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27 avril 2024

Libye : L’heure est venue de négocier. Avec ou sans Haftar.


Après l’échec de l’offensive du maréchal Khalifa Haftar contre la capitale libyenne, la Turquie, qui appuie le régime de Tripoli, et la Russie, qui soutient le maréchal rebelle, semblent estimer qu’il n’y a pas d’issue militaire au conflit libyen et que l’heure est venue de négocier. Avec ou sans Haftar.

 

L’échec de l’offensive du maréchal Khalifa Haftar contre Tripoli annonce-t-il sa mort politique ? Ce n’est pas impossible, surtout s’il reste secrètement convaincu, contre l’analyse de ses principaux soutiens, qu’il y a toujours une solution militaire au conflit libyen. Car les alliés majeurs des deux camps – la Turquie, pour le Gouvernement d’union nationale (GNA) de Tripoli, et la Russie, pour l’Armée nationale libyenne (LNA) d’Haftar – semblent disposés à relancer le processus de paix qu’ils avaient ébauché, en vain, il y a quatre mois lors d’un « sommet » libyen à Moscou. Et que Haftar avait fait échouer en claquant la porte.

La mission d’appui des Nations unies en Libye (UNSMIL) a d’ailleurs confirmé lundi dernier que les belligérants avaient donné leur accord pour la reprise des pourparlers sur le cessez-le-feu et les arrangements de sécurité suspendus depuis février. Et samedi, apparemment convaincu par son modèle en politique, le général-président al-Sissi, qui l’avait convoqué en urgence au Caire, Haftar s’est rallié à la proposition égyptienne de déclarer un cessez-le-feu à partir de lundi, à 6 heures, heure locale

En d’autres termes, l’engagement de la Turquie au côté du GNA de Tripoli et la montée en puissance de l’aide russe à Haftar ont profondément bousculé le rapport de force militaire sur le terrain, comme l’équilibre stratégique et diplomatique entre les deux camps et leurs alliés. En Libye comme en Syrie, Moscou et Ankara montrent ainsi qu’ils peuvent sur la même scène politico-militaire se révéler à la fois adversaires et partenaires, en fonction de leurs intérêts du moment et du jeu des autres puissances dans la région.

Des Libyens réunis sur la place des Martyrs, à Tripoli, célèbrent le retrait des troupes du général Haftar, vendredi 5 juin. du © Hazem Turkia / Anadolu Agency via AFP
Des Libyens réunis sur la place des Martyrs, à Tripoli, célèbrent le retrait des troupes du général Haftar, vendredi 5 juin. du © Hazem Turkia / Anadolu Agency via AFP

Dans un premier temps, l’intervention militaire directe de la Turquie, au bénéfice du pouvoir de Tripoli, au début de l’année, avait permis aux forces du GNA, seul pôle de pouvoir reconnu par la communauté internationale, de briser l’encerclement de la capitale par les combattants d’Haftar et de se lancer à la reconquête des villes côtières de l’ouest tenues par les forces du « maréchal ».

Ensuite, grâce à l’arrivée de plusieurs centaines de conseillers militaires turcs, de drones d’observation et de combat, de blindés, d’une artillerie moderne, de batteries de défense anti-aérienne et, surtout, de 6 500 combattants syriens, anciens rebelles anti-Assad de l’Armée syrienne libre, entraînés et équipés par l’armée d’Ankara, le GNA a pu se lancer dans une contre-offensive générale contre l’Armée nationale libyenne (LNA) d’Haftar.

