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18 novembre 2024

Du Golfe persique au Golfe de Syrte, comment Doha finance l’expansion turque


Luc Michel

Vendredi 3 juillet 2020

L’AXE GEOPOLITIQUE ET IDEOLOGIQUE TURQUIE-QATAR : DU GOLFE PERSIQUE AU GOLFE DE SYRTE, COMMENT DOHA FINANCE L’EXPANSION TURQUE

LUC MICHEL (ЛЮК МИШЕЛЬ) & EODE/
Luc MICHEL pour EODE/
Quotidien géopolitique – Geopolitical Daily/
2020 07 02/

« En créant sa propre coalition dans le monde islamique : Le Qatar sort de l’isolement (…) Un tournant se profile à l’horizon dans la campagne de pression sans précédent lancée le 5 juin contre le Qatar par l’Arabie saoudite et ses alliés. Le ministre turc des Affaires étrangères Mevlüt Cavusoglu s’est rendu hier en visite dans l’émirat, après que le président turc Recep Tayyip Erdogan a critiqué l’isolement dont était victime Doha. Plusieurs autres pays clefs de la région ont également refusé de soutenir la coalition anti-qatarie. Dans ce contexte l’Arabie saoudite et l’Égypte, qui donnent le ton dans la campagne contre Doha, ont dû relacher la pression sur l’émirat »
– Kommersant (Russie, 21 juin 2017).

« Le Qatar, un des rares pays arabes à ne pas avoir condamné l’offensive d’Ankara en octobre en Syrie », a rapporté l’agence de presse officielle du Qatar. Par ailleurs, Doha et Ankara sont les principaux soutiens du gouvernerment islamiste de Tripoli. Les liens entre Doha et Ankara se sont consolidés depuis que l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis, le Bahreïn et l’Egypte ont rompu leurs relations diplomatiques en juin 2017 avec le Qatar. Le Qatar et la Turquie, qui soutiennent tous deux l’organisation des Frères musulmans, ont renforcé leurs relations économiques et politiques ces dernières années, dans le sillage de l’isolement de Doha.

I-
ERDOGAN A DOHA POUR UNE VISITE OFFICIELLE  POUR PARTICIPER A LA 5e REUNION DU « COMITE STRATEGIQUE TURCO-QATARI » (QNA)

Le président turc Recep Tayyip Erdogan est arrivé ce jeudi après-midi à Doha, la capitale du Qatar, pour une visite officielle d’une journée. Le ministre des Finances et du Trésor, Berat Albayrak, et de la Défense, Hulusi Akar, ainsi que le Chef de la communication, Fahrettin Altun, le porte-parole de la Présidence, Ibrahim Kalin, et le chef des Renseignements turcs (MIT), Hakan Fidan, accompagnent le chef de l’État dans son voyage à Doha. Erdogan rencontrera l’Émir du Qatar, Cheikh Tamim ben Hamad al-Thani. « Les deux leaders discuteront des relations entre les deux pays amis et frères. Ils aborderont également les questions régionales et internationales ». Erdogan doit signer plusieurs accords visant à « renforcer la coopération entre les deux pays », selon un communiqué de la présidence turque. Au Qatar, M. Erdogan doit aussi visiter une base militaire turque où quelque 5 000 troupes sont stationnées, selon la présidence turque. « La fermeture de cette base fait partie de 13 conditions formulées par les adversaires de Doha pour mettre un terme à son isolement ».

L’AXE GEOPOLITIQUE TURQUIE-QATAR SE FORGE EN JUIN 2017

Une semaine et demie après qu’une crise diplomatique très profonde avait éclaté en juin 2017 dans le Golfe, plaçant les alliés d’autrefois du soi-disant « Printemps arabe » des deux côtés des barricades, le Qatar, isolé, avait bénéficié d’un soutien explicite d’un acteurs clef de la région: la Turquie. Le ministre turc des Affaires étrangères Mevlüt Cavusoglu s’était alors rendu en visite à Doha pour rencontrer son homologue qatari Tamim Ben Jassem al-Thani. Après cet entretien, la presse rapportait qu’il s’était envolé vers l’Arabie saoudite. Rappelons que Riyad avait été l’un des principaux initiateurs de la démarche diplomatique à laquelle plus de dix pays arabes ont déjà adhéré à différents degrés. Certains États ont rompu leurs relations diplomatiques avec le Qatar, d’autres ont annoncé une diminution du niveau des relations diplomatiques.

