Si le discours actuel des Etats-Unis envers la Chine est belliqueux, rien ne dit que les intérêts économiques bien compris ne primeront pas, in fine. Donald Trump et Xi Jinping, accompagnés de leur délégation respective, au G20 de Buenos Aires, 2018. © Dan Scavino
Par Antoine Menusier (revue de presse : Bon pour la tête – 25/4/20)*
Pearl Harbor, 11-Septembre… L’administration américaine compare le Covid-19 à des agressions militaires contre les Etats-Unis. Diversion, certes, mais ce ton martial désigne un coupable: le régime chinois. Début d’escalade.
Si l’Histoire ne repasse pas les plats, elle est faite de grands classiques. Parmi eux, l’engrenage menant à un conflit. La tragédie du Covid-19, ce virus responsable du décès de 193’000 personnes dans le monde, dont 116’000 en Europe et plus de 50’000 aux Etats-Unis (bilan au 24 avril), contient tous les ingrédients d’un film catastrophe et tous les paramètres d’une méchante crise entre l’Occident et la Chine.
La tentation est là, qui consiste à accuser la Chine et son régime autoritaire, nationaliste, expansionniste, d’être responsables du drame sanitaire en cours; de n’avoir pas alerté à temps de l’apparition et de la dangerosité du virus; d’avoir éventuellement failli (la piste du laboratoire de Wuhan, d’où aurait pu partir, par accident, ce vecteur de mort); d’avoir fait taire ces héros chinois qui ont tenté de prévenir l’extérieur. Xi Jinping, le leader du géant asiatique, n’est pas à la fête ces jours-ci sur les forums démocratiques. Sans doute se laisse-t-il le temps de compter les points – dans le meilleur des scénarios chinois, les Occidentaux reviendront à la niche chinoise, celles de leurs débouchés commerciaux: vins et spiritueux, horlogerie et maroquinerie de luxe, etc. C’est possible, le vainqueur sera peut-être celui qui passe pour l’agresseur. Voir…
Entre-temps, en Occident, des économies chuteront, des régimes, qui sait, vacilleront. Qui peut dire dans quelles dispositions mentales les Occidentaux se trouveront dans six mois ou un an vis-à-vis du régime chinois: celles des intérêts bien compris qui calment les belliqueux ou celles du ressentiment réclamant châtiment?
Fidèle au partage des rôles qui réserve le ton posé à la Chancellerie, le tabloïd allemand Bild, censé exprimer l’humeur populaire, a attaqué frontalement le puissant Xi Jinping en lui présentant, mercredi 15 avril, une facture de 149 milliards d’euros, la somme que Pékin devrait à Berlin pour les dommages causés jusqu’ici par le nouveau coronavirus à l’Allemagne. L’ambassade de Chine en République fédérale a répondu sur un mode indigné, reprochant au rédacteur en chef du quotidien allemand d’«attiser le nationalisme» germanique. Ce dernier s’est fendu à son tour d’une réponse, adressée directement au dirigeant Xi Jinping. Il y affirme que celui-ci ne serait pas président si les Chinois n’étaient pas un peuple placé sous surveillance. Bild a de quoi feuilletonner, comme on dit dans le jargon journalistique.
Avec les Etats-Unis, on change de registre. L’argent y a souvent une odeur d’armes, super-puissance oblige. Donald Trump s’est vu taxer de raciste pour avoir parlé de «virus chinois», une expression populiste comme le bonhomme, qui a le tort d’associer une maladie et un peuple qui en souffre également, mais qui a l’avantage d’aller droit au but recherché par son auteur: nationaliser le virus, désigner l’origine du mal.
Certes et dans l’immédiat, les démocraties libérales occidentales, singulièrement dans des pays de l’Europe du Sud où le virus tue beaucoup encore, ne paraissent «physiquement» pas capables de se lancer dans un rapport de force avec la Chine. D’autant moins qu’elles dépendent d’elle pour des matériels permettant de lutter ou de prévenir la contamination au Covid-19. D’autant moins ensuite, que certaines de ces démocraties peuvent s’en vouloir d’avoir tardé à répliquer à l’épidémie. La recherche d’un bouc-émissaire, fût-ce la Chine, pourrait actuellement apparaître comme une piteuse manœuvre destinée à minimiser leurs propres manquements. Mais la suite sera-t-elle écrite avec les piquants de l’autoflagellation? Est-on sûr qu’une opinion majoritaire ne surgira pas qui demandera des comptes à l’Etat chinois, pour le «coût global» de la maladie?
Un «Pearl Harbor», un «11-Septembre»… Le Covid-19 est renvoyé par l’administration américaine à des agressions militaires contre les Etats-Unis. Une manière de dire la surprise et la sidération – et de dédouaner Trump et Washington. Mais l’allusion guerrière est là. Si des sociétés occidentales, y compris la première d’entre elles, devaient être durablement à genou à cause du virus, la formule pourrait se transformer en escalade, d’abord diplomatique, puis militaire. Ou juridique, ce qui n’exclut pas les deux autres formes. Le procureur républicain du Missouri a ainsi déposé plainte au civil contre la Chine pour avoir «caché des informations cruciales» relatives à l’épidémie.
L’Empire du Milieu paie là, ce n’est peut-être qu’un début, une forme d’arrogance. Mi-mars, un porte-parole du ministère des Affaires étrangères chinois avait laissé entendre sur Twitter que le nouveau coronavirus a été introduit en Chine par l’armée américaine. Fin mars, l’ambassade de Chine à Paris ne semblait, elle, pas craindre le retour de flamme, après avoir vanté dans une flambée de tweets le «sens de la collectivité et du civisme [chinois] qui fait défaut aux démocraties occidentales» face au coronavirus.
La Chine sera-t-elle qualifiée de «rogue state» (d’Etat voyou), comme l’avait été l’Irak de Saddam Hussein? Cette terminologie était celle des néo-conservateurs américains artisans des guerres d’Afghanistan et d’Irak, déclenchées respectivement en 2001 et 2003 après les attentats du 11-Septembre. Le Covid-19 sera-t-il pointé comme «arme de destruction massive», ce prétexte à la campagne militaire irakienne – sauf que le virus existe bel et bien? Assistera-t-on, plus raisonnablement pourrait-on dire, à un redite de la guerre froide, lorsque les ennemis sont trop puissants, trop armés pour se faire la guerre?
A l’inverse, les choses rentreront-elles dans l’ordre, la crise ne se soldant même pas par des paiements de Pékin en guise de dommages et intérêts pour le tort causé? Verra-t-on, dans une sorte de happy end propre aux productions hollywoodiennes, les plus hautes autorités mondiales, chinoises incluses, travailler ensemble à l’élaboration d’un vaccin? La seule mesure de rétorsion envisageable par les Européens, selon le chroniqueur et grand reporter au Figaro Renaud Girard, serait une relocalisation chez eux d’activités industrielles parties en Chine.
Et le régime chinois, lui, comment sortira-t-il de cette crise «inédite»? Affaibli ou renforcé? Dans l’affaire, qui tiendra, in fine, le rôle de l’Irak? Engagée dans une diplomatie sanitaire tels les Etats-Unis assurant le pont aérien vers Berlin-Ouest au temps du conflit Est-Ouest, la Chine n’hésite pourtant pas à se montrer agressive, avons-nous vu. C’est parce qu’«elle a peur», affirme une experte des questions asiatiques, Valérie Niquet, dans une interview à l’hebdomadaire français Le Point. L’affreux coronavirus n’a pas encore livré toutes ses propriétés.
Antoine Menusier, journaliste, ancien rédacteur en chef du Bondy Blog – connu pour avoir été « le premier média des quartiers sensibles » – est l’auteur de « Le livre des indésirés : une histoire des Arabes en France » (Ed du Cerf – 2019).
*Source : bonpourlatete.com