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20 avril 2024

Argent libyen: Thierry Gaubert mis en examen pour «association de malfaiteurs»


 PAR FABRICE ARFI ET KARL LASKE

Proche de Nicolas Sarkozy et de Brice Hortefeux, l’homme d’affaires Thierry Gaubert avait perçu en février 2006, sur un compte secret aux Bahamas, un demi-million d’euros du régime Kadhafi via une société de Ziad Takieddine.

Pour le clan Sarkozy, une mauvaise nouvelle judiciaire peut en cacher une autre. Le jour du placement en détention de l’intermédiaire Alexandre Djouhri dans l’affaire des financements libyens, un proche de Nicolas Sarkozy, Thierry Gaubert, a été mis en examen, vendredi 31 janvier, pour « association de malfaiteurs » par les juges d’instruction chargés du dossier.

D’après l’article 450-1 du code pénal, l’association de malfaiteurs est constituée par « tout groupement formé ou entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d’un ou plusieurs crimes ou d’un ou plusieurs délits punis d’au moins cinq ans d’emprisonnement ».

Thierry Gaubert, au tribunal de Paris, en décembre 2019. © Bertrand Guay/AFP

Cette mise en examen fait suite à une récente découverte majeure dans le dossier : intime de Nicolas Sarkozy, pour lequel il a travaillé par le passé, ainsi que de l’ancien ministre Brice Hortefeux, dont il est un ami proche, Thierry Gaubert avait perçu, en février 2006, 440 000 euros d’argent libyen sur un compte secret aux Bahamas, comme l’avait révélé Mediapart début décembre 2019.

Les fonds envoyés par le régime Kadhafi avaient transité quelques jours plus tôt – vraisemblablement pour brouiller les pistes – par un compte bancaire de l’intermédiaire Ziad Takieddine, qui fut pendant des années l’interlocuteur privilégié du cabinet Sarkozy avec la dictature libyenne.

La société de Takieddine, baptisée Rossfield Limited, qui avait opéré le 8 février 2006 le virement de 440 000 euros au profit de Gaubert, avait reçu en effet une semaine plus tôt trois millions d’euros directement ponctionnés des caisses publiques de la Libye. Le demi-million d’euros touché par Gaubert a atterri aux Bahamas sur un compte non déclaré ouvert auprès de la banque suisse Pictet.

Le compte de Rossfield au Liban. © Mediapart
Le compte de Rossfield au Liban. © Mediapart

C’est la première fois dans l’affaire libyenne qu’un membre de l’entourage de l’ancien président se trouve directement impliqué par un transfert bancaire du régime libyen.

Sollicité pour réagir à sa mise en examen, Thierry Gaubert n’a pas donné suite.

Ce virement Gaubert est d’autant plus significatif pour l’enquête qu’il est intervenu un mois seulement après la venue de Brice Hortefeux – alors ministre des collectivités territoriales de Nicolas Sarkozy – à Tripoli et sa rencontre secrète avec Abdallah Senoussi, le chef des services secrets militaires de Libye, alors visé par un mandat d’arrêt de la France pour son implication dans l’attentat contre le DC-10 d’UTA.

Le rendez-vous, qui a été caché aux autorités françaises sur place, s’est déroulé sans ambassadeur, sans diplomate, sans officier de sécurité et sans traducteur. Et la seule personne à y avoir assisté est Ziad Takieddine. Ce dernier, tout comme Abdallah Senoussi, a indiqué à la justice française qu’il fut question ce jour-là de négociations financières occultes. Ce qu’a démenti vigoureusement Brice Hortefeux.

Les révélations de Mediapart sur le virement libyen de Gaubert semblent avoir suscité de vives inquiétudes dans l’entourage de Nicolas Sarkozy, lui-même déjà mis en examen (notamment pour corruption) dans le dossier. Le Journal du dimanche avait ainsi indiqué, sur la foi des déclarations de proches de Sarkozy et de Gaubert, que les deux hommes n’avaient plus eu de contacts après 1996. Problème : les agendas ministériels de Brice Hortefeux, obtenus par les juges, portent la trace d’un déjeuner entre Gaubert et Sarkozy en 2005… Et de nombreux documents font en outre apparaître ses diligences en faveur du cabinet d’avocat de Nicolas Sarkozy à la même époque.

Par ailleurs, le nom de Thierry Gaubert apparaît au total à près d’une trentaine de reprises dans les agendas ministériels de Brice Hortefeux, aujourd’hui entre les mains des juges. Brice Hortefeux a notamment dîné avec Gaubert en juin 2007 au domicile de l’intermédiaire Ziad Takieddine, celui-là même qui avait envoyé les fonds libyens aux Bahamas un an plus tôt.

Entendu au mois d’octobre dernier, un ancien chauffeur de Takieddine, Ridha B. a témoigné de la proximité des trois hommes : « Gaubert, lui, c’est le premier ami de M. Takieddine, a-t-il signalé. M. Gaubert était pratiquement tous les jours chez M. Takieddine. M. Hortefeux est venu des centaines de fois au domicile de Ziad Takieddine à Paris. »

Actuellement sous la menace d’une condamnation pour fraude fiscale et blanchiment aggravé – son procès a eu lieu fin 2019 –, Thierry Gaubert a toujours caché le fait que Ziad Takieddine soit derrière la société Rossfield Limited, récipiendaire des fonds du régime libyen. Devant les policiers en charge de son enquête pour fraude fiscale, il s’était contenté d’évoquer de manière très floue un « placement financier », sans autre forme de précision.

Un relevé bancaire de Rossfield à l’Intercontinental Bank of Lebanon (IBL) de Beyrouth montre bien que cette société n’a reçu en 2006 que de l’argent libyen. D’abord 3 millions d’euros, en provenance du Trésor public, le 31 janvier, une semaine avant le virement à Thierry Gaubert. Puis entre mai et novembre 2006, de deux autres virements, pour un total de 3 millions d’euros.

D’après les enquêteurs de l’affaire libyenne, ces deux derniers versements proviennent des services secrets du régime, qui étaient précisément sous la coupe d’Abdallah Senoussi. Selon l’enquête, Ziad Takieddine a réorienté ces fonds vers divers paradis fiscaux, sur les comptes dont les éventuels bénéficiaires ne sont pas encore identifiés.

Dans l’affaire fiscale pour laquelle il comparaissait, Thierry Gaubert est suspecté d’avoir dissimulé avec son ex-femme au moins 8,9 millions d’euros au fisc français, sur une période allant de 1996 à 2016. Le jugement doit être rendu en mars prochain.

Abonné des salles d’audience – il a déjà été condamné par le passé dans l’affaire dite du « 1% logement » –, Thierry Gaubert a également été, en octobre dernier, l’un des principaux prévenus du procès du volet financier de l’affaire Karachi, dont le jugement sera connu en avril prochain. Une affaire d’argent occulte et de ventes d’armes à l’époque du gouvernement Balladur (1993-95), au cœur de laquelle se trouvait déjà un certain Ziad Takieddine.

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