USA : Devine qui vient dîner ce soir
7 juin 2020
Norman Finkelstein analyse les manifestations aux Etats-Unispar lecridespeuples |
Source : http://normanfinkelstein.com/
Traduction : lecridespeuples.fr
J’ai assisté aux rassemblements de protestation contre les violences policières chaque jour. Il y a beaucoup à dire, mais le plus frappant est qu’au moins la moitié, et souvent plus, des manifestants sont Blancs (voir la photo ci-dessous). Dans ma jeunesse, seule une minorité de Blancs participait aux manifestations militantes en faveur des Noirs. C’était toujours un peu gênant. Un orateur remerciait invariablement les « frères et sœurs Blancs » d’être venus. Maintenant, personne ne remercie les Blancs d’être là, notamment parce qu’ils sont la manifestation, alors que les relations entre Noirs et Blancs dans les jeunes générations (hélas, on peut compter sur les doigts d’une main le nombre de personnes de plus de 40 ans participant aux manifestations) semblent plus à l’aise, normales. Je soupçonne que cela a beaucoup à voir avec la disparition de la classe moyenne blanche, la prolétarisation / marginalisation de la jeunesse blanche (pas d’emploi, pas d’avenir, quatre jeunes de différentes origines ethniques partageant des appartements, etc.). Même après le couvre-feu, lorsque le risque d’arrestation se profile, les Blancs marchent dans les rues en nombre égal avec les Noirs. Ce n’est pas la noblesse libérale blanche obligée, ce n’est même pas la solidarité ; c’est parce que « C’est NOTRE combat (à tous). »
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Rage contre le système
Source : http://normanfinkelstein.com/
Traduction : lecridespeuples.fr
La manifestation d’hier soir a pris une tournure violente assez tôt, vers 21h30. De grandes phalanges de policiers ont chargé et battu à deux reprises des manifestants dans le centre-ville de Brooklyn. Je ne peux pas dire si un incident a déclenché les agressions ou si les policiers essayaient juste de faire respecter le couvre-feu de 20h00. La peur était moins d’être arrêté ou battu que d’être piétiné à mort. Il n’y a pas de dirigeants physiquement identifiables lors de ces manifestations, et même s’il y en avait, il est impossible de savoir (du moins pour une simple quidam comme moi) si on peut leur faire confiance. Ils pourraient tous être des agents provocateurs. Donc quand les problèmes commencent, on ne sait pas exactement quoi faire : « Sauvez-vous à toutes jambes » ou (comme certains le supplient frénétiquement) « Restez sur vos positions ! »
Cela indique un problème plus important. Il n’y a pas d’agenda politique discernable. Les slogans vont des plus primitifs, comme « Police de New York (NYPD), sucez-moi la *** » (crié vigoureusement par les manifestantes) et « Pas de Justice, Pas de paix / N*** la Police ! »), aux plus ou moins politiques, comme « Comment s’écrit racisme ? / NYPD » et « Quelles rues ? / Nos rues. » Les hordes de policiers (dont de nombreux afro-américains visiblement mal à l’aise d’être du mauvais côté des barricades) sont priés de « Mettre un genou à terre » (très peu probable car, dans ces circonstances, cela ne signalerait pas l’expiation mais la faiblesse), ou de « Quitter votre emploi » (également très peu probable, car ils ont eu du mal à obtenir ces emplois). Vers la fin de la nuit, on a entendu les anciens slogans de gauche « Le monde entier regarde » (probablement plus vrai maintenant que lorsque nous l’avons crié dans les années 60) et « Le peuple uni ne sera jamais vaincu » (crié, hélas, quand nos chiffres avaient déjà diminué).
En rentrant chez moi en métro, j’ai eu l’occasion de parler à une jeune manifestante haïtienne-américaine articulée et respectueuse qui étudie la psychologie à la City University de New York. Comme la plupart des manifestants que j’ai rencontrés, elle était moralement intense ; ce qui se passe n’est certainement pas un simple accès de colère juvénile. À un moment donné, je lui ai demandé ce qu’elle pensait de la présence écrasante des Blancs lors de ces manifestations. « Ça me rend triste. » « Triste ? », ai-je demandé à voix haute, incrédule. » Oui, triste, parce que les Blancs se soucient plus de notre cause que nous. » Mais, ai-je répliqué, « chaque groupe n’est-il pas représenté à peu près proportionnellement à son nombre à New York ? » Elle n’était pas d’accord. Que ce soit elle ou moi qui ait raison, une chose semble certaine. Ces manifestations ne sont pas dirigées uniquement contre les policiers racistes. On ne peut qu’être frappé par la rage des jeunes blancs contre les policiers. C’est de la haine distillée. Mais pas uniquement, je pense, parce que beaucoup de ces flics sont des racistes pervers. C’est parce qu’ils sont les bataillons armés, les exécuteurs physiques d’un système qui a détruit la vie de tous les jeunes et qui bloque toute sortie du cauchemar qu’ils endurent quotidiennement et qui va certainement s’aggraver. On estime que plus de 40% des personnes licenciées pendant la pandémie de Covid-19 ne seront pas réembauchées. Et cela se traduira, pour ces jeunes qui n’ont pas d’épargne et qui joignent à peine les deux bouts, par une expulsion (car ils n’auront plus de quoi payer leur loyer). La plupart des manifestants ont probablement assisté aux rassemblements pro-Bernie Sanders. On oublie souvent que le slogan officiel de la Marche de 1963 à Washington (où Martin Luther King a prononcé son discours « J’ai un rêve ») était « Emplois et liberté pour tous ! » Il faut espérer qu’une direction, si elle émerge, exigera la « Fin de la brutalité policière ! » et « Des emplois pour tous ! »
Quand je suis descendu du métro à 22h30, j’étais seul dans les rues. Deux policiers m’ont arrêté poliment mais fermement : « Savez-vous qu’il y a un couvre-feu ? » « Oui, je rentre chez moi. » « Où habitez-vous ? » « A quelques pâtés de maisons. » « D’accord. » Je ne pouvais pas m’empêcher de me dire que si j’avais été Noir, je ne m’en serais pas tiré si facilement.
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