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18 mars 2024

Lettre à Monsieur le Président de la République Tunisienne,


Médiapart

Monsieur Kais Saied

Monsieur le Président, Après demain, c’est l’Aïd. Après demain, encore une fois mes enfants, Ali et Khadija, ne fêteront pas l’Aïd El Kébir avec leur père. Par Azza ZARRAD (épouse de Taoufik Ben Brik).

 

 

Taoufik Ben Brik, le Fou de Tunis Taoufik Ben Brik, le Fou de Tunis

Monsieur le Président,L’Aïd El Kébir,  cette Grande Fête si sacrée  qui réunit plus de 270 millions de  musulmans du monde entier pour remercier Dieu d’être en vie. Cette fois, encore, Ali et Khadija, ne seront pas entourés de leur père, Taoufik Ben Brik, le journaliste et écrivain tunisien qui a déferlé les chroniques du monde par sa célèbre grève de la faim de 42 jours. Cette année, tout, comme, il y a dix ans déjà, sous Ben Ali,  il n’y aura ni méchoui sur du brasier de charbon, ni salade méchouiya, ni harissa faite maison avec du piment fort, baignée généreusement dans de l’huile d’olive venue directement des terres ancestrales de Ksar Hellal. Cette fois, ils ne goûteront pas au couscous spécial à l’arôme de l’Aid.

Taoufik, loin. Taoufik, en prison, il n’y a pas de fête.

Taoufik, est votre ami. Avez-vous une idée quelconque de ce que  lui et a sa famille ont sacrifié pour qu’un jour Ben Ali soit destitué ?

Voici quelques scènes de notre pain quotidien.

Ali, avait, à peine 2 ans, alors que je venais de garer ma Peugeot 106 bleue métallisée toute neuve, surnommée Zmorda par Taoufik, un motard  nous lança, un jet de briques. J’entends encore les cris et les pleurs de mon fils qui, depuis ce jour là,  n’a plus parlé et s’est enfermé dans un mutisme assourdissant

Un jour Ali, alors âgé seulement de 12 ans a été arrêté par des policiers en costume noirs,  sur des motos Yamaha. Après avoir vérifié son identité, et s’être assuré qu’il s’agissait bel et bien du fils de Taoufik Ben Brik et de Azza ZARRAD qu’ils avaient en otage, ils l’ont sommé de venir avec eux pour lui raser le crâne et l’enrôler dans l’armée.

Khadija,  venait de naître, au début de ce mois de décembre, lorsque notre maison a été attaqué par une escadre d’agents de Ben Ali  Khadija sera considérée « la plus jeune victime de la dictature » par Moncef Marzouki, qui deviendra après la chute de Ben Ali, président de la Tunisie un certain 12 décembre 2011, grâce au vote par l’Assemblée Nationale Constituante, créée, on ne sait comment ni pourquoi.

Mes enfants ne pouvaient pas jouer avec d’autres enfants. Persona non grata. Et, quand je les emmenais jouer dans la cour de la Résidence d’en face, des agents aux costumes noires et menaçants nous entouraient nous faisant fuir…

Où on allait, à l’école, au collège, au marché, nous étions suivis. Nous étions escortés par de motards et de vieilles voitures banalisées, pleins feux sur nous. Ils terrorisaient mes enfants.

Lorsque Ali ou Khadija  tombaient malade le soir, je n’avais pas comment demander assistance ou urgence. Mon téléphone était coupé, ma voiture vandalisée.

Une fois, Monsieur le Président, on a arraché le volant de ma Zmorda, ma vieille Peugeot 106. Un procès verbal existe au niveau du commissariat de police d’El Manar.

Un jour, en plein Avenue de la liberté, Taoufik,  a été pris à parti par des malfrats balafrés envoyés par l’ex dictateur Ben Ali, qui, munis de chaines de fer, se jetèrent sur lui et le rouèrent de coups.

J’entends encore et j’entendrai toujours, Taoufik, qui criait « Ya Fathi oukhaiy, Ya Fathi oukhaiy… ( Au secours, Fethi, mon frère) ! ».

Taoufik rentrait à la maison avec une barre de chocolat achetée du supermarché Soula, quand il a été soudainement attaqué, par une horde d’agents de Ben Ali qui lui cassèrent le bras. Pour se sauver, il a dû sacrifier son beau blouson daim couleur camel, que son frère aîné Hédi, lui a offert. Il s’est réfugié chez un voisin, professeur cardiologue. Le médecin le repoussa, le chassa : « Dehors, lui dit-il »…

Nous étions sous haute surveillance, isolés, téléphone coupé, voiture vandalisée. Nos, ressources étaient insuffisantes car mon mari était interdit de travailler en Tunisie.  Marginalisés, nous étions agressés et menacés en permanence. On ne dormait pas. On était des chiens de garde pour les enfants. Nous en sommes fiers. Mes enfants sont nés Adultes. Leur enfance leur a été usurpée.

Monsieur le Président,

Ceci, n’est qu’une gouttelette des sacrifices de Taoufik Ben Brik pour la liberté du mot, du verbe qu’il sait si bien aiguiser.

Après la Révolution, Nous avons espéré vivre normalement, en paix et savourer pleinement le gout de la liberté payé chèrement. Rien n’a réellement changé… La vie de mon mari a été sérieusement menacée à maintes reprises. Notre maison a été marquée par une croix rouge…Un message adressé aux tireurs à gages qui signifie : ICI, L’HOMME A ABATTRE.

