Octobre 1988-Février 2019 : la demande d’Etat des Algériens
6 octobre 2020
Lahouari AddiLundi 5 octobre 2020 Les émeutes d’Octobre 1988 constituent un événement marquant dans l’histoire de la construction de l’Etat en Algérie qui a commencé en juillet 1962 avec la mise en place du pouvoir exécutif par l’armée à la place du pouvoir exécutif colonial. Le chef de l’armée de l’époque, le colonel Houari Boumédiène, assignait au nouveau régime la tâche de « construire un Etat qui survive aux hommes et aux événements ». Sa mission était de moderniser la société et de développer l’économie pour rattraper le retard sur l’Europe. Si dans les années 1960 et 1970 le discours de Boumédiène suscitait de l’enthousiasme autour de l’industrialisation et de la nationalisation des hydrocarbures détenues par des compagnies étrangères, durant les années 1980, l’utopie qu’il avait incarnée avait perdu ses capacités mobilisatrices. Avec la chute des prix du baril de pétrole au milieu des années 1980, l’Algérie était en cessation de paiement et les milliards investis dans l’industrie ne dégageaient pas de surplus. Le pouvoir exécutif mis en place par l’armée, adossé au système du parti unique, avait fait la preuve de son incapacité à développer le pays. En octobre 1988, éclataient des émeutes à l’échelle nationale qui exprimaient la rupture entre le régime et la population. Un groupe de réformateurs autour du président Chadli ont mis en oeuvre une ouverture du champ politique qui s’était traduite entre autres par la fin du système du parti unique et la liberté de la presse. Deux ans et demi après, des élections remportées par un parti d’opposition ont été annulées par le commandement militaire et le pays a basculé dans l’horreur du terrorisme et de la répression hors légalité. Comment analyser les causes de l’échec de la transition organisée par la constitution de 1989? A titre d’hypothèse, j’avance que le commandement militaire ne concevait pas le multipartisme comme l’anti-chambre de l’exercice de la souveraineté populaire mais juste comme une modalité de recrutement du personnel exerçant le pouvoir formel au niveau de l’Etat. Le commandement militaire n’était pas prêt politiquement à abandonner le pouvoir réel, celui de désigner le président et de contrôler les ministères régaliens. Les années 1990 ont refaçonné le champ des partis: n’y étaient admis que les partis qui ne remettent pas en cause la règle non écrite du système politique: l’armée est source du pouvoir. La politique étant devenue synonyme de violence, la société s’est désintéressée de l’Etat. C’était l’ère des opportunistes apolitiques qui voyaient dans la politique un facteur d’ascension sociale et d’enrichissement personnel. Cette culture avait atteint son apogée avec le règne de Bouteflika, encouragée par la hausse des prix du pétrole. En 1999, le baril était à 20 dollars; en 2014, il avait dépassé les 100 dollars. Le régime était convaincu qu’il avait réussi à dépolitiser la société. Mais la société est un flux générationnel. En 2019, lorsque le régime a annoncé officiellement le 5èm mandat du président malade, la nouvelle génération a refusé et a demandé un changement de régime. Octobre 88 s’est reproduit en Février 2019 à une plus grande échelle et de manière pacifique. Le schéma du régime né de l’indépendance qui a réduit l’Etat à un pouvoir exécutif est rejeté par une grande partie de la population depuis 30 ans. La crise du régime algérien dure au moins depuis 1988. On appelle un régime en crise un régime qui n’a plus de légitimité aux yeux d’une majorité de la population. Octobre 1988 et Février 2019 ont un même objectif: transformer le pouvoir exécutif hérité de l’indépendance en Etat où le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire sont autonomes.
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