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28 mars 2024

L’UE et la pandémie vont-elles ouvrir la voie à une surveillance mondiale israélienne ?


Publié par Gilles Munier sur 22 Avril 2020, 07:58am

Le ministre israélien de la Défense Naftali Bennett (à gauche), avec l’ambassadeur de l’UE Emanuele Giaufret en 2017.

Par Ali Abunimah (revue de presse : Agence Média Palestine – 16/4/20)*

La pandémie du coronavirus est une opportunité considérable pour les gouvernements et les entreprises d’espionnage d’étendre leur portée jusqu’à la vie privée des individus.

Les autorités de santé publique affirment qu’un repérage des contacts efficace sera essentiel pour mettre fin à de longs confinements et mettre rapidement un arrêt à de nouveaux rebonds du virus, au moins jusqu’à ce qu’un vaccin soit développé.

Cela signifie que les technologies de surveillance qui promettent d’identifier rapidement quiconque est exposé au virus peuvent certainement trouver un marché mondial. Le danger, c’est que ce genre de surveillance intrusive devienne permanente.

Le célèbre NSO Group est l’une des entreprises qui cherche à tirer parti de cette opportunité.

C’est la société qui produit le logiciel malveillant appelé Pegasus qu’on peut discrètement insérer dans le téléphone portable d’une cible.

On peut alors l’utiliser pour exfiltrer vers ceux qui espionnent presque toute information privée, y compris les enregistrements, captures d’écran, mots de passe, adresses mails et le texte des messages.

L’industrie technologique tant vantée d’Israël a des liens profond avec l’appareil militaire et d’espionnage du pays, qui utilise les Palestiniens sous occupation armée comme d’involontaires cobayes pour des systèmes qui sont maintenant mis en vente pour d’autres pays.

Et on découvre maintenant que les gouvernements européens sont prêts à profiter du fruit de cette structure abusive et oppressive, au prétexte de combattre la pandémie.

Pegasus du Groupe NSO, qui n’est vendu qu’à des gouvernements, a été abusivement utilisé contre des journalistes et des militants des droits de l’Homme dans des dizaines de pays. Parmi les utilisateurs suspectés, il y a le Maroc, le Mexique, les Emirats Arabes Unis, le Bahreïn et le Kazakhstan.

Pegasus a également été impliqué dans l’assassinat de Jamal Kashoggi, le journaliste saoudien attiré dans le consulat de son pays en 2018 à Istanbul et sauvagement assassiné et dépecé.

Amnesty International, dont l’équipe a été ciblée grâce au logiciel malveillant du Groupe NSO, poursuit la société en justice pour faire stopper son rôle dans la surveillance abusive.

Facebook intente également un procès à NSO Group pour avoir compromis sa plate-forme de messagerie WhatsApp afin d’aider des gouvernements à espionner environ 1.400 personnes.

« Tentative cynique »

Maintenant les spécialistes de la vie privée et des groupes pour les droits humains s’inquiètent du fait que NSO Group soit à l’avant-garde d’un effort de surveillance du coronavirus sponsorisé par Israël qui pourrait être adopté dans d’autres pays.

Le ministre israélien de la Défense Naftali Bennett s’est vanté le mois dernier que son ministère et l’armée israélienne aient travaillé avec NSO Group au développement d’un système qui permette de donner aux Israéliens une évaluation de la probabilité qu’ils avaient d’être infectés par le nouveau coronavirus.

D’après la publication commerciale israélienne Globes, « ce système collectera des informations sur les Israéliens, les mettra à jour en temps réel et attribuera à chaque Israélien un ‘taux d’infection’ sur une échelle de un à 10 ».

Vice.com a fait des recherches sur la technologie de NSO Group.

Le site décrit le système fabriqué par NSO Group, et un système semblable développé par l’entreprise italienne Cy4Gate, comme « essentiellement des outils de surveillance de masse qui aideraient les gouvernements et les autorités de santé à garder la trace des mouvements de chaque citoyen et à rester en contact avec eux ».

Dans ce but, selon Vice, NSO Group a « adapté l’interface utilisateur et l’outil analytique qu’il avait déjà développés pour pouvoir l’utiliser parallèlement à son puissant logiciel malveillant connu sous le nom de Pegasus, qui peut pirater les téléphones portables et en extraire des données comme les photos, les messages et les appels téléphoniques ».

Ce nouveau système, appelé Fleming, « permet aux analystes de dépister où vont les gens, qui ils rencontrent, combien de temps, et où ».

Les individus sont censés se voir attribuer un numéro d’identification secret pour protéger leur vie privée, mais une source de NSO Group a affirmé à Vice.com que le gouvernement peut enlever l’anonymat « lorsque nécessaire ».

En réalité, c’est du piratage en temps réel de chaque personne.

« Il s’agit d’une tentative extrêmement cynique de la part d’une célèbre entreprise de logiciels espions pour se lancer dans la surveillance de masse », a dit John Scott-Railton, premier chercheur à Citizen Lab de l’université de Toronto, à Vice.

Citizen Lab a joué un rôle juridique essentiel en dévoilant comment le logiciel malveillant de NSO Group a été détourné de son usage à travers le monde.

« Chaque citoyen dans le monde veut revenir à la normale dès que possible. La ruée vers l’or de la technologie de surveillance pourrait facilement signifier qu’il y a une attente normale de vie privée à laquelle il nous sera très difficile de revenir », a ajouté Scott-Railton.