« Ce qui a réellement changé la donne, explique un connaisseur du terrain, c’est l’arrivée de spécialistes du renseignement tactique, d’une défense anti-aérienne efficace et d’une grande quantité de drones qui ont, en quelques semaines, privé Haftar de la maîtrise du ciel et fourni au GNA une force d’observation et de frappe dont il n’avait jamais disposé. Associé à l’expérience du combat d’infanterie apportée par les Syriens, l’usage intensif de la technologie dans l’analyse de la situation sur le terrain comme dans la précision et le calibrage des frappes, tel qu’on l’apprend dans les manuels de l’OTAN, a fait basculer l’équilibre des forces en faveur du GNA et de ses alliés. »

En face, Haftar, soutenu par les Émirats arabes unis, l’Égypte, la Jordanie, la Russie, l’Arabie saoudite et la France – qui reconnaît cependant le GNA –, ne manquait pourtant pas de moyens. Aux côtés des 18 000 hommes de son ANL, il disposait de 3 500 mercenaires soudanais, de plusieurs centaines de Tchadiens, de près de 2 000 Russes, pour la plupart mercenaires du « groupe Wagner » et de près de 500 combattants syriens pro-Assad, sélectionnés et entraînés par le « groupe Wagner » dans les régions désormais contrôlées par Damas.

Cette infanterie, équipée de blindés légers et de 4 x 4 par ses alliés émiratis, jordaniens et égyptiens, bénéficiait de l’appui aérien des drones Win Loong, de fabrication chinoise, fournis par les Émirats. Il lui arrivait même, selon des experts de l’ONU présents sur le terrain, de disposer du soutien de chasseurs-bombardiers émiratis et égyptiens.

Malgré cette armada disparate mais robuste, Haftar avait perdu en quatre mois les villes côtières de l’ouest et le GNA avait repris le contrôle de toute la côte occidentale, de la frontière tunisienne jusqu’au-delà de Misrata, à 500 km. Et la place forte de Tarhouna qui devait servir de point d’appui à l’ANL pour son offensive finale contre Tripoli était assiégée par les forces du GNA qui avaient pris position dans ses faubourgs et coupé l’alimentation électrique. Tarhouna est finalement tombée, il y a quelques jours, aux mains des unités du GNA, qui poursuivent désormais leur contre-offensive en direction de Syrte, la ville natale de Kadhafi, tenue par les forces d’Haftar depuis le début de l’année.

Manifestement pris de court par cette contre-offensive victorieuse, Haftar, loin de revoir sa stratégie sur le terrain, s’était lancé dans une baroque fuite en avant politique en proclamant, le 27 avril, lors d’une intervention en grand uniforme à la télévision, qu’il avait obtenu « le mandat du peuple » pour gouverner la Libye et poursuivre son offensive contre Tripoli.

Initiative d’autant plus surprenante qu’il ne précisait pas de quelle institution ou de quelle consultation il avait reçu son « mandat ». Et surtout qu’il dépouillait de fait de leurs pouvoirs, par sa décision, les deux entités qui lui assuraient jusque-là une certaine forme de légitimité, la chambre des représentants, basée à Tobrouk et présidée par Aguila Salah, et le gouvernement de l’est, également basé à Tobrouk et présidé par Abdullah Al-Thani.

Dénoncé comme un « nouveau coup d’État » par Tripoli, ce coup de force, surtout verbal et sans véritable effet concret sur le terrain, avait indisposé jusqu’aux alliés du « maréchal » manifestement plus habité que jamais, malgré ses revers, par la volonté d’imiter son modèle égyptien, le dictateur Abdel Fattah al-Sissi. Soutien résolu de Haftar, Moscou s’était d’abord déclaré « surpris » par son initiative avant de prendre ouvertement ses distances.

« Nous n’approuvons pas la déclaration du maréchal Haftar selon laquelle il déciderait unilatéralement de la façon dont le peuple libyen vivra », avait déclaré le ministre des affaires étrangères Sergueï Lavrov. « Nous sommes convaincus, avait précisé le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov, que le seul moyen de résoudre le problème libyen est l’échange politique entre toutes les parties, et d’abord entre celles qui sont en conflit. »

Autrement dit : il n’y a pas de solution militaire à cette crise. La négociation s’impose. Haftar, qui avait déjà, en janvier, grisé par ses succès militaires de l’heure, quitté précipitamment Moscou au moment de signer un accord de cessez-le-feu avec le premier ministre du GNA, Fayez al-Sarraj, aurait dû être attentif à cette déclaration du Kremlin. Car l’analyse de janvier pourrait bien devenir la stratégie d’aujourd’hui. Avec ou sans lui.

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