Ces démarches faisaient suite à la publication, sur le site de l’agence de presse qatarie, d’un communiqué au nom de l’émir al-Thani sur la nécessité d’un rapprochement avec l’Iran chiite – le principal adversaire géopolitique des monarchies sunnites du Golfe, mais aussi d’Ankara. A la veille de la visite de Mevlüt Cavusoglu à Doha, le président Erdogan s’était posé en principal défenseur du Qatar. Devant les membres du Parti de la justice et du développement (AKP) au pouvoir, il avait  mis en garde les initiateurs du blocus « contre les risques d’une telle politique lourde de conséquences ». Ainsi, malgré les relations extrêmement tendues entre la Turquie et l’Iran, qui conserve pratiquement des relations d’allié avec le Qatar, n’ont pas empêché Ankara de rejoindre le même camp que Téhéran. Sachant que le président Erdogan n’a pas seulement pris la défense de l’émirat isolé en paroles mais aussi en actes: il avait signé une loi sur le déploiement au Qatar d’un contingent turc « pour le maintien de la stabilité dans la région » ; Comme en Libye en 2020, la Turquie introduit l’anarchie dans les relations internationales et fait exploser les lignes et les alliances géopolitiques traditionnelles !

UN AXE IDEOLOGIQUE DOUBLE L’AXE GEOPOLITIQUE DOHA-ANKARA : LE SOUTIEN AUX FRERES MUSULMANS

Grigori Kossatch, professeur à la faculté d’histoire, de politologie et de droit de l’Université d’État des sciences humaines de Russie, soulignait dans ‘Kommersant en 2017 que « le Qatar a des leviers de pression sur les pays où il existe de puissantes organisations représentant le mouvement islamiste Frères musulmans ». En Jordanie les membres de ce mouvement sont représentés au parlement, et en Turquie les racines de l’AKP – islamo-conservatrice –  remontent aux Frères musulmans.

On comprend aisément que pour Erdogan l’islamiste, adepte de la Confrérie extrémiste des Frères musulmans (dont l’AKP est la version turque), « l’héritage laïc de Mustapha Kemal doive être à tout prix détruit et effacé. Suite à la réislamisation de la Turquie qu’il est parvenu à imposer depuis deux décennies, on observe dans le pays l’imposition de nouvelles règles de vie et une politique discriminatoire à l’encontre des chrétiens et des Kurdes ». Plus largement, le Frère musulman Erdogan souhaite « revitaliser le monde islamique » dont il se présente comme le défenseur. En effet, il ne cesse d’œuvrer, depuis plus d’une décennie, à la diffusion de la version archaïque et sectaire de l’islam sunnite auquel il adhère, partout dans le monde arabe.

Depuis les pseudo “printemps arabes” de 2011, « Istanbul a accueilli d’importantes communautés musulmanes ayant fui leur pays, analyse un expert français. Plusieurs centaines de milliers de Syriens, d’Irakiens, de Yéménites, de Libyens, d’Égyptiens, de Libanais et de Magrébins sont aujourd’hui présents dans la ville. La Turquie leur offre la possibilité de s’engager dans un militantisme politique « frériste » en direction de leur pays d’origine. Le pays est ainsi devenu un foyer de prosélytisme et de subversion au service de la Confrérie et Istanbul est devenu un refuge pour les Frères musulmans. L’État turc les soutient et les aide à s’organiser ». « Des dizaines de chaînes de télévision (Ndla : au service du Soft power turc) – pour la plupart affiliées à la Confrérie – attestent de ce soutien étatique. C’est dans la ville turque que se prennent les décisions importantes du mouvement et que la branche yéménite des Frères musulmans a récemment élu son nouveau chef ».

LE QATAR, RARE ALLIE ARABE D’ANKARA

Les liens entre Doha et Ankara se sont donc consolidés depuis que l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis, le Bahreïn et l’Egypte ont rompu leurs relations diplomatiques en juin 2017 avec le Qatar. Le Qatar et la Turquie, qui soutiennent tous deux l’organisation des Frères musulmans, ont renforcé leurs relations économiques et politiques ces dernières années, dans le sillage de l’isolement de Doha. Doha est le seul pays membre de la Ligue arabe, avec la Somalie, à avoir émis des réserves à un texte condamnant «l’agression» turque contre les forces kurdes dans le nord de la Syrie le mois dernier.

Au Qatar, Erdogan doit aussi visiter une base militaire turque où quelque 5000 troupes sont stationnées, selon la présidence turque. La fermeture de cette base fait partie de 13 conditions formulées par les adversaires de Doha pour mettre un terme à son isolement. Les relations entre Ankara et Ryad se sont dégradées depuis le meurtre du journaliste saoudien Jamal Khashoggi par des agents saoudiens dans le consulat de son pays à Istanbul en octobre 2018.