Je me rappelle, en 2013, le jour où je suis allée présenter mes condoléances à Besma Khalfaoui, suite à l’assassinat de son époux Chokri Belaïd, celle-ci me fit une confidence : « Nous avons toujours cru, Chokri  et moi,  qu’on allait assassiner Taoufik, ton mari. »

Mes enfants, déjà fragilisés par des années de persécution et de harcèlement ont été traumatisés.  Il a été décidé, alors qu’ils doivent quitter la Tunisie pour terminer leurs études en France. Mon fils Ali, entré en France en septembre 2015 ne mettra plus jamais les pieds en Tunisie. J’ai dû abandonner ma carrière professionnelle au sein d’une prestigieuse banque de Tunisie pour rejoindre mes enfants. Taoufik, resté seul à Tunis,  a dû nous rejoindre cette année pour que la famille soit réunie. Il devait surtout être aux cotés d’Ali, victime de persécutions, de harcèlements et d’agressions même après la Révolution.

Ce lundi 13 juillet, Taoufik a dû partir précipitamment à Tunis pour rapatrier la dépouille de son frère aîné Hédi, qui vivait à Paris. Hédi est mort, soudainement suite à un cancer des poumons. Une mort qui a terriblement affecté Taoufik,  déjà marqué par la mort de sa sœur Mongia, après une longue lutte contre la maladie.

Après l’enterrement, il s’est retrouvé manu militari derrière les barreaux. Transgressant la loi, les juges ont décidé de  jeter en prison le symbole de la liberté.

Monsieur le Président,

Taoufik Ben Brik, le nominé au prix Nobel de littérature en 2012, se retrouve dans une cellule sordide de la Révolution. On l’a jeté dedans pour le laisser crever. On ne l’assassinera pas avec une arme comme on a assassiné les leaders Belaïd et Brahmi… On l’assassinera proprement. On l’assassinera avec le Covid-19.  Ainsi, ils pourront dire «C’est  pas nous, c’est Allah.»

Des hommes passent et trépassent, mais l’histoire contemporaine de la Tunisie, retiendra que TBB, a été emprisonné sous la dictature policière de Ben Ali, et qu’il a été, encore une fois, emprisonné sous la troisième république d’après la Révolution. L’histoire retiendra aussi, qu’après Bourguiba, il y a eu un seul homme qui a dit : NON BASTA. Il est l’unique, car il n’a cherché aucun contre partie, sauf sa liberté. L’histoire retiendra, qu’au lieu de gratifier et d’honorer la plume d’or de TBB, les juges tunisiens ont préféré la faire taire.

3antara Ibn Chaded, le Tunisien est sous les verrous. New York Times, l’a comparé à Maradonna de l’écriture. Milan Kundera l’a comparé à Charles Boukovski et à Dostoïevski… Lui, aime être Taoufik Ben Brik. TBB, tout court.

Le Ben Brik, le poète est aujourd’hui sans liberté. Il a été jugé criminel pour avoir mis à nu la partialité des magistrats tunisiens, pour avoir dénoncé cette même justice, qui sous le dictateur Ben Ali l’a embastillé injustement… Un crime de lèse-magistrat.  Auteur de pamphlets acerbes contre toutes les formes de médiocrité et des dérives autocratiques des différents régimes en Tunisie, Ben Brik dort dans la prison de Mornaguia, à Tunis, à 1800 km,  loin de sa famille. Un an ferme pour la plume libre, l’ami et le complice des plus grands intellectuels et romanciers dans le monde entier. Il dormira dans une cellule miséreuse de la Révolution, lui qui a payé cher de sa santé, de sa sécurité et de la sécurité de sa famille pour la chute du Dictateur.

Monsieur le Président,

« Chaque fois que je te vois, je vois la plume libre, je vois la liberté… », N’est-ce vous qui aimez dire cela à TBB, chaque fois que vous allez le rencontrer au le café El Queen ?

Vous, qui êtes un homme de lois, ne permettez pas que quelques magistrats souillent la justice. Ne permettez pas que sous la  troisième République que vous présidez la justice soit injuste ! Ne permettez pas que votre nom soit associé à l’embastillement du symbole de la Liberté ! Ne permettez pas que votre nom soit associé à l’embastillement de TBB !

Monsieur le  Président,

Vous êtes l’espoir de tous les Tunisiens qui voient en vous l’unique salvateur. Les Tunisiens croient en vous. Les Tunisiens comptent sur vous.

Monsieur le Président,

La vie de mon mari est en jeu.  La vie de mon mari est entre vos mains. Vos engagements  en faveur des droits l’homme, de la justice et de la liberté d’expression seront l’unique bouclier pour sauver notre pays.

Ceci un cri de détresse que je vous adresse. C’est un appel au secours émanant d’une mère sans défense, d’une épouse en désarroi, mais encore,  d’une femme attachée aux valeurs humanitaires et à la liberté.

J’implore le bon père que vous êtes, le tendre mari que vous êtes, le chef d’Etat d’une Tunisie républicaine que vous essayer d’instaurer.

Monsieur le Président,

Je vous demande une grâce, c’est Taoufik  Ben Brik, acceptez le tel qu’il est. C’est le fou de Tunis.

 

 

Azza ZARRAD (épouse de Taoufik Ben Brik)

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