Comme le fait remarquer Vice, les porteurs de mobiles dans des pays comme l’Italie, l’Allemagne, l’Autriche, l’Espagne, la France, la Belgique et le Royaume Uni « partagent déjà l’emplacement de leurs courses avec leurs gouvernements respectifs dans un effort pour dépister l’expansion du virus ».

Enthousiasme européen

Alors qu’il n’y a aucun rapport fait par ces gouvernements qui utilisent les systèmes du NSO Group, il existe des signes troublants comme quoi l’Union Européenne et ses membres cherchent à adopter la technologie de surveillance de masse sous couvert de lutte contre le COVID-19.

Lundi, l’ambassade des Pays Bas à Tel Aviv a dit dans un tweet qu’elle « cherchait des sociétés hollandaises qui voudraient s’associer à un partenaire israélien pour soumissionner pour une offre unique de solutions
numériques intelligentes au Corona (comme applis) par le ministère de la Santé des Pays Bas.

Et Emanuele Giaufret, ambassadeur de l’Union Européenne à Tel Aviv, a publié un courrier dans The Jerusalem Post où il se vante de la façon dont le bloc des 27 membres « exploite sa recherche scientifique et technologique pour lutter contre le COVID-19 », démarche qui comporte « des projets de coopération avec Israël ».

D’après Giaufret, l’UE a affecté environ 150 millions $ de son programme scientifique Horizon 2020 « au financement d’équipes scientifiques à travers l’Europe ainsi que dans des pays partenaires, dont Israël, pour aider à trouver rapidement un vaccin contre le COVID-19 ».

Il ajoute que le but de cet effort, « c’est d’améliorer les diagnostics, les préparatifs, la gestion clinique et les traitements ».

Ces activités sont suffisamment vastes pour y inclure les efforts de financement de la surveillance, surtout quand Horizon 2020 a déjà servi ces dernières années à faire passer de l’argent à Elbit Systems, entre autres sociétés de l’industrie guerrière d’Israël.

Elbit, toujours souple, fait actuellement sa promotion en tant que fournisseur de technologie pour combattre la pandémie.

Bennett, le ministre israélien de la Défense, a clairement dit qu’il voulait exporter le système de surveillance du coronavirus de NSO Group.

Et Sky Nes a rapporté au début du mois que NSO Group a « contacté quantité de pays occidentaux pour leur envoyer son logiciel de dépistage du coronavirus ».

Testé sur les Palestiniens

La maltraitance israélienne sur les Palestiniens, y compris ses propres citoyens, pendant la pandémie a poursuivi le même schéma de racisme, de violence et de négligence, fondateur de cet Etat.

Les travailleurs palestiniens de Cisjordanie occupée ont peu d’autre choix que de travailler pour des employeurs israéliens s’ils veulent nourrir leurs familles.

Quand ils sont en Israël, ils sont exposés au virus qu’ils risquent alors de rapporter dans leurs propres communautés.

Mais l’indifférence systématique d’Israël pour la santé et la sécurité des Palestiniens ne l’a pas empêché de les obliger à être des sujets d’expérience pour ses technologies de contrôle et de surveillance.

« Les Palestiniens qui cherchent à vérifier si leurs permis de séjour en Israël sont encore valides ont reçu l’instruction par Israël de charger une appli qui permet à l’armée d’accéder à leurs téléphones portables », a rapporté la semaine dernière le journal de Tel Aviv Haaretz.

« L’appli permettrait à l’armée de pister la localisation du portable des Palestiniens, ainsi que d’accéder aux avis qu’ils reçoivent, aux fichiers qu’il chargent et sauvegardent, et à la caméra de l’appareil. »

Haaretz n’explique pas comment un accès aussi indiscret a quoi que ce soit à voir avec le combat contre le virus, et il ne dit pas non plus qui a fabriqué cette application particulière.

Mais les médias israéliens ont confirmé que la branche de guerre informatique de l’armée israélienne, Unité 8200, est impliquée dans le projet de dépistage du coronavirus de NSO Group.

En 2014, des vétérans de l’Unité 8200 ont révélé que « la population palestinienne sous régime militaire est entièrement exposée à l’espionnage et à la surveillance du renseignement israélien ».

Les agents israéliens ont avoué que les informations qu’ils ont aidé à collecter et à stocker « font du tort à des gens innocents ».

« On s’en sert pour des persécutions politiques et pour créer des divisions à l’intérieur de la société palestinienne en recrutant des collaborateurs et en montant des parties de la société palestinienne contre elle même », ont-il ajouté.

Maintenant, le reste du monde peut obtenir le traitement des Palestiniens.

« Ce qui se passe en Palestine ne reste pas en Palestine », note le groupe de recherche Who Profits sur un nouveau site internet consacré à la surveillance de la façon dont la crise du COVID-19 se développe dans le contexte de l’occupation israélienne.

« Une raison essentielle pour laquelle Israël cherche perpétuellement à diversifier son arsenal de répression est qu’il peut ensuite le transformer en profit économique et en gains politiques. »

La pandémie du coronavirus est l’opportunité parfaite pour Israël de mettre son espionnage sur le marché juste de cette façon.

Et tout indique que l’Union Européenne – en conformité avec son record sans faille de complicité – est prête à aider Israël à répandre sa surveillance partout dans le monde.

*Source : Agence Médias Palestine

Traduction : J. Ch. pour l’Agence Médias Palestine

Version originale (13/4/20) : The Electronic Intifada

Sur le même sujet, lire aussi ce communiqué d’Amnesty International (septembre 2019) :

L’entreprise israélienne de logiciels espions NSO doit donner suite à ses engagements

 

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