‘Le dialogue israélo-palestinien est un dialogue entre l’épée et la nuque’
9 juillet 2020
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Interview
Kanafani : Ce que je sais vraiment, c’est que l’histoire du monde est toujours l’histoire de gens faibles qui combattent des gens forts. Des personnes faibles qui ont une cause juste combattant des personnes fortes qui utilisent leur force pour exploiter les faibles.
Journaliste : Passons aux combats qui se déroulent en Jordanie ces dernières semaines [répression sanglante des Palestiniens de l’OLP par le roi Hussein, ou « Septembre Noir» ]. Votre organisation, qui s’est rangée d’un côté de la lutte (le FPLP a combattu aux côtés de l’OLP), qu’a-t-elle réalisé ?
Kanafani : Une chose : (nous avons prouvé que) nous avons une cause (juste) pour laquelle nous luttons. C’est beaucoup. Ce peuple, le peuple palestinien, préfère mourir debout que de perdre sa cause. Nous avons réussi à prouver que le roi (de Jordanie) a tort. Nous avons réussi à prouver que cette nation va continuer à se battre jusqu’à la victoire. Nous avons réalisé (la démonstration) que notre peuple ne peut jamais être vaincu. Nous avons réussi à enseigner à chaque personne dans ce monde que nous sommes une petite nation courageuse qui va se battre jusqu’à la dernière goutte de sang pour obtenir justice, après que le monde a échoué à nous faire justice. Voilà (tout) ce que nous avons réalisé.
Journaliste : Il semble que la guerre, la guerre civile (en Jordanie) a été assez stérile…
Kanafani (interrompant le journaliste) : Ce n’est pas une guerre civile. C’est un peuple qui se défend contre un gouvernement fasciste que vous défendez simplement parce que le roi Hussein (de Jordanie) a un passeport arabe [et qu’il pourrait donc tuer des Palestiniens, considérés simplement comme d’autres Arabes sans identité propre]. Ce n’est pas une guerre civile.
Journaliste : Ou un conflit…
Kanafani (interrompant encore le journaliste) : Ce n’est pas un conflit. C’est un mouvement de libération qui lutte pour la justice.
Journaliste : Eh bien, quoi qu’il en soit…
Kanafani (interrompant encore le journaliste) : Ne dites pas « quoi qu’il en soit ». Parce que c’est là que le problème commence. Parce que c’est ce qui vous fait poser toutes vos questions [biaisées]. C’est exactement là que le problème commence. C’est un peuple victime de discrimination qui se bat pour ses droits. Voilà toute l’histoire. Si vous dites que c’est une guerre civile, alors vos questions seraient justifiées. S’il s’agit d’un conflit, il est bien sûr surprenant de savoir (vraiment) ce qui se passe. »
Journaliste : Pourquoi votre organisation n’engage-t-elle pas des pourparlers de paix avec les Israéliens ?
Kanafani : Vous ne voulez pas dire exactement « pourparlers de paix ». Vous voulez dire capituler. Abandonner.
Journaliste : Pourquoi ne pas simplement parler ?
Kanafani : Parler à qui ?
Journaliste : Parler aux dirigeants israéliens.
Kanafani : Vous voulez dire le genre de conversation entre l’épée et la nuque ?
Journaliste : Eh bien, s’il n’y a ni épées ni armes à feu dans la pièce, vous pourriez quand même parler.
Kanafani : Non. Je n’ai jamais vu de dialogue entre une cause colonialiste et un mouvement de libération nationale.
Journaliste : Mais malgré cela, pourquoi ne pas parler ?
Kanafani : Parler de quoi ?
Journaliste : Parler de la possibilité de ne pas vous battre.
Kanafani : Ne pas se battre pour quoi ?
Journaliste : Ne pas se battre tout court. Peu importe pour quoi.
Kanafani : Les gens se battent généralement pour quelque chose. Et ils arrêtent de se battre pour quelque chose. Vous ne pouvez donc même pas me dire pour quelle raison nous devrions parler…
Journaliste : Pour arrêter de vous battre.
Kanafani : …ni de quoi nous devrions parler. Pourquoi devrions-nous parler d’arrêter de combattre ?
Journaliste : Parlez pour arrêter de vous battre, pour arrêter la mort et la misère, la destruction et la douleur.
Kanafani : La misère, la destruction, la douleur et la mort de qui ?
Journaliste : Des Palestiniens. Des Israéliens. Des Arabes.
Kanafani : Du peuple palestinien déraciné, jeté dans des camps, vivant dans la famine, tué depuis vingt ans et se voyant interdire d’utiliser même le nom de « Palestiniens » ?
Journaliste : Mais il vaut mieux (subir) ça que d’être morts.
Kanafani : Peut-être pour vous. Mais pour nous, ce n’est pas le cas. Pour nous, libérer notre pays, avoir de la dignité, du respect, avoir nos simples droits de l’homme est quelque chose d’aussi essentiel que la vie elle-même.
Journaliste : Vous qualifiez le roi Hussein de fasciste. À qui d’autre parmi les dirigeants arabes vous opposez-vous totalement ?
Kanafani : Nous considérons que les gouvernements arabes sont de deux types. Il y a ceux que nous appelons les réactionnaires, qui sont complètement liés aux impérialistes, comme le gouvernement du roi Hussein (de Jordanie), comme le gouvernement d’Arabie saoudite, comme le gouvernement marocain, le gouvernement tunisien. Et puis nous avons d’autres gouvernements arabes que nous appelons les gouvernements militaires de la petite bourgeoisie. Comme la Syrie, l’Irak, l’Égypte, l’Algérie et ainsi de suite.
Journaliste : Pour terminer, permettez-moi de revenir sur le détournement de l’avion. Après réflexion, est-ce que vous le considérez maintenant comme une erreur ?
Kanafani : Nous n’avons pas commis d’erreur en détournant l’avion dans ce contexte. Nous avons fait l’une des choses les plus correctes que nous ayons jamais faites.
Voir également la réaction hilarante d’Ho Chi Minh face au langage absurde et biaisé des journalistes :
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