Par Helen Buyniski, journaliste et analyste politique américaine

Source : RT, le 7 août 2020

Traduction : lecridespeuples.fr

La tentative de l’administration Trump de s’emparer de la plate-forme chinoise TikTok et de la livrer à Microsoft, déjà détenteur d’un quasi-monopole, fait partie d’une énorme accaparation de pouvoir, car la détérioration de la qualité de la propagande américaine met en danger sa domination narrative.

Le gouvernement américain a clairement indiqué qu’il ne connaîtra pas de repos tant que tous les réseaux sociaux ne seront pas sous son contrôle. Il ne suffit plus que Twitter, Facebook et YouTube / Google suppriment simplement des centaines de comptes anti-système sur commande, accompagnant leur censure de justifications officielles qui seraient risibles si elles ne bafouaient pas les libertés fondamentales des propriétaires des comptes.

TikTok, qui est loin d’être un bastion de pensée politique subversive, doit néanmoins être arraché à son propriétaire chinois ByteDance et livré à Microsoft, un monopoliste déjà condamné pour ses violations des lois antitrust, de peur que Pékin ne soit autorisé à défier Washington pour le contrôle du cœur et de l’esprit des adolescents sur le net.

Il est ironique qu’au moment où la culture occidentale est en proie à une résurgence de son passé colonial, auparavant inhibé ou enjolivé, les États-Unis sont à ce point déterminés à subjuguer les peuples du monde, avec une version plus légère et technologique du colonialisme qui ne nécessite pas le déploiement de navires de guerre sur des rivages étrangers (bien que les 800 bases militaires US disséminées partout dans le monde ne fassent pas mal). Une ligne directe vers les yeux et les oreilles des personnes ciblées est suffisante pour maintenir l’Hégémonie 2.0.

Mais la qualité de la propagande américaine s’est sensiblement détériorée au fil des ans, au point que quatre Américains sur cinq pensent que leurs médias sont biaisés. Plutôt que d’améliorer leur jeu de propagande, la réponse de Washington a toujours été d’étouffer la concurrence, soit en recourant à la censure imposée par ses partenaires du secteur privé, soit en achetant le silence de ses concurrents. Des intrus comme TikTok sont écrasés ou rachetés par des sociétés comme Microsoft, une entreprise massive liée aux agences de renseignement d’État.

C’est également le cas d’Amazon, dont les serveurs hébergent les secrets de l’état de sécurité américain. Ou de Facebook, qui a grimpé en flèche au-delà du milliard d’utilisateurs avec le soutien allégué du fonds de capital-risque de la CIA In-Q-Tel. Microsoft, quant à lui, est à toutes fins utiles une extension du secteur privé de l’empire américain. Il a été le premier à adhérer au programme de surveillance PRISM extrêmement inconstitutionnel de la NSA en 2007. Il a laissé ouvertes des portes dérobées exploitables dans ses systèmes d’exploitation pendant deux décennies, jusqu’à ce qu’une autre société de technologie collaborant avec le gouvernement s’en plaigne. Même dans ce XXIe siècle hostile à la vie privée, ses pratiques intrusives (allant de l’enregistrement de frappe à la correction automatique des utilisateurs qui emploieraient un langage politiquement incorrect, non-inclusif par exemple) ont tiré le signal d’alarme depuis des années. C’est aussi le seul monopole technologique qui ait été poursuivi pour son comportement monopolistique.

L’appareil Big Tech est un moyen idéal pour le gouvernement américain de contourner la Déclaration des droits. Il n’est pas légalement interdit aux entreprises privées d’imposer des restrictions à la liberté d’expression ou de réunion (numérique) des utilisateurs, aussi arbitraires soient-elles. Les protections de l’article 230 ont été abandonnées alors que Facebook, YouTube et Twitter ont été de plus en plus encouragés à chasser les dissidents gênants de leurs plates-formes. Récupérer les informations des utilisateurs est également un jeu d’enfant, avec le type de portes dérobées que Microsoft et Apple ont amoureusement construites pour leurs partenaires gouvernementaux. Au diable les protections contre les fouilles et saisies déraisonnables qui empêcheraient les agences gouvernementales de tenter de faire la même chose. Big Tech et Big Brother sont deux bras de la même pieuvre.

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TikTok, cependant, sape la domination narrative américaine et ne partage pas ses données avec les patrons. Bien sûr, pour l’instant, il ne s’agit que de vidéos de danse insipides et de synchronisation labiale d’adolescents, mais qu’en est-il quand ces adolescents grandissent ? La propagande américaine est si bâclée que le département d’État se sent menacé par une poignée de sites Web « proxy russes » qui reçoivent quelques milliers de visites par mois, et il semble avoir spammé des milliers de Russes et d’Iraniens avec des offres de 10 millions de dollars pour glaner des témoignages sur le piratage étatique allégué des élections.

Facebook, Twitter et YouTube sont constamment invités à censurer un éventail toujours plus large d’opinions, alors que les médias grand public luttent pour ne pas trébucher sur leurs propres mensonges et versent des dommages et intérêts colossaux aux victimes de leurs falsifications.

Au cœur de la volonté de faire main basse sur TikTok, qui s’est étendue vendredi à un assaut contre la plateforme chinoise WeChat, se trouve une haine de la concurrence. Alors que Facebook, Twitter, Google et YouTube ne sont guère plus que des porte-parole des médias grand public, les utilisateurs affluent naturellement vers d’autres plates-formes, en particulier celles qui ont des bases d’utilisateurs massives comme leurs concurrents chinois. Les plates-formes favorites de Washington peuvent difficilement cesser leur politique de censure, surtout avec une élection présidentielle dans quelques mois. Ainsi, dans la grande tradition du crime organisé, ils ont fait à ByteDance une offre qu’on ne peut pas refuser. Couchez avec Microsoft, le plus corrompu de la bande, ou soyez banni.

La liberté n’est pas gratuite, comme on dit. Les célèbres « marchés libres » américains ne sont pas libres non plus [jeu de mots sur les deux sens de « free », qui peut signifier « gratuit » et « libre »].

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