II-
LA TURQUIE ET LE QATAR DANS LA « GEOPOLITIQUE ENCHEVETREE DU MOYEN-ORIENT »

Ce sujet complexe est développé en Anglais dans le livre «La Turquie et le Qatar dans la géopolitique enchevêtrée du Moyen-Orient» (de Birol Başkan chez ‘Palgrave’). Au milieu de la crise actuelle, « de nombreuses personnes se frottent frénétiquement au passé et au présent des relations Turquie-Qatar ». Certains se tourneront vers «La Turquie et le Qatar dans la géopolitique enchevêtrée du Moyen-Orient» de Birol Başkan, professeur adjoint à la Georgetown University School of Foreign Service au Qatar. Le livre est une amorce utile, mais plutôt sèche. Il vise à répondre à la question de savoir comment et pourquoi Ankara et Doha ont développé une relation aussi spéciale ces dernières années.

Le siège diplomatique du Qatar par les États arabes du Golfe dirigés par l’Arabie saoudite a cimenté les liens entre la Turquie et le petit mais super-État pétro-étatique, au Soft Power puissant. « L’alliance Ankara-Doha est l’une des histoires les plus significatives de ces dernières années et elle a été relancée avec la campagne dirigée par l’Arabie saoudite. Les deux pays ont des relations diplomatiques, économiques et sécuritaires de plus en plus solides, ce qui les met souvent en désaccord avec les États voisins du Golfe ».

Le livre se concentre sur le paysage de l’après-11 septembre, « lorsque la Turquie et le Qatar ont pu devenir des acteurs plus influents au Moyen-Orient. Ils ont profité de l’intensification de la rivalité sectaire entre l’Arabie saoudite et l’Iran, se méfiant de l’influence croissante de l’Iran chiite mais préférant également ne pas tomber complètement dans l’orbite de l’Arabie saoudite ». « En profitant du vide de leadership dans le monde arabe contre un Iran en hausse, mais en évitant eux-mêmes d’être pris au piège dans la rivalité saoudo-iranienne qui a repris et s’est intensifiée dans la seconde moitié des années 2000, la Turquie et le Qatar pourraient devenir des acteurs proactifs au Moyen-Orient. », Écrit Başkan. Ils ont « rehaussé leur visibilité grâce à des efforts d’arbitrage dans un certain nombre de conflits ». « L’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis sont restés prudents mais tolérants à l’égard du profil croissant de la Turquie et du Qatar au cours des années 2000. Mais alors que les manifestations contre les régimes autocratiques ont déferlé sur la région au printemps arabe de 2011, le soutien d’Ankara et de Doha aux forces liées aux Frères musulmans a posé un défi à la sécurité du Golfe arabe. Ce soutien est devenu de plus en plus énergique avec le printemps arabe, des régimes troublants qui voulaient maintenir le statu quo ».

LES FRERES MUSULMANS :
AU CŒUR DE LA GEOPOLITIQUE TRUCO-QATARIE

Contrairement à d’autres États du Moyen-Orient, la Turquie et le Qatar ont vu peu de menaces dans la montée des Frères musulmans, car tous deux ont développé des relations avec eux tout au long des années 2000. En Égypte, après la destitution d’Hosni Moubarak, Ankara et Doha sont devenus les principaux soutiens financiers et politiques du président Muhammed Morsi, soutenu par les Frères musulmans. Lorsque Morsi lui-même a été renversé en 2013 après un an de mandat, la Turquie et le Qatar se sont retrouvés isolés et confrontés à un contrecoup régional, ce qui ne fait que les rapprocher. Başkan décrit comment tout cela s’est produit.

Mais les sections de son livre sur la guerre en Syrie – où la Turquie, le Qatar, l’Arabie saoudite (à la fois en tant qu’États et par le biais d’initiatives privées), sous direction américaine, ont soutenu un mélange d’opposition compradore et de factions djihadistes – pourraient bénéficier de plus de détails. Başkan aborde la guerre en Syrie , mais il pourrait certainement développer comment ses alliances changeantes ont reflété les relations entre la Turquie, le Qatar et les autres États arabes du Golfe. Un autre point faible est le manque d’attention au développement des liens économiques entre les deux pays, qui a formaté les étapes des deux régimes à mesure que leur alliance se resserre.

La campagne de 2017 contre le Qatar peut être considérée comme l’aboutissement d’une longue tempête. Doha paie le prix pour avoir contesté le statu quo. Les autorités turques ont claironné leurs efforts en tant que médiateurs. Mais il ne fait aucun doute que le régime turc considère ses intérêts comme étant mensongers. Comme les années précédentes, l’alliance Turquie-Qatar est renforcée par l’adversité. Le temps nous a démontré depuis 2017 que c’était « suffisant pour traverser la tempête ».

(Sources : Mehr Agency – AFP – Palgrave – EODE Think Tank)

LUC MICHEL (ЛЮК МИШЕЛЬ) & EODE

* Avec le Géopoliticien de l’Axe Eurasie-Afrique :
Géopolitique – Géoéconomie – Géoidéologie – Géohistoire –
Géopolitismes – Néoeurasisme – Néopanafricanisme
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Source : Luc MICHEL
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