée d’une autorité et d’une influence régionale, pourrait sauver la Libye d’un désastre imminent.

Le ministre turc des Affaires étrangères Mevlut Cavusoglu, troisième à gauche, le ministre turc de la Défense Hulusi Akar, deuxième à gauche, le ministre russe des Affaires étrangères Sergey Lavrov, quatrième à droite, et le ministre russe de la Défense Sergei Shoigu, troisième à droite, assistent aux pourparlers à Moscou, Russie, le 13 janvier 2020. (PAVEL GOLOVKIN / AP)

Le moyen de sauver la Libye d’une violence accrue n’est pas les États-Unis – qui ont causé la catastrophe de la Libye en premier lieu – mais la Russie. La Russie et la Turquie ont appelé à un cessez-le-feu. Au début, Haftar a résisté à cet appel car il sentait la victoire. Mais Haftar a fini par céder et a accepté le cessez-le-feu sur l’insistance de la Russie et de l’Allemagne, bien qu’il ne l’ait pas encore signé. Plusieurs inconnues surviennent.

On ne sait pas très bien comment les divers groupes et milices fracturés qui peuplent Misrata et la Tripolitaine pourraient s’aligner. À Misrata et Bani Walid, une milice peut prendre une allégeance ou une autre… ou pas de camp du tout. Certains groupes sont bien armés et peuvent s’engager dans des attaques rebelles simplement pour perturber le cessez-le-feu.

La question est de savoir comment un règlement politique entre l’ALN et le GAN peut être obtenu. La possibilité d’un règlement politique pacifique en Libye semble lointaine, alors que tant de richesses pétrolières sont en jeu, et que la composition de la population libyenne est si fractionnée.

Il faut considérer que la Turquie semble s’éloigner de plus en plus de l’orbite de Washington. Un retrait de facto de la Turquie de l’OTAN remettra en question la crédibilité d’une alliance déjà douteuse. Peut-être que Washington ripostera avec davantage de sanctions contre un membre de l’OTAN perçu comme « rebelle » ? Et la Turquie respectera-t-elle également le cessez-le-feu ?

Enfin, la Russie. La Russie courtise maintenant la Turquie tout en s’aliénant l’Égypte, la Grèce, Chypre, la France et Israël… et pour le coup, le Chef de guerre Haftar. C’est parce que l’accord de la Russie avec la Turquie reconnaît implicitement le pacte énergétique controversé entre la Libye et la Turquie, tandis que l’Égypte, la Grèce, Israël, Chypre et la France voient leurs propres ambitions énergétiques en Méditerranée orientale maintenant marginalisées.

La Russie courtisant la Turquie et le passage virtuel de la Russie du côté du GAN ne peut que mettre Washington en colère. La Russie prend l’énorme pari que ce cessez-le-feu tiendra le temps qu’un règlement politique soit recherché. Washington n’aimerait rien de plus que de pousser la Russie à arranger un règlement politique pacifique… n’importe où. Et les services secrets américains pourraient même tenter de déstabiliser à nouveau la Libye pour cette raison. En attendant, espérons pour le bien du peuple libyen que cela ne se produise pas et qu’un règlement politique soit obtenu.

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[1] La compagnie pétrolière italienne ENI opère en Tripolitaine

source : Russia’s Big Gamble in Libya 

traduit par Réseau International