L’effondrement des prix du pétrole et l’impact économique du Covid-19 remettent en question les plans pour NEOM, mégalopole du futur
La guerre du pétrole et le coronavirus sont des défis majeurs pour le jeune prince héritier d’Arabie.
Par Julie Kebbi (revue de presse : L’Orient-Le Jour – 22/4/20)*
L’année 2020 devait être celle de Mohammad ben Salmane. Celle qui allait amorcer une nouvelle décennie pour une nouvelle Arabie, concrétiser ses ambitions grandioses et, surtout, lui permettre de consolider son pouvoir. Celle qui aurait aussi permis de redorer l’image du royaume à l’international grâce à la présidence du G20 afin de tourner la page de l’assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi. L’année de la rédemption et de la consécration. Elle devait permettre au jeune dauphin de mettre de nouveaux pions en place pour réussir son pari le plus fou fait en 2016 : réduire la dépendance du royaume au pétrole et l’ouvrir vers l’extérieur grâce à un projet de réformes sociales et de diversification économique sobrement baptisé Vision 2030. Choisissant le tourisme comme nouvel eldorado, Riyad a décidé d’octroyer des visas touristiques depuis septembre dernier, tandis qu’un ministère du Tourisme a été créé en février, cristallisant la rupture avec l’hermétisme qui a longtemps caractérisé le royaume. « C’était supposé être une année critique pour MBS avec notamment le Plan national de transformation 2020 (premier volet des réformes de développement) », souligne Michael Stephens, expert du Moyen-Orient au Royal United Services Institute.Mais il en aura été autrement. Seuls quatre mois ont passé et les mauvaises nouvelles s’enchaînent : tensions régionales, pas de voie de sortie du conflit au Yémen, guerre des prix du pétrole, pandémie de Covid-19, récession économique mondiale en vue… Ce début d’année vire au cauchemar pour le prince héritier saoudien et fait désormais office de crash-test dans sa gestion de ces multiples crises. « En 2020, les ambitions de MBS vont être testées par l’austérité. Cela va forcer le royaume à faire des choix difficiles », estime Kristin Diwan, chercheuse à l’Arab Gulf States Institute à Washington.
Coût politique
Le défi le plus important sera économique. Les répercussions de la pandémie de Covid-19 devraient s’ajouter aux conséquences de la récente guerre des prix du pétrole. Face à un prix du baril tombé aux alentours de 20 dollars en mars, Riyad devrait voir une augmentation de son déficit budgétaire, déjà estimé à hauteur de 6,6 % de son PIB pour cette année. Le royaume a demandé au début du mois dernier aux agences de l’État de réduire leurs budgets 2020 d’au moins 20 % pour faire face aux répercussions de la baisse du prix du baril, ont indiqué des sources citées par Reuters. Une manœuvre qui s’avère délicate, alors que le budget 2020 du royaume avait déjà été revu à la baisse avec une réduction de 8 % des dépenses. Selon une note de recherche du cabinet de conseil en recherche économique Capital Economics, « l’Arabie saoudite a besoin d’un prix du pétrole d’environ 85 dollars le baril pour équilibrer le déficit budgétaire du gouvernement, mais seulement de 50 dollars le baril pour équilibrer le compte courant. Les deux seront en déficit par rapport au prix actuel du pétrole, mais le déficit budgétaire sera beaucoup plus important à hauteur de 15 % du PIB », est-il indiqué. « L’effondrement des prix du pétrole et l’impact économique du Covid-19 remettent en question certaines des bases de Vision 2030 et en particulier les plans pour NEOM (mégalopole du futur qui doit être située dans le Nord-Est saoudien) et les nouvelles autorités du divertissement et du tourisme qui semblaient être quelques-unes des pierres angulaires initiales du plan », explique Kristian Ulrichsen, chercheur sur le Moyen-Orient à l’Institut Baker pour les politiques publiques à l’Université Rice. « Le gouvernement saoudien se trouve dans une situation sans issue : il ne peut pas diversifier son économie pour le moment sans engager d’importantes dépenses publiques, ce qui n’est pas possible, bien qu’il dispose de nombreuses réserves de devises et qu’il emprunte actuellement de l’argent », remarque Michael Stephens.
La situation n’est pas sans conséquences géopolitiques. Si l’Arabie est sortie gagnante de la guerre du pétrole, on peut parler d’une victoire à la Pyrrhus. Non seulement parce qu’elle lui a coûté cher et qu’elle pourrait ne pas être terminée, mais parce qu’elle risque d’avoir un coût politique. La guerre des prix a durement touché les États-Unis, alliés du royaume saoudien et premiers producteurs de pétrole mondial, et pourrait avoir fragilisé leurs relations. Elle a aussi mis à mal la relation russo-saoudienne. Les frappes imputées à l’Iran contre les installations saoudiennes au cours de l’année 2019 ont montré la vulnérabilité du royaume et la perméabilité du parapluie américain. Riyad se retrouve non pas esseulé, mais avec des alliés sur lesquels il ne peut pas systématiquement compter, dans un environnement toujours aussi hostile. Cela explique en partie pourquoi le royaume joue l’apaisement avec Téhéran depuis quelques mois et qu’il cherche à se désengager de la guerre au Yémen.
Les élections américaines
MBS a dû en quelques mois revoir à la baisse ses ambitions de transformer l’Arabie saoudite et d’en faire le leader incontesté du monde sunnite. Il se sait dans un moment décisif et dans une position fragile. Toute personne susceptible de contester son pouvoir est un danger. Accusés de trahison, quatre membres de la famille royale ont été arrêtés le mois dernier, dont le dernier frère vivant du roi Salmane, Ahmad ben Abdelaziz, et l’ancien prince héritier Mohammad ben Nayef, pour avoir supposément planifié de renverser le jeune dauphin saoudien. « C’était clairement un message, MBS s’inquiétait des rumeurs et il a pris des mesures assez sévères », décrypte Michael Stephens.
Autre test majeur pour le prince héritier : la suspension « temporaire » de la omra, le petit pèlerinage musulman, et la possible annulation du hajj, le grand pèlerinage annuel à La Mecque, en raison de la crise du Covid-19. Alors que quelque deux millions de pèlerins étaient attendus en juillet prochain, l’annulation du hajj pourrait être à double tranchant : affecter la légitimité de la maison des Saoud gardien des lieux saints, d’une part, et porter un coup dur à l’économie du royaume, d’autre part. « Je m’attends à une intensification des attaques politiques contre MBS », anticipe Kristin Diwan.
Le dauphin avait tout misé sur le G20 qui devrait se dérouler à Riyad en novembre prochain. Celui-ci risque fort d’être annulé ou de se tenir seulement en visioconférence, ce qui en diminue fortement l’impact. « L’occasion majeure pour MBS de se montrer à la tête d’un événement mondial est évidemment remise sérieusement en question », note Michael Stephens. L’autre moment décisif pour le royaume, dans la seconde partie de l’année 2020, se jouera a priori en novembre avec les élections américaines. Alors que l’Arabie jouit d’une image de plus en plus négative aux États-Unis, particulièrement chez les démocrates, le dauphin doit prier pour une victoire de Donald Trump. Dans le cas contraire, le cauchemar pourrait se poursuivre.
*Source : L’Orient-Le